Fayulu: « L’interview de M. Kabila nous permet de saisir le message clair de son désengagement unilatéral de l’Accord de la Saint Sylvestre »

Martin Fayulu Madidi

Tout le monde le sait, la parole publique de Monsieur Kabila est rarissime. D’ailleurs, son ministre de la communication et médias a été le premier à dire de lui qu’il est un « taiseux ». Dans ce sens, son silence assourdissant sur les questions essentielles concernant la vie de la Nation est certes insupportable mais de loin plus acceptable que l’arrogance, le mépris ainsi que la propension à prendre des Congolais pour des idiots tels que ressortis dans cette interview.

L’histoire renseigne que c’est en marge d’un déplacement en avril 2016 à Dar Es Salam, en Tanzanie, que Monsieur Kabila s’était exprimé publiquement pour la dernière fois, déclarant notamment à cette occasion que « les élections pourront se tenir cette année (2016) ou un autre jour. Tout dépendra des travaux du dialogue qui se poursuivent à Kinshasa et de l’enrôlement de près de 10 millions de nouveaux majeurs ».

Cette déclaration faite à partir d’un pays étranger avait suscité beaucoup de commentaires négatifs en ce que Monsieur Kabila maintenait déjà un flou sur ses intentions réelles. Plus d’un an après, il a choisi en ce début de juin 2017 un magazine allemand, Der Spiegel, pour dévoiler un pan de son projet en l’enveloppant d’un tissu de contre-vérités et de langue de bois pour dérider ses interlocuteurs.

D’entrée de jeu, et comme pour justifier la rareté de ses apparitions publiques, Monsieur Kabila se présente comme une personne d’action plutôt qu’un bavard pour dresser, à sa manière, le bilan de ses 16 ans au pouvoir.

Pourtant, la réalité est totalement à l’opposé de ce que Monsieur Kabila soutient. En effet, la RDC présente un visage chaotique qui se caractérise par une corruption à grande échelle, une pauvreté sans commune mesure, une insécurité généralisée, un déficit criant de respect des droits humains, une situation économique et sociale très sombre ainsi que des institutions étatiques illégitimes.

  1. Pour Transparency International, la RDC a gardé son rang dans le classement sur la corruption dans le monde. Le rapport 2015 de cette organisation, publié en janvier 2016, indique que le pays se classe 147e sur 168 pays. Cette corruption se manifeste au travers du détournement des fonds publics, de l’enrichissement illicite soutenu par un comportement prédateur des dirigeants (voir le scandale des passeports, panama papers, la rocambolesque affaire de Congo Airways, le scandale des contrats miniers détenus par la famille de M. Kabila etc).
  2. Selon un rapport du FMI, 8 habitants sur 10 en RDC vivent sous le seuil de pauvreté absolue (1,25 dollar par jour et par personne). C’est l’un des taux de pauvreté parmi les plus élevés au monde. En conséquence, les Congolais se retrouvent exposés notamment à l’exode rural, à la malnutrition, à toute sorte de maladies, à la prostitution et au chômage dans un pays immensément riche en ressources naturelles.
  3. Avec Monsieur Kabila à la tête du pays, la RDC est restée inlassablement engluée dans une insécurité généralisée, mieux dans une guerre à huit-clos où:
  • Les Mai-Mai et les Bakata Katanga ont fait la loi au Katanga;
  • Au Nord et au Sud Kivu, des forces négatives tant nationales qu’étrangères continuent de piller les minerais et les plantations, de violer les filles et de massacrer les populations (plus de 3.000 personnes tuées à Beni);
  • Les rebelles des FDRL, refusent toujours de quitter le Nord et le Sud Kivu et se livrent aux attaques, pillages, et kidnapping dans plusieurs localités de ces provinces ainsi qu’au Katanga où ils continuent de s’illustrer par plusieurs exactions;
  • Dans les districts du Haut-Uélé et Bas-Uélé, les éléments de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) poursuivent sans désemparer leurs activités négatives et les ADF-Nalu sèment la terreur à Béni;
  • Les frontières du pays sont poreuses;
  • Près de 3.000 personnes ont récemment été tuées dans le Kasaï et le Kasaï Central à la suite du phénomène Kamwina Nsapu, y compris des chefs coutumiers, et le pays compte aujourd’hui près de 3 million de déplacés internes, chiffre le plus élevé du monde du fait de la présence sur le territoire de différents groupes rebelles et pour plusieurs autres raisons;
  • La ville de Kinshasa, quant à elle, elle est devenue un nouveau « Far West ». Car, sans compter la montée en puissance des « Kulunas », des bandits armés frappent quand ils veulent et où ils veulent. Ils assassinent des cambistes ici et là, volent, violent (terrorisme sexuel) et s’illustrent dans des braquages et autres formes de violences à telle enseigne que vivre dans la capitale est devenu un calvaire pour ses habitants.

La situation devient encore plus inquiétante du fait de l’évasion extraordinaire des milliers de détenus de la prison de Makala, de Kasangulu et autres.

Devant l’impuissance manifeste de l’Etat congolais à faire face à l’insécurité généralisée dans notre pays, tous les rapports des Nations unies et des organisations régionales épinglent désormais la situation de notre pays comme une menace pour la paix et la sécurité internationale dans la région.

  1. Il n’est un secret pour personne que le régime de Monsieur Kabila est totalement indifférent à l’ordre établi. Il est champion toute catégorie en matière de restrictions des libertés publiques et irrespectueux des droits humains: Floribert Chebeya, Fidèle Bazana, Armand Tungulu, Franck Ngycke et son épouse, Mamadou Ndala, Lucien Bahuma, les adeptes de Mukungubila, de Bundu dia Kongo sont autant des victimes de la cruauté de ce régime. Le sang de toutes ces victimes crie justice. Il en est également des victimes de la semaine du 19 au 25 janvier 2015, de septembre et décembre 2016 ainsi que celles enterrées dans des charniers à Maluku (Kinshasa), dans le Kasai, à l’Est du pays et à plusieurs autres endroits de la République. En outre, le régime de Monsieur Kabila s’est distingué dans des arrestations arbitraires et des emprisonnements de beaucoup de nos compatriotes, tout en contraignant beaucoup d’autres à l’exil.
  2. La situation économique et sociale du pays est très sombre, car tous les indicateurs congolais annoncent l’effondrement. Selon le FMI, la RDC qui, à la prise de pouvoir par l’AFDL en 1997, avait un produit intérieur brut par habitant de près de 600 dollars (dollar courant) se retrouve aujourd’hui avec un PIB par habitant de moins de 500 dollars.

Aussi, en plus du fait que le pays ne dispose plus des réserves de change, le franc congolais, en moins d’un an, a perdu plus de 55% de sa valeur face au dollar. Il y a une forte hausse des prix des produits de première nécessité, le délabrement très avancé des infrastructures routières, sanitaires et scolaires.

Aujourd’hui, 26% seulement de la population congolaise a accès à l’eau potable, alors que, selon les statistiques de la Régideso, le taux de desserte était de plus de 70% dans les milieux urbains. Seulement 15% de la population congolaise a accès à l’électricité, avec délestage, alors que la moyenne africaine est de 43%.

  1. Le refus par Monsieur Kabila de respecter la Constitution de la République d’une part, et d’appliquer l’Accord de la Saint Sylvestre d’autre part, a conduit notre pays dans une situation atypique où toutes les institutions à mandat électif sont aujourd’hui illégitimes.

Visiblement embêté par le dispositif juridique et institutionnel articulé dans l’Accord et qui réaffirme les principes démocratiques et constitutionnels d’alternance au pouvoir, notamment, le respect par tous de la Constitution et des lois de la République, pas de modification ni de changement de Constitution pendant la période préélectorale et électorale, pas de référendum constitutionnel pendant cette période, pas de troisième mandat pour lui qui est arrivé au terme de son second et dernier mandat présidentiel le 19 décembre 2016, Monsieur Kabila, qui n’a pas de parole et qui ne respecte rien, s’est lamentablement exposé à l’occasion de cette interview, allant dans tous les sens sans convaincre.

Tantôt, il se comporte en Président de la CENI affirmant que si nous n’avions pas organisé les élections en 2016 c’est parce qu’on « ne s’était pas bien préparé », tantôt il justifie l’absence d’élections par l’accroissement du nombre d’électeurs ou par la guerre lancée par le M23 après 2011 contre notre pays. Sauf que, les élections ne se préparent pas, ni se financent en un seul exercice budgétaire. En effet, de 2012 à 2016, le parlement avait alloué des fonds à la CENI pour l’organisation des élections dans les délais. Cet argent avait été systématiquement détourné par le pouvoir pour financer des projets hors budget et non autorisés par le Parlement, plus de 1,6 milliards des dollars.

Par ailleurs, Monsieur Kabila prétend vouloir organiser les élections parfaites oubliant que celles de 2006 et 2011 en RDC étaient émaillées de beaucoup de fraude avec des résultats contraires à la réalité.

L’interview de Monsieur Kabila présente un double avantage pour la Dynamique: d’une part, elle nous permet de saisir le message clair de son désengagement unilatéral de l’Accord de la Saint Sylvestre et, d’autre part, elle met définitivement à nu son projet longtemps caressé d’attenter à la Constitution au moyen d’un « référendum » aux fins de contourner l’article 220 de la Constitution.

La Dynamique de l’Opposition, ensemble avec le peuple congolais attendent, de pied ferme, Monsieur Kabila avec son projet funeste de référendum pour s’octroyer l’élément déclencheur qui lui permettra de prendre ses responsabilités de souverain primaire (Art 64).

Fait à Kinshasa, le 06 juin 2017
Pour la Dynamique

 

Martin M. Fayulu, Coordonnateur

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