Tout commence à Sun-City en 2002, après l’assassinat de Laurent Désiré Kabila, avec le fameux Dialogue « inter-congolais » où prennent activement part des Tutsis rwandais ou « Banyamulenge » (Banyarwanda), dont Azarias Ruberwa, qui vont décider, avec le consentement des gangsters congolais réunis sur place, du destin du peuple congolais. Afin de « bénéficier de l’égalité des droits et de la protection aux termes de la loi en tant que citoyens » tel qu’exigé à l’article 14, alinéa 1er de la « Constitution » de la Transition du 4 avril 2003, il sera ainsi prescrit dans la loi organique 04/024 du 12 novembre 2004 à l’article 6 ce qui suit: « Est congolais d’origine toute personne appartenant aux groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance ». Traduction: un tutsi de nationalité rwandaise ou un ndingari de nationalité sénégalaise, voire même un flamand de nationalité belge est Congolais d’origine au même titre qu’un muluba, un muyaka ou un mongo par le simple fait qu’il s’identifie à des individus qui se sont retrouvés sur le territoire qui couvre le Congo-Kinshasa et qui est éventuellement devenu « indépendant » à la date du 30 juin 1960. Curieusement, mais certes pour tenter de tromper la vigilance du peuple congolais sans modifier l’intention de la loi, le terme « nationalités » ne figure pas dans l’article 10 de la loi suprême reconnue à tort comme « Constitution » de la « République démocratique » du Congo du 18 février 2006! Une telle référence aussi explicite dans un document largement disponible aurait été suicidaire pour ces « hommes venus d’ailleurs »!
Lorsqu’Azarias Ruberwa, au cours d’une interview (cfr: https://www.youtube.com/watch?v=z2FQCnNUrks) publiée le 13 février 2016, déclare au micro de Marius Muhunga TV que « lorsque le Congo est devenu Congo en 1885… il y avait une composante de la communauté tutsi dans ce qui est devenu par la suite la RDC », le journaliste aurait pu lui poser la question suivante: laquelle? Car, il existe au Rwanda 20 clans (ubwoko en Kinyarwanda), à savoir Abanyiginya, Abagesera, Abega, Ababanda, Abacyaba, Abasinga, Abashambo, Abahinda, Abazigaba, Abungura, Abashingwe, Abenengwe, Abasita, Abatsobe, Abakono, Abanyakarama, Abarihira, Abahondogo, Abashambo, et Abongera. Ils ont tous la même langue (le Kinyarwanda), la même religion et la même culture. Et les deux groupes ethniques – Tutsi et Hutu – sont effectivement des classes sociales ou des catégories socio-économiques au sein de tous ces clans et ne peuvent en aucun cas être considérées comme « tribus », encore moins des « tribus congolaises »!
La Constitution de Luluabourg du 1er aout 1964 est la toute première à définir la nationalité congolaise à l’article 6 comme suit: « Il existe une seule nationalité congolaise. Elle est attribuée, à la date du 30 juin 1960, à toute personne dont un des ascendants est ou a été membre d’une tribu ou partie de tribu établie sur le territoire du Congo avant le 18 octobre 1908 », tout en prévoyant aussi à l’article 7 une option pour la naturalisation dans la loi organique nationale du 18 septembre 1965. Gardant cette même notion sociologique de la nationalité congolaise basée sur la tribu, la législation sur la nationalité durant la IIe République ne modifiera initialement que la date de référence du 18 octobre 1908 pour la remplacer par celle du 15 novembre 1908 dans la loi 72-002 du 5 janvier 1972, et par la suite, par celle du 1er août 1885 dans la loi 81-002 du 29 juin 1981. De même, n’y ayant trouvé d’inconvénient, Laurent Désiré Kabila maintiendra cette même provision de la loi pour ne changer que le nom du pays afin de l’adapter à la nouvelle terminologie due au changement de régime.
Mais quelle est la pertinence de toutes ces dates mentionnées dans la législation sur la nationalité congolaise d’origine? Il s’agit des références historiques pour une configuration ethnographique du Congo-Kinshasa par rapport à ses frontières héritées de la colonisation. Ayant aussi compris l’attachement d’un individu à sa communauté de base, nos koko – d’abord Joseph Kasa-Vubu, ensuite Mobutu Sese Seko, et plus tard Laurent Désiré Kabila – tenaient tous les trois à éviter toute confusion avec une identification basée sur les origines, notamment la tribu, laquelle distingue essentiellement un autochtone (mokolo mabele) d’un étranger (mopaya) qui avait d’ailleurs gardé son statut d’immigré ou réfugié après l’ « indépendance ». Car, ni la toute première carte ethnographique du Congo-Belge présentée par le révérend père Moellar de Laddersous en 1910, ni l’Encyclopédie du Congo-Belge, Tome 1, au chapitre 1er consacré au recensement de toutes les tribus ou ethnies du Congo-Belge, ni même la documentation relative à la région du Kivu et qui couvre la période de 1870 à 1918 publiée par l’archiviste belge EJ Vanderwood en 1939 ne signalent la présence d’une tribu « tutsi » ou « banyamulenge », encore moins « hutu » sur le territoire du Congo-Kinshasa.
Une première parenthèse. Le principe d’un « caractère strictement individuel » de la demande de la nationalité zairoise à l’époque ayant été introduit dans la loi 81-002 du 29 juin 1981 pour les originaires du Ruanda-Urundi, Azarias Ruberwa qui prétendait, au cours de la même interview accordée à Marius Muhunga TV, être fier d’être « tutsi » devrait éclairer l’opinion sur l’ajustement de son statut d’immigré ou réfugié à celui d’un Congolais d’origine qui l’aurait permis justement de rejoindre la course à la magistrature suprême en 2006. Peut-être qu’avec la nomination de son grand-frère comme « chef coutumier » à Minembwe (cfr: https://www.youtube.com/watch?v=RU_46ZEjaww), il n’est pas erroné de croire qu’il s’identifie alors, lui aussi, à la deuxième vague de ces réfugiés que la Croix Rouge avait installés dans les hauts-plateaux de Mulenge en 1964 et qui tentent de revendiquer une portion de terre congolaise sous le vocable frauduleux de « Banyamulenge ».
Il sied de mentionner qu’Azarias Ruberwa n’est pas le seul à trouver refuge dans l’article 6 de la loi 04/024 du 12 novembre 2004 qui lui reconnait la nationalité congolaise d’origine. Moise Katumbi Chapwe et Vital Kamehre, nés tous les deux des parents étrangers, sont parmi ceux-là qui peuvent aussi la revendiquer sans être inquiétés! Mais pendant que le premier demeure tout de même vague et inconfortable à chaque fois que la question sur ses origines lui est posée, le dernier, lui, ayant tenté en vain de convaincre l’opinion sur sa « congolité », s’identifie aux Bashi du Kivu par sa première épouse, semble-t-il, tout en évitant de présenter son arbre généalogique au risque d’exposer sa filiation, laquelle, selon Valentin Mubake, est repérée à l’autre rive de la rivière Ruzizi.
Une deuxième parenthèse. A côté de ces dates historiques qui ont servi de références à la configuration ethnographique du Congo-Kinshasa et qui ont été délibérément ignorées, non seulement le terme « tribu » qui figurait dans toutes les législations précédentes en la matière a été remplacé avec ruse par celui de « groupes ethniques » mais aussi le terme « ascendants » a été substitué par celui de « personnes » (une référence très vague) afin d’éviter de se conformer à la loi 197 du 29 janvier 1999 – la dernière à exiger implicitement en même temps une filiation ou un lien familial avec le terme précis « ascendants ». Et c’est ce qui explique l’émigration massive planifiée des Banyarwanda vers l’Est du Congo-Kinshasa et éventuellement la création des chefferies atypiques dont celle de Minembwe dans le Sud-Kivu qui est aujourd’hui une réalité avec l’installation officielle du grand frère d’Azarias Ruberwa nommé comme « chef coutumier » en violation de toute tradition ou pratique ancestrale!
La survie du Congo-Kinshasa en tant que nation aura ainsi été compromise par une élite « intellectuelle » congolaise.
Par Chryso Tambu
chryso45@hotmail.com