Nommé Premier ministre le 20 mai dernier, Sylvestre Ilunga Ilunkamba commence, petit à petit, à révéler la direction qu’il entend donner à la fonction de chef du gouvernement. L’homme mène une opération-charme en direction des organismes de contrôle de la gestion des finances publiques. Manœuvre politicienne pour affaiblir un « adversaire » néanmoins « partenaire » ou l’affirmation d’une réelle volonté de « gouverner autrement »?
Après la publication du tableau de répartition des ministères entre la mouvance kabiliste dite « Front commun pour le Congo » (FCC) et le Cap pour le Changement (CACH) du duo Tshisekedi-Kamerhe (42 ministères au FCC, 23 au CACH), le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba – qui piaffait d’impatience de commencer le processus de son entrée en fonction – doit se frotter les mains. Il consulte.
Il consulte les deux partenaires de cette improbable coalition CACH-FCC représentés respectivement par Néhémie Mwilanya et Jean-Marc Kabund sur l’attribution des maroquins.
En fait de consultations, le « Premier » Ilunga joue un rôle qui s’apparente à celui d’un « observateur semi-passif » qui se contente d’exécuter les instructions des « coalisés ». Samedi 3 août, il a ainsi publié le fameux « fil conducteur » qui décrit le « profil idéal » pour être admis au petit cercle des « ministrables ».
DES VISITES TRÈS PEU INNOCENTES
En attendant que les « grands prêtres » de ces deux plateformes politiques terminent le partage du « gâteau national » à leurs ouailles, Ilunga Ilunkamba s’occupe à sa manière.
En « vieux singe de la politique » à qui l’on n’apprend plus à faire la grimace, l’homme prend des initiatives. Il a effectué deux visites qui sont loin d’être innocentes.
Le vendredi 2 août, il a visité l’Inspection générale des finances (IGF). Histoire de s’informer sur l’état de fonctionnement de ce grand corps de l’Etat censé occuper une place de premier plan dans la promotion d’une gestion saine des finances publiques tant au niveau national et provincial que des entreprises publiques. Il en a profité pour écouter les inspecteurs de finances. Ceux-ci lui ont fait part des « maux » dont souffre cet organisme public.
Lundi 5 août, le successeur de Bruno Tshibala – qui a visité auparavant la Cour des comptes – s’est rendu à la Direction générale du contrôle des marchés publics (DGCMP). Il s’est limité à écouter les explications du directeur général Michel Ngongo.
Les oreilles du président Felix Tshisekedi et de son « dircab » Vital Kamerhe n’ont pas manqué de siffler en parcourant le bulletin daté du 6 août de la très officielle Agence Congolaise de Presse. On peut y lire notamment que le « personnel » de ce service public a fait état des pressions qu’il subit « tout au long des procédures d’attribution des marchés publics, parfois même des autorités publiques censées veiller à l’application de la réglementation sur la passation des marchés ». Suivez son regard!
RENFORCER LE CONTRÔLE
En réponse, le « Premier » a pris l’engagement de « renforcer le contrôle dans la procédure de passation des marchés publics ». Il a, par ailleurs, exhorté les cadres et agents de la DGCMP Congo, « à résister aux pressions d’où qu’elles viennent ». Vous avez bien entendu!
Coïncidence ou pas, le vendredi 2 août, le président du conseil d’administration de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), Claudien Mulimilwa, a animé un point de presse au cours duquel il a plaidé en faveur d’une « réforme » du système de passation des marchés publics. Selon lui, Il s’agit d’une « réforme majeure » dont la finalité est de permettre aux pouvoirs publics de savoir « comment l’argent de l’Etat a été dépensé ».
Depuis sa création en 1982, l’UDPS a fait du « changement » l’Alpha et l’Omega de son combat politique. Par changement, il faut entendre l’instauration de l’Etat de droit et la bonne gouvernance. Sans omettre la lutte contre les antivaleurs dont la corruption et l’impunité. « J’ai un cap que je me suis fixé. Je veux le changement. Le changement alors radical en mettant fin aux mauvaises habitudes telles que la corruption, l’impunité. Je suis déterminé. Rien ne m’empêchera de le faire », déclarait le successeur de « Joseph Kabila » dans l’interview qu’il avait accordée à France 24 et RFI? C’était le 29 juin.
Sept mois après l’investiture de Felix Tshisekedi à la tête de l’Etat, l’homme a tenu certaines de ses promesses. C’est le cas notamment de la libération des prisonniers politiques et d’opinion et le retour des exilés. Il faut bien reconnaître qu’en dépit de la répression de la marche pacifique organisée par Martin Fayulu le 30 juin dernier, le pays baigne dans une relative ambiance libérale.
Au cours de ces sept mois, le nouveau chef de l’Etat a semblé bien en peine de faire ce qu’il dit. Il a laissé apparaître des « défaillances ». D’abord, dans la gestion des ressources humaines. Le choix des collaborateurs a mis en exergue un manque criant de rigueur voire une certaine légèreté. Les « couacs » ne se comptent plus. Il y a ensuite la désacralisation de la fonction présidentielle par les fuites de documents ainsi qu’une « gestion artisanale » de l’image du premier magistrat du pays.
LE POUVOIR REND FOU, SOURD ET AVEUGLE
Felix Tshisekedi et Vital Kamerhe ont donné jusqu’ici l’impression d’ignorer que les détenteurs du pouvoir d’Etat communiquent par l’action et non par le discours. Il y a eu beaucoup d’effets d’annonce. Pire, la Présidence de la République est loin de prêcher par l’exemplarité en matière de l’Etat de droit et de bonne gouvernance. La bonne gouvernance renvoie à la transparence, la gestion financière saine ainsi que l’obligation de rendre compte. L’institution Président de la République a posé des actes de gestion alors que la Constitution l’exonère de l’obligation de rendre compte.
C’est à croire que le pouvoir rend sourd et aveugle. Et pourquoi pas fou? Dieu seul sait le nombre de contrats de gré à gré signés par le directeur de cabinet du chef de l’Etat en violation de la législation sur la passation des marchés publics.
Au bout de sept mois, le président « Fatshi » a révélé ses « lacunes ». Et ce au « grand bonheur » d’un « Joseph Kabila » en quête d’auto-réhabilitation. Au lieu de réduire le train de vie de l’Etat, « Felix » est apparu dépensier. Prodigue. D’aucuns lui collent l’épithète très peu gracieux de « jouisseur ».
Les adversaires du duo Tshisekedi-Kamerhe sont à l’affût. Ils ont décidé de ne plus laisser à la coalition CACH le monopole du « combat » pour l’instauration de l’Etat de droit. Il en est de même du combat contre la corruption et les antivaleurs.
En visitant l’IGF ET la DGCMP après un passage à la Cour des comptes, le Premier ministre Ilunga Ilunkamba et ses « mentors » ont annoncé les couleurs. Ils vont affronter le CACH sur son propre terrain de l’éthique. La « cohabitation » s’annonce houleuse entre les deux têtes de l’Exécutif. Qui dégainera le premier?
Baudouin Amba Wetshi