Le mercredi 15 août dernier, on apprenait l’arrestation du ministre de la Solidarité et des affaires humanitaires, Bernard Biango Sango. Celui-ci serait impliqué dans une affaire de détournement présumé de plusieurs centaines de milliers de dollars. L’interpellation de ce ministre n’a pas réellement surpris. La surprise est venue lorsqu’on a appris que l’homme était « gardé à vue » dans un des cachots de l’Agence nationale de renseignements, autrement dit la sûreté nationale. On cherche en vain le rapport existant entre cette affaire et la mission de « surveillance » dévolue à l’ANR. Les mauvaises habitudes ont décidément la peau dure. Depuis dimanche 18 août, un document intitulé « Réquisition d’information » circule sur les réseaux sociaux. Il émane de le haute direction des « services ». De quoi s’agit-il?
Revêtue de la signature « par la délégation » de l’administrateur général adjoint de l’ANR Jean-Hervé Mbelu Biosha, cette « Réquisition d’information » est adressée à l’inspecteur général des finances.
Pour l’essentiel, le patron de la sûreté nationale congolaise demande au numéro un de ce grand corps de l’Etat de remplir quatre « devoirs »: Auditer tous les décaissements des fonds du Trésor public en faveur de tous les ministères, depuis l’investiture du président Felix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, à ce jour; Saisir tous les bons de retrait de fonds émis par les différents ministères depuis l’investiture à ce jour; Exiger de ces différents ministères tous les dossiers par eux initiés pour sortir ces fonds et rédiger des rapports circonstanciés sur lesdits dossiers.
La démarche de cette Agence est dénuée de toute base juridique. Elle ne cesse de susciter un tollé d’indignation. La raison paraît simple: les agents de l’ANR ont le statut d’officier de police judiciaire (OPJ). Ils sont, à ce titre, des auxiliaires de justice et travaillent sous l’autorité du ministère public qui est seul compétent pour déclencher l’action publique. Dans le cas sous examen, la « réquisition d’information » devait émaner du procureur général près la Cour de cassation.
On ne pourrait s’empêcher de relever, par ailleurs, que l’ANR n’est pas habilitée à donner des directives à l’Inspecteur général de finances. Celui-ci relève de la tutelle du ministre des Finances. Ignorance? Incompétence?
Au plan juridique le document querellé est imputable à l’administrateur général de l’ANR, Justin Inzun Kakiak. Le « numéro 2 » Mbelu Biosha ne pourrait être blâmable que s’il avait agi à l’insu de son supérieur. Il semble que l’AG Inzun était absent. Il avait accompagné le chef de l’Etat au 39ème sommet de la SADC à Dar Es Salaam, en Tanzanie.
Autres questions. Le président « Fatshi » était-il informé de cette démarche? Si oui, pourquoi a-t-il préféré confier ce dossier aux « services » en lieu et place des autorités judiciaires? Si non, pourquoi Mbelu Biosha a semblé profiter de l’absence de son « titulaire » Inzun pour poser cet acte qui n’est ni plus ni moins qu’une usurpation de pouvoir? Inzun était-il au courant? Aurait-il flairé la « gaffe » en laissant la « patate chaude » à son adjoint jugé plus proche de la Présidence? L’ANR a-t-elle été instrumentalisée par un groupe d’intérêt? Qui représente ce groupe? Des questions qui restent, pour l’instant, sans réponses.
SÛRETÉ DE L’ÉTAT OU POLICE POLITIQUE
Le décret-loi n° 003-2003 portant création et organisation de l’Agence nationale de renseignements précise en ses points 2 et 3 que celle-ci a pour attribution « la recherche et la constatation, dans le respect de la loi, des infractions contre la sûreté de l’Etat » et « la surveillance des personnes ou groupes de personnes nationaux ou étrangers suspectés d’exercer une activité de nature à porter atteinte à la sûreté de l’Etat ».
Durant les années « Joseph Kabila » (26 janvier 2001- 24 janvier 2019), l’ANR a été détournée de sa noble mission de sûreté de l’Etat en se cantonnant dans un rôle de « police politique ». La sécurité nationale n’était plus dans son agenda. L’Agence s’est comportée en une milice au service des intérêts du PPRD et de ceux de son « initiateur ». Les opposants politiques et autres contradicteurs du régime ont été traqués et brimés.
A titre indicatif, l’opinion congolaise a encore frais en mémoire l’arrestation mouvementée, en octobre 2013, de l’administrateur-délégué de la Cohydro d’alors, Birindwa Lutshuera, en plein travail. L’action était conduite par l’administrateur principal du département intérieur, autrement dit le contre-espionnage, Jules Katumbwe bin Mutindi. Des coups de feu ont été entendus. Nul ne sait la raison.
Natif du Kivu, Birindwa ne dirigeait nullement un groupe armé. Il ne représentait pas non plus une menace pour la sécurité nationale. La raison de cette « expédition » est plus prosaïque. Il lui était reproché d’avoir passé commande de fuel auprès d’un autre fournisseur que celui désigné par la nomenklatura kabiliste représentée par Louise Munga Mesozi, alors ministre du Portefeuille.
On pourrait épingler tant d’autres exemples pour illustrer l’interventionnisme des services de renseignements. C’est le cas notamment des pressions exercées, en 2016, par l’administrateur général Kalev Mutond sur la juge-présidente Chantal Ramazani Wazuri du tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo. La juge avait reçu l’ordre impératif de « condamner » l’ancien gouverneur Moïse Katumbi Chapwe dans le fameux contentieux immobilier avec le Grec Stoupis. « Il est plus qu’étonnant de constater que l’administrateur général adjoint Mbelu Biosha n’ait même pas jugé utile d’adresser une copie de sa réquisition d’information au procureur général près la Cour de Cassation », commente un magistrat kinois.
On ne peut qu’espérer que le président « Fatshi » va se pencher sur ce dossier. Il devrait rappeler à la haute direction de l’ANR qu’elle n’est pas exonérée de l’obligation de se soumettre à la légalité. Et que l’Agence doit se conformer au « nouvel ordre politique » intervenu le 24 janvier 2019. Un nouvel ordre politique que se veut l’antithèse de l’Etat de non-droit de jadis.
Ne faudrait-il pas « dépolitiser » l’ANR en la détachant de la Présidence de la République pour la placer sous la double tutelle des ministères de la Justice et de l’Intérieur? Ne faudrait-il pas nommer un magistrat ou un juriste, à l’expérience éprouvée, à la tête des « services »?
Baudouin Amba Wetshi