Dans son discours prononcé, mardi 15 octobre, à l’occasion de la rentrée judiciaire 2019-2020, le premier président de la Cour de cassation du Congo-Kinshasa a déclaré, non sans une pointe de duplicité, que « les infractions de faux en écritures, faux et usage de faux sont des fléaux qui ravagent la société [congolaise] ». Ce haut magistrat n’a pas eu assez de cran pour se livrer à une autocritique sans concession sur la part de responsabilité des magistrats, des auxiliaires de justice (avocats, greffiers, notaires) ainsi que des fonctionnaires du ministère des Affaires foncières dont les conservateurs des titres immobiliers. Ce « beau monde » s’est constitué en une véritable « association de malfaiteurs » pour exproprier impunément « la veuve et l’orphelin ».
La rentrée judiciaire 2019-2020 a eu lieu le mardi 15 octobre à Kinshasa en présence du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Celui-ci représentait le chef de l’Etat.
Dans son speech, le premier président de la Cour de cassation, Jérôme Kitoko Kimpele, a cru créer l’événement en déclarant haut et fort que « les infractions de faux en écritures et usage de faux sont des fléaux qui ravagent la société ».
Le magistrat a commencé par rappeler que toute société est régie par des règles. Ces règles sont morales, religieuses, sociales ou juridiques. Elles ont toutes un seul but: rendre la vie collective harmonieuse entre les personnes physiques et morales.
A en croire le premier président Kitoko, ce noble objectif aurait pu être atteint si la terre était habitée par des « personnes saintes ». Le magistrat de souligner qu’il « existe des personnes qui se moquent éperdument de toutes ces règles ». L’assistance n’a pas manqué de se poser une question: Que fait l’appareil judiciaire?
Depuis des décennies, les conflits fonciers ou relatifs à la contestation de la propriété immobilière représentent la grande majorité des litiges examinés par les juridictions congolaises. Le plus haut « magistrat assis » de la République n’a pu éluder cette question.
POSTURE DE PONCE PILATE
Adoptant la posture de Ponce Pilate, le juge Jérôme Kitoko a rappelé le « principe de l’inattaquabilité » du certificat d’enregistrement. On le sait cet acte authentique fait office de titre de propriété en matière immobilière. Selon lui, cette inattaquabilité n’a plus un effet dissuasif pour « certaines catégoriques de personnes ». Ces personnes passeraient outre les règles en vigueur « en fabriquant » leurs titres de propriété. Et de poursuivre: « Il en est de même pour le concessionnaire immobilier qui, à l’occasion d’une demande de renouvellement d’un contrat de location ou d’emphytéose, s’accapare d’une partie de la concession d’un voisin ou d’une collectivité par jeu d’écritures ».
Selon le premier président Kitoko, les auteurs de ces faux documents passent le clair de leur temps à imiter les signatures des autorités publiques. Il a reconnu qu’en plus de la spoliation du patrimoine immobilier de l’Etat du fait de ces faux titres, des familles entières « sont dépossédées » de leurs biens immobiliers « acquis depuis plusieurs années créant ainsi dans la société un sentiment de révolte ou même de vengeance si la justice n’était pas bien rendue ».
Que préconise le premier président de la plus haute juridiction du pays pour éradiquer ce « fléau »? Voici sa réponse: « […], il faut se rappeler les notions des infractions de faux et usage de faux à tout moment, aux fins d’une application rigoureuse de la loi par le juge ». C’est tout?
L’allocution prononcée par le Juge Jérôme Kitoko Kimpele ressemble fort aux « larmes de crocodile ». Une démonstration de l’hypocrisie. Et ce dans la mesure où des magistrats, des auxiliaires de justice, en complicité avec des conservateurs des titres immobiliers, concourent justement à la délivrance de faux certificats d’enregistrement. L’orateur a raté l’occasion de faire une introspection sans concession pour conjurer le « mal » qui gangrène le monde judiciaire congolais.
En juillet 2007, la rédaction de Congo Indépendant a été saisie d’un cas pour le moins scandaleux. Il s’agit de l’expropriation de la famille de feu ambassadeur Pierre Mbuze Nsomi avec le concours du… Procureur général de la République (PGR) d’alors, Tshimanga Mukeba.
« BANDITISME JUDICIAIRE »
Voici les faits:
Au milieu des années 70, Laurent Eketebi Moyidiba Mondjolomba, ancien commissaire d’Etat aux Transports et communications, est condamné à une peine des travaux forcés assortie de la peine complémentaire de « confiscation générale » de ses biens dont une maison située au numéro 140, rue Tulundi dans la commune kinoise de Bandalungwa.
Comme à l’accoutumée, les services compétents de l’Etat ont procédé à la « vente publique » desdits biens. C’était en 1977. Pierre Mbuze Nsomi Lobwanabi a racheté cette habitation.
Le 18 octobre 1994, le président Mobutu Sese Seko signe l’ordonnance n°94-060 accordant la grâce à Laurent Eketebi qui décède quelques années plus tard.
Chargé de liquider l’héritage familial, un des fils Eketebi, prénommé Serge, passe un « deal » pour le moins mafieux avec le PGR Tshimanga Mukeba. Objectif: récupérer la maison de Bandalungwa au profit du patrimoine de cette famille.
Magistrat expérimenté, le juriste Tshimanga Mukeba pouvait-il ignorer le contenu de la mercuriale prononcée par un de ses prédécesseurs, en l’occurrence le PGR Kengo wa Dondo, à l’audience solennelle de la rentrée judiciaire du 20 octobre 1973?
Il y est question de la peine accessoire de la « confiscation ». On peut lire notamment: « La grâce ne s’applique qu’aux peines exécutoires et si la confiscation générale a déjà été subie, il n’y a pas remise possible, l’Etat ne pourra restituer les biens confisqués ». (Voir Mukadi Bonyi et Mukadi Bonyi Jr, La pensée juridique du procureur général de la République Léon Kengo wa Dondo, p. 65, Edition CRDS 2014).
Par « réquisition d’information » n° 3945/023/11.160/PGR/SEC/ 2006 du 27 novembre 2006, le PGR Tshimanga Mukeba (décédé depuis) commet un abus de pouvoir en donnant injonction à l’Inspecteur général de la police judiciaire des Parquets de prendre les dispositions nécessaires en vue de la restitution à la succession Eketebi la maison querellée. Au motif que l’ancien ministre des Transports a bénéficié d’une mesure de grâce. Copie de cette « réquisition » est transmise non seulement au Conservateur des titres immobiliers de la Funa, Michel Tudu Zingo te Lando, mais aussi à la Succession Eketebi. Un cas de « banditisme judiciaire ».
DES LARMES DE CROCODILE
Aussitôt saisi, le Conservateur s’est empressé d’émettre le certificat d’enregistrement n° VOL AF 66 Folio 191 du 16 décembre 2006 au profit de la succession Eketebi. Celle-ci vend la maison à un nouvel acquéreur, un certain Tango Makundaka qui se fait délivrer, à son tour, un tout nouveau certificat d’enregistrement n° AF 67 Folio 05 du 5 février du 5 février 2007.
Coup de théâtre! Par une nouvelle réquisition n°680/D.023/11.160/PGR/MUNT/2007 du 6 mars 2007, le PGR Tshimanga se retrace. Il donne une injonction contraire à l’Inspecteur général de la Police judiciaire des Parquets. Une copie est destinée au Conservateur des titres immobiliers de la Funa. Le même.
A l’appui de son « antithèse », Tshimanga Mukeba écrit qu’il « rapporte » sa réquisition initiale. « En effet, il est vérifié que la maison n°140, sise rue Tulundi dans la commune de Bandalungwa avait été vendue au sieur Mbuze Nsomi Lobwanabi depuis 1977 et ne se trouvait donc plus dans le patrimoine du sieur Eketebi Moyidiba Mondjolomba », écrit-il.
La réponse du Conservateur est cinglante: « Vous vous souviendrez que par notre lettre référencée 2456 1/022/2007 du 28 février 2007, nous vous informions que nous avions déjà exécuté votre réquisition, aujourd’hui rapportée, par l’établissement d’un certificat d’enregistrement en faveur de la succession Eketebi, sur la parcelle 2574 du plan cadastral de Bandalungwa, par le certificat d’enregistrement Vol AF 66 Folio 191 du 16 décembre 2006 ».
Quelle « insécurité juridique » entretenue par le plus haut magistrat du Parquet censé la société et la paix sociale! Ce cas est loin d’être unique en son genre. A preuve, les conflits fonciers ou immobiliers représentent la majorité des affaires que connaissent les cours et les tribunaux.
Le différend entre la famille Mbuze et l’Etat congolais est toujours pendant devant les cours et tribunaux. Les pouvoirs publics ne devraient-ils pas rétablir les Mbuze dans leur droit? Et pourquoi pas leur attribuer un bien immobilier de même valeur?
En faisant couler des « larmes de crocodile » lors de la rentrée judiciaire 2019-2020, le premier président de la Cour de cassation Jérôme Kitoko Kimpele a confirmé ce que la grande majorité des Congolais redoutent. A savoir que les autorités judiciaires actuelles font partie du problème qui handicape la justice congolaise. Il est illusoire d’espérer un quelconque changement. Sans des réformes courageuses.
Baudouin Amba Wetshi