Quelle mouche a pu piquer le président Felix Tshisekedi Tshilombo pour accepter l’interview qu’il a accordée aux médias français « TV5 Monde » et « Le Monde »? Cette interview – au demeurant mal préparée au niveau des « éléments de langage » – a fini par brouiller l’image du dirigeant congolais.
On peut gager que, dimanche 22 septembre 2019, « Fatshi » a « réussi », à élargir davantage la fracture existant entre lui et une partie significative de l’opinion congolaise. Une opinion qui n’entend guère se satisfaire d’une pseudo-alternance qui se limiterait en un changement cosmétique au sommet de l’Etat. L’ancienne majorité tient toujours les manettes.
Diffusé, le dimanche 22 septembre en mondovision, cet entretien a apporté plus d’ombre que de lumière sur la personnalité, la pensée et la parole du nouveau chef de l’Etat congolais. Et pour cause, ce dernier est apparu en négation totale avec les « fondamentaux mythiques » de son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). A savoir notamment: l’Etat de droit, la lutte contre l’impunité, la prévarication, la corruption et la concussion.
Le dimanche 22 septembre, « Fatshi », qui ne rate jamais l’occasion de rappeler son appartenance à la social-démocratie, est apparu plus en adepte du « conservatisme » que du réformisme. Ce dernier courant de pensée considère le pouvoir non pas comme un privilège mais bien une force au service d’une idée. Une idée de progrès. Une idée qui a pour finalité la transformation de l’économie et de la société.
Comment pourrait-on transformer l’économie et la société congolaise en maintenant aux postes en vue des hommes et des femmes qui incarnent la décadence ambiante que d’aucuns appellent, à tort ou à raison, le « mal être » zaïro-congolais?
Contrairement aux autres peuples qui ont la fâcheuse habitude de régler leurs différends à coup de machette, les Zaïro-Congolais aiment vivre dans la paix et l’harmonie. Ils n’ont jamais souhaité l’avènement d’une révolution à la Robespierre où les dirigeants de l’ancien régime devaient rendre gorge sous la menace de la guillotine.
Épris de paix, les Zaïro-Congolais sont attachés à la justice. Ils savent que sans la paix et la justice, il ne peut y avoir de vie collective harmonieuse.
Dimanche 22 septembre, les spectateurs zaïro-congolais de TV5 n’ont pas manqué de crier leur stupéfaction – c’est un euphémisme – en entendant le successeur de « Joseph Kabila » articuler ces mots: « Ma philosophie est de tirer un trait avec le passé ».
L’exercice du pouvoir d’Etat rendrait-il amnésique? Devrait-on passer, par pertes et profits, tous les crimes économiques présumés au nom du « partenariat » entre le CACH et le FCC? Devrait-on passer, par pertes et profits, tous les assassinats et autres meurtres camouflés en crimes crapuleux pendant que des veuves et orphelins crient, non pas vengeance, mais justice au ciel? Quelle explication pourrait-on fournir aux familles et descendants d’Armand Tungulu, Floribert Chebeya, Fidèle Bazana, Rossy Mukendi et Thérèse Kapangala? Tous ces dignes filles et fils du pays et tant d’autres seraient morts pour rien? Au nom de quel principe?
Les mêmes spectateurs zaïro-congolais n’ont pas manqué de bondir de leurs chaises en entendant le « magistrat suprême » de leur pays clamer son aversion pour les « règlements de compte ». Qui a demandé au chef de l’Etat de mener une chasse aux sorcières? Personne! Nul ne lui demande non plus de « fouiner », selon le terme consacré, dans le passé. Encore moins de se substituer aux autorités judiciaires.
Les Zaïro-Congolais attendent, en revanche, que leur Président joue le rôle d’impulseur du progrès économique et social mais aussi d’une justice juste et humaine.
Une des branches du pouvoir exécutif, le Président de la République peut contraindre la justice congolaise à assumer ses responsabilités avec diligence et efficacité. A travers le ministre de la Justice, il peut donner des « injonctions positives » au ministère public, autrement dit les magistrats du parquet. L’objectif est que toute violation de la loi soit suivie de sanction immédiate. Et que tout laxisme dans le chef de ces magistrats fasse l’objet de mesures disciplinaires allant jusqu’à la révocation.
Dimanche le 22 septembre, l’image du président Fatshi est sortie brouillée de cette interview accordée à TV5 Monde. Les Zaïro-Congolais ont, sans doute, été pétrifiés t’entendre leur chef de l’Etat soutenir, avec une pointe de candeur, qu’au Congo-Kinshasa une « rétro-commission n’est pas illégale ». Et qu’elle n’est pas considérée comme une « corruption ». Un comble dans la mesure où une personne chargée d’une mission de service public ne peut recevoir une somme qui n’est pas due.
Voici ce que déclaraient Bruno Tshibala et Felix Tshisekedi, alors respectivement secrétaire général adjoint et secrétaire national chargé des Relations extérieures de l’UDPS. C’était lors d’un point de presse qu’ils avaient co-animé le 27 mai 2016 à Bruxelles: « (…), l’UDPS entend ainsi promouvoir une démocratie pluraliste véritable et vivante, instaurer la bonne gouvernance en luttant contre la prévarication, la corruption, la concussion et les autres antivaleurs (…)« .
L’incohérence entre le discours de l’ex-opposant Felix Tshisekedi et l’action de Tshisekedi Felix, devenu président de la République, est en passe de brouiller l’image de l’homme d’Etat.
L’heure a sonné pour se ressaisir en renouant avec les « valeurs fondamentales » ou subir, à court ou moyen terme, les effets d’une crise de confiance qui ne cesse de s’étendre entre le sommet de l’Etat et une partie significative de l’opinion…
Baudouin Amba Wetshi