Une fois n’est pas coutume, je dois faire usage de la première personne du singulier. Et pour cause, un ami nous a quittés ce dimanche 18 août 2019 dans un hôpital d’Alost (Région flamande). « Henri Godefroid Ekwalanga Mwampi est décédé à 10 heures ». Répandue sur les réseaux sociaux, cette triste nouvelle a surpris certains amis et connaissances du disparu. Des amis qui ignoraient les soucis de santé auxquels « Henri » faisait face. C’est mon cas. Voilà pourquoi, j’ai estimé que le meilleur hommage à rendre à ce « frère » est de publier les confidences qu’il m’avait faites en juillet 2010 avant de me demander instamment de « retarder » la publication. Natif du Kwilu, licencié en sciences politiques et administratives, « Monsieur Henri », comme j’avais l’habitude de l’appeler, fut un passionné des questions économiques et financières. Il avait, d’ailleurs, décroché un graduat en sciences économiques. Le 17 mai 1997, LD Kabila est porté à la tête de l’ex-Zaïre par l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaire). En 2000, Ekwalanga, ancien cadre supérieur chez « Orgaman », est embauché à la Présidence de la République en qualité d’expert chargé des enquêtes économiques, avec rang de conseiller. C’est le début d’une « aventure » qui va le conduire en exil…
Au mois de novembre 2000, l’expert Henri Ekwalanga est chargé d’une première mission en Belgique. Objet: enquêter sur des allégations de « pratiques illicites de la société Orgaman » du richissime homme d’affaires belge William Damseaux. Le mardi 16 janvier 2001, une nouvelle tombe: « Le président Laurent-Désiré Kabila a été victime d’un attentat ». Quelques heures après, le décès du chef de l’Etat congolais est confirmé.
Le même jour, de Bruxelles où ils se trouvaient, Ekwalanga et ses co-équipiers reçoivent l’ordre d’arrêter leur mission initiée, pourtant, par LD Kabila. Les enquêteurs venaient de découvrir, à Anvers, un container rempli de grosses coupures de la monnaie nationale. La société Orgaman est mentionnée comme étant le destinataire.
Le 26 janvier, « Joseph Kabila » est investi à la tête de l’Etat. Lors de sa toute première visite à Bruxelles en février 2001, le successeur de Mzee notifie à l’équipe la fin de leurs investigations. Dès son retour à Kinshasa, Ekwalanga est arrêté et embastillé à la prison centrale de Makala. Après sa libération, il reçoit des menaces de mort sur son téléphone. Sur conseil de ses proches, il décide de prendre le chemin de l’exil.
Flashback. Au cours de l’année 2000, plusieurs « expatriés » sont arrêtés au Congo-Kinshasa. A tort ou à raison, ils sont accusés de « bradage de la monnaie nationale ». Parmi ces étrangers, il y a un Belge et un Français. Au moment des faits, les deux Européens étaient cadres supérieurs à la Bralima (brasserie).
FRAUDES FISCALES ET DOUANIÈRES
Au cours de cette même année, le patron de la société « Orgaman », spécialisée à l’époque dans l’importation des vivres frais, est également dans le collimateur du pouvoir. « Cette entreprise était suspectée de fraudes fiscales et douanières ainsi que d’importations des produits avariés », confie Ekwalanga.
Dans une lettre n°130/0333/BK/JM/2000 datée du 31 mars 2000 servant de « sauf-conduit », Abdoulaye Yerodia Ndombasi, alors chef de la diplomatie congolaise écrit notamment: « Par la présente, je recommande à votre particulière attention Messieurs Ekwalanga Mwampi Henri et Tshitenge Kayembe Dieudonné, qui préparent, sous ma supervision, un dossier de grande importance, dont les résultats sont attendus par la haute hiérarchie ». « Cette recommandation concerne particulièrement leur sécurité et leur intégrité physique, car ces compatriotes nationalistes font l’objet de menaces et de tracasseries dans le but de les intimider, les décourager et ainsi les réduire au silence », poursuit-il. Et de conclure: « Pour leur permettre de continuer de travailler dans la quiétude, je vous prie d’instruire vos services afin que, d’une part, pour toute invitation ou convocation leur destinées, ils puissent m’en tenir préalablement informé, et que d’autre part qu’ils veuillent bien apporter leur concours à ces compatriotes en cas de nécessité ».
Les destinataires de cette « recommandation » sont: le chef d’état-major des FAC, l’inspecteur général de la police nationale, l’administrateur général en chef de l’ANR (Sûreté nationale), le directeur général de la Demiap (renseignements militaires) et le commandant du GSSP (garde présidentielle). Copie de ce document est réservée au président LD Kabila. Inutile de souligner qu’il s’agissa d’un dossier estampillé: « sécurité nationale ».
Le 8 novembre 2000, le ministre de la Justice et des affaires parlementaires, le tout-puissant Jeannot Mwenze Kongolo, signe l’ordre de mission collectif n°042/CAB/MIN/J&AP/2000 en faveur de: Bondo Landu Achille, Masudi Kasilembo, Ekwalanga Mwampi et Tshitenge Kayembe respectivement assistant du ministre de la Justice, directeur du Bureau national d’Interpol en RD Congo et Experts. Durée: 7 jours. L’objet de la mission est libellé comme suit: « enquête judiciaire sur les circuits d’approvisionnements et les opérations financières relatives à l’importation de vivres à destination de la RD Congo; contacts avec les autorités judiciaires belges et le Bureau de l’Interpol/Belgique ».
COMMISSION ROGATOIRE
Le 1er décembre 2000, l’avocat général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe d’alors, Grégoire Munoko Vunda, agissant par délégation du procureur général Victor Mumba Mukomo « en congé », émet la commission rogatoire internationale n°1695/PG 030/021/33165/MM. Le procureur du Roi à Bruxelles, à Turnhout et à Anvers, en Belgique, sont saisis des suspicions graves qui pèsent sur Damseaux. Les autorités judiciaires à Monaco et en Hollande, sont également saisies.
Dans l’exposé des faits que j’ai pu parcourir, le procureur général près la Cour d’appel de la Gombe écrit noir sur blanc ce qui suit: « La société Orgaman du Groupe William Damseaux est une société qui contrôle actuellement 80% du marché congolais des denrées alimentaires et se spécialise dans l’importation de vivres frais (…), des pièces de rechange et autres biens d’équipement. (…). En effet, la société française Frigocap (…) et la société belge Sogeminco (…) passent pour des fournisseurs de la société Orgaman, mais sont en réalité ses filiales ».
Après « plusieurs recoupements », poursuit le magistrat, « la justice congolaise a fini par établir à charge de William Damseaux que les sociétés Sogeminco et Frigocap ont été créées pour couvrir toutes ses fraudes (fiscales et douanières) par la pratique de fausses factures et des faux bons de commande ».
Sans aller par quatre chemins, le magistrat accuse William Damseaux d’ « intoxiquer la masse congolaise par l’importation et la vente des produits surgelés avariés ». Pour lui, les complices « restent à identifier » tant du côté de la multinationale SGS que de l’Office Congolais de Contrôle (OCC).
Selon Ekwalanga, lors d’une investigation menée à Anvers, l’équipe d’enquêteurs a découvert plusieurs containers remplis de billets de banque de la monnaie congolaise. Le destinataire de ces « marchandises » n’est autre que la société Orgaman. Un rapport circonstancié est aussitôt transmis au président de la République.
A Kinshasa, le Mzee convoque Damseaux et le met aux arrêts. On apprendra que quelques mois auparavant, les « services » avaient eu connaissance de plusieurs cas de coupures de 100 Fc en circulation portant le même numéro.
Le 5 janvier 2001 soit onze jour avant la mort de LD Kabila, le ministre Mwenze Kongolo signe un nouvel ordre de mission – le troisième – qui porte le numéro 001/C1104/CAB/MIN/J&AP/2001 pour une nouvelle durée de 15 jours. Le deuxième a été émis le 13 décembre 2000 sous la référence 046/CAB/MIN/J&AP/2000.
« STOPPER LA MISSION »
Le 16 janvier 2001, la terre entière apprend la nouvelle de l’assassinat du président congolais Laurent-Désiré Kabila en sa résidence du Palais de Marbre. A en croire Ekwalanga, le même jour, le ministre Mwenze Kongolo lui intime l’ordre de « stopper » cette mission. Sur ces entrefaites, William Damseaux est remis en liberté. Coïncidence ou pas, de retour des Etats-Unis où il venait de prendre part au « Petit déjeuner de prière » organisé chaque année par des congressistes américains, « Joseph Kabila », fait escale à Bruxelles. Il s’empresse d’enfoncer le clou en enjoignant aux enquêteurs de tout arrêter. Pour les enquêteurs, les ennuis ne faisaient que commencer.
Dans une lettre datée 26 octobre 2001, l’association de défense des droits de l’Homme « Asadho » s’est saisi de ce cas en écrivant au ministre des Droits humains: « ( …) depuis leur retour au pays, note Amigo Ngonde, alors président de l’Asadho, sieurs Ekwalanga et Tshitenge font l’objet de menaces d’atteinte à leur intégrité physique. En effet, dans la nuit du 22 au 23 mars 2001 entre 19 heures et 23 heures, ils ont reçu séparément des coups de fil anonymes les menaçant de mort ».
Selon l’Asadho, en date du 8 mai 2001, les deux fonctionnaires ont été « victimes d’enlèvement » par des éléments armés non autrement identifiés. Les mêmes menaces de mort ont été réitérées lors de cet enlèvement. L’association de déplorer que la plainte déposée par les intéressés à ce sujet « n’a pas encore donné des résultats à ce jour ».
Pour la petite histoire, la société Orgaman a quitté le secteur de l’import-export des vivres surgelés. La place est désormais occupée par un nouvel opérateur dénommé « Egal ». En filigrane, on trouve la fratrie « Kabila » et son « bras financier » Albert Yuma Mulimbi. Selon l’ex-banquier Jean-Jacques Lumumba, la Banque centrale du Congo avait octroyé à la société « Egal » un « crédit » estimé à plus de 42 millions USD.
Ce dimanche 18 août 2019, Henri Gode froid Ekwalanga s’en est allé sans doute avec d’autres secrets. Aucun mot ne pourrait consoler sa famille et ses amis. Paix à son âme!
B.A.W.