Ministre suédois de la Coopération internationale, Peter Eriksson, s’est entretenu, jeudi 14 novembre, à Kinshasa, avec le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Outre la disponibilité du gouvernement suédois à soutenir la lutte contre la corruption annoncée par le président Felix Tshisekedi, ce concitoyen de l’experte onusienne Zaida Catalan, exécutée le 12 mars près de Bunkonde, en a profité pour évoquer l’interminable procès qui se déroule à Kananga (Kasaï Central) sur l’assassinat de cette jeune dame et de son collègue Michael Sharp, de nationalité américaine.
« Nos services de sécurité ont peut-être tué Zaida Catalan ». Qui parle? Il semble que c’est le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. C’était le jeudi 14 novembre. Il recevait le ministre suédois de la Coopération internationale, Peter Eriksoon. Celui-ci a évoqué à cette occasion l’assassinat des deux experts envoyés par le Conseil de sécurité pour enquêter sur des allégations de graves violations des droits de l’homme dans le « Grand Kasaï ».
Il s’agissait d’une « conversation privée » dont le contenu n’a pas été révélé à la presse. Les médias kinois se sont limités à rapporter le communiqué officiel de la Primature selon lequel les deux interlocuteurs ont échangé tant sur la sécurité à l’Est ainsi que l’engagement de la Suède « à accompagner » le gouvernement dans la recherche des ressources financières pour la réalisation de certains « projets prioritaires ». Ils ont échangé également sur la disponibilité de la Suède à soutenir la « lutte contre la corruption » annoncée par le président Felix Tshisekedi.
Aux premières heures de la journée de mardi 26 novembre, un message électronique a atterri dans le « mailbox » de la rédaction de Congo Indépendant. L’expéditeur est un confrère suédois qui s’appelle Staffan Lindberg. Il travaille au quotidien « Afton Bladet », le journal suédois le plus lu non seulement au Royaume de Suède mais aussi dans toute la Scandinavie (Danemark, Norvège). Sans omettre la Finlande, l’Islande et les pays baltes.
Staffan Lindberg écrit: « Cher Congo Indépendant, Je m’appelle Staffan Lindberg,(…), J’ai suivi de près le cas des deux experts de l’ONU ».
LES SERVICES DE SÉCURITÉ ONT « PEUT-ETRE » TUÉ…
En guise d’annexe, le confrère a joint le texte d’une interview en suédois qu’il a réalisée avec le ministre Peter Eriksson à son retour du Congo-Kinshasa. Citant l’interviewé, Lindberg poursuit: « Le Premier ministre congolais révèle, dans une conversation privée avec le ministre suédois du Développement, que ‘peut-être’ les services de sécurité congolais ont tué Catalán et Sharp ».
Auteur du livre-enquête publié récemment sous le titre « Le meurtre de Zaida Catalan », Lindberg assure avoir pris langue avec un « haut responsable congolais » qui était en contact avec la Suédoise. Ledit responsable aurait identifié « deux généraux congolais qui dépendent directement du président Joseph Kabila, comme étant ceux qui ont ordonné les meurtres ».
Selon « Staffan », un des généraux travaillait dans les « services de sécurité de la police ». L’autre « est toujours actif dans les services de renseignements militaires ». Les deux officiers contestent, souligne-t-il, leur implication dans ce double crime. Qui sont ces généraux?
C’est un secret de Polichinelle dans la mesure où deux noms sont régulièrement mentionnés. Il s’agit des généraux Delphin Kayimbi (ou Kahimbi) Kasagwe, l’actuel chef du service de renseignements militaires (ex-Demiap) et d’Eric Ruhorimbere. Celui-ci est issu de l’ex-rébellion pro-rwandaise du RCD-Goma. Des sources épinglent, par ailleurs, Kalev Mutondo, administrateur général de l’Agence nationale de renseignements (ANR) au moment des faits.
On imagine que notre confrère suédois a activé le système d’alerte de Google pour suivre les articles publiés sur l’affaire Zaida Catalan et Michaël Sharp. Notre journal a écrit plusieurs articles sur ce double assassinat pour le moins barbare.
CATALAN ET SHARP EN SAVAIENT-ILS TROP?
Chargés, par le Conseil de sécurité de l’Onu, d’enquêter sur des informations faisant état de tueries massives imputables à des « forces de l’ordre » au « Grand Kasaï », les deux experts avaient disparu des « radars » dès le 12 mars 2017. Leurs corps sans vie seront découverts entre le 24 et le 25 mars. La dame avait été décapitée.
Dès le 12 mars, Lambert Mende Omalanga, alors ministre de la Communication et des médias déclarait, à la surprise générale, que les deux envoyés onusiens « seraient tombés entre les mains des forces négatives ». Comment pouvait-il en être si certain? Le double crime fut attribué précipitamment à des prétendus miliciens Kamuina Nsapu. Histoire, sans doute, de donner une cause de justification au gouvernement congolais accusé de faire un « usage disproportionné de la force ».
Depuis le mois de juin 2017, les présumés assassins des deux Occidentaux défilent devant la Haute cour militaire de Kananga. Cette juridiction peine, depuis bientôt trente mois, à articuler le « mobile » qui a pu inciter les présumés miliciens Kamuina Nsapu à s’en prendre aux deux experts onusiens. Catalan et Sharp en savaient-ils trop sur les atrocités commises par les forces régulières? C’est la question qui tenaille des observateurs. Autre question: qui est le commanditaire de ce double crime?
QUID DU COMMANDITAIRE?
Dans un précédent article, notre journal rapportait la surprenante déclaration du président de la Cour militaire de Kananga, le colonel Jean-Paulin Ntshayikolo: « Aucune autorité politico-administrative ni un membre quelconque du gouvernement congolais n’a utilisé le prévenu Jean-Bosco Mukanda et sa milice pour exécuter les experts onusiens et leurs accompagnateurs congolais ». C’était lors de l’audience publique du 30 octobre 2019.
Et pourtant, des sources tant à Kananga qu’à Kinshasa assurent que tous les prévenus qui défilent au prétoire ont été conduits, l’un après l’autre, au siège de l’ANR à Kinshasa où ils ont été interrogés par Kalev Mutondo.
C’est le cas notamment de José Tshibuabua qui a révélé, lors de l’audience du 20 septembre 2019, qu’il a été auditionné au siège de l’ANR « en présence du président honoraire Joseph Kabila ». Tshibuabua mourra dans la nuit du 21 au 22 octobre.
Dans l’interview avec le ministre Eriksson, Staffan Lindberg n’a pas manqué de relever notamment le décès « dans des circonstances mystérieuses » de deux témoins « dont un avec le venin d’insecte dans le corps ». Le journaliste suédois est formel: « deux généraux notoires ont été identifiés comme coupables du meurtre de Zaida Catalan ». Quid du commanditaire? Toute la question est là!
Baudouin Amba Wetshi