Dans notre pays, la corruption de nos criminels en col blanc, leur incompétence et leur total désintérêt pour l’avenir du pays et des populations ont entraîné la disparition de l’état de droit et le dysfonctionnement de toutes les institutions politico-administratives du pays y compris les hautes instances judiciaires. L’impunité totale des criminels en cols blanc entraîne celle des forces de « sécurité » et ainsi tous les mécanismes de règlement pacifique de conflits ont disparu. Tout se gère et se règle désormais par la violence et par la violation quotidienne des droits de l’homme. Chaque mois le bureau conjoint… fait le triste bilan (qui se répète quasiment à l’identique), de plus de 500 atteintes aux droits de l’homme et de plus de 50 assassinats dont plus de moitié imputés aux « forces de l’ordre ». Une grande partie des forces de sécurité sont partenaires des groupes armées qui agissent souvent comme supplétifs pour le racket des creuseurs et d’autres sales besognes.
Par leur corruption, nos criminels en col blanc sont les principaux profiteurs et responsables du désastre sécuritaire, économique et social dont notre pays est la victime. Régulièrement ces crimes sont accompagnés de déplacements de centaines de milliers de compatriotes, hommes femmes et enfants dont les plus chanceux arriveront dans des camps de réfugiés mais de nombreux y laisseront la vie. Ajoutons la malnutrition sévère qui frappe des millions de personnes et le retour des épidémies et on a une idée de la responsabilité de nos criminels en col blanc.
Le lien de cause à effet entre corruption des criminels en cols blancs d’une part et insécurité, déplacement de millions de personnes, misère, famine et épidémies ne fait aucun doute en RDC depuis belle lurette. Sur le plan international, depuis une quinzaine d’années, la corruption est considérée comme une cause importante de retard économique de conflits armés et de misère des populations. En 2003, les UN ont établi un traité international appelé la Convention des Nations Unies contre la corruption (UNCAC) qui a été adopté par la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies 58/4 du 31 octobre 2003. À la date du 3 octobre 2017, 140 pays ou organisations l’avaient signée et 186 pays l’avaient ratifiée.
C’est ainsi que « la lutte contre la corruption » a fait son entrée dans les agendas internationaux et dans les discours hypocrites des politiciens à tous les niveaux. Le récent discours du président actuel de la RDC en est un parfait exemple. Nous y reviendrons.
Quels sont les acteurs de la « lutte contre la corruption »?
a) De nombreuses personnes (y compris nos politiciens les plus véreux) et organisations de la société civile congolaise, des ONG internationales et même des pays et organisations internationales proclament leur volonté de lutter contre la corruption. La plupart sont dans l’incantation sous forme de « déclaration d’inquiétude et de préoccupation » d’ « opinions et tribunes libres ». Comme l’a fait remarquer récemment et très justement Baudouin Amba Wetshi, dans un article concernant le discours du 11 juillet de l’actuel président consacré à la lutte contre la conspiration, les corrompus ne craignent pas les incantations, ils s’en moquent. Le discours du président est en effet une véritable moquerie et relève de la farce grotesque.
Il a participé et est bénéficiaire d’une énorme fraude électorale qui fait partie des formes de corruption les plus graves. Depuis qu’il est président, aucune initiative n’a été prise pour réaliser des audits sérieux des rouages essentiels du gouvernement y compris les entreprises publiques. Pire: ses services passent des marchés irréguliers pour des centaines de millions de $US, et poussent le culot à signer les contrats avec des sociétés créés à cet effet quelques semaines auparavant. Dans ces conditions, son discours va dans la droite ligne de ceux qui pensent qu’il suffit de nommer le mal pour le faire disparaître. On est dans l’incantatoire.
b) D’autres font chaque mois la comptabilité lugubre du nombre de victimes, morts, blessés, violé(e)s, déplacés, affamés et victimes des épidémies. Souvent les causes sont évoquées, parfois analysées mais le plus souvent sans effet sur nos criminels en cols blancs. On est encore dans l’incantatoire.
c) D’autres encore font des enquêtes et des études, mettent en œuvre des moyens matériels et humains importants, décrivent minutieusement les crimes commis et publient régulièrement les résultats, souvent remarquables, de leurs travaux. Mais encore une fois l’effet sur les criminels semble faible et ne dépasse pas ceux des incantateurs qui ne disposent pas des même « dossiers ». Serait-on encore dans l’incantatoire?
d) Une dernière catégorie comporte les membres de la « communauté internationale » parmi lesquels lesquels figurent certains Etats qui ont des dispositifs anti-corruption efficaces et également les « chantres » de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption dont les pratiques sont souvent loin des paroles. Il s’agit principalement de bureaucraties internationales qui par essence ont pour objectif principal leur propre croissance et leur propre pouvoir. Leurs animateurs sont dès lors réticents à intervenir dans un secteur considéré « à risque » (surtout pour leur carrière).
Quels sont les effets concrets des actions menées par tous ces acteurs de « La Lutte Contre La Corruption »?
Pour le citoyen lambda qui est resté au village, pour ceux qui ont fui la misère des villages pour trouver celle, pire, des centres urbains ou encore pour les millions de déplacés, pour les agressés, les affamés et les violés, la situation s’empire chaque jour. Ils n’ont plus aucune foi ni dans les autorités locales ni dans les organisations internationales ni dans les ONG, même celles actives pour contenir les épidémies.
Les dirigeants du pays
Les espoirs suscités par ce qui a été appelé « transition pacifique » sont balayés par le renforcement du FCC dans toutes les institutions et l’arrivée de nouveaux arrivés à la mangeoire. Les récentes dépenses de la nouvelle présidence et les marchés passés en toute opacité pour des centaines de millions de dollars enlèvent toute crédibilité au nouveau président lorsqu’il parle de lutte contre la corruption et de « déboulonnage » du vieux système qui grâce aux accords FCC/CACH se porte mieux que jamais.
La société civile
La plupart des organisations de la société restent d’une extrême prudence et restent le plus souvent dans l’incantatoire. Même les courageuses organisations religieuses marquent le pas et cherchent un second souffle. Il y a cependant des organisations qui donnent de l’espoir et notamment la LUCHA qui fait preuve de courage et en a payé le prix fort. Plus récemment une organisation de promotion de bonnes pratiques dans la passation des marchés publics vient de lancer la dénonciation, bien documentée des violations des lois lors de la passation des marchés par la présidence où sévissent les nouveaux criminels en col blanc. Ils pourraient devenir les nouveaux promoteurs de la transparence en publiant et commentant les audits des marchés publics.
Les acteurs « internationaux »
Deux principaux types: les pays et les institutions qui les représentent et les organisations de type ONG.
Les pays et leurs institutions
Au cours des 15 dernières années, des progrès incontestables ont été faits depuis la signature par une majorité de pays, de la Convention des Nations unies contre la corruption (UNCAC). Cette convention précise les concepts, établit des normes de nature procédurale et les règles organisant la coopération internationale. Elle comporte également des dispositions de prévention de la corruption et de la restitution des avoirs acquis illicitement.
Elle constitue la base juridique pour des actions en justice contre les criminels en cols blancs.
Plusieurs pays ont adopté des lois ciblant la corruption. A titre d’exemple, depuis 2011, le Royaume Uni a adopté le « Bribery Act » qui est recommandé par l’OECD comme un standard dans le domaine. Ils ont aussi le « Stolen Asset Recovery Initiative » qui facilite la confiscation de biens appartenant aux corrompus et leur restitution aux pays victimes. Il y a aussi le Serious Fraud Office (SFO) qui a déjà montré de l’intérêt pour des activités suspectes en RDC.
Il existe des lois similaires dans de nombreux autres pays. Au cours des dernières années, de nombreuses entreprises et individus ont été condamnés à des amendes record pour des faits de corruption.
En 2018, 16 entreprises issues de 7 pays ont versé un montant total record de 2,89 milliards de dollars pour des faits ou des soupçons de corruption en infraction avec le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) américain. Source http://www.fcpablog.com/blog/2019/1/2/2018-fcpa-enforcement-index.html. Un nombre important d’individus ont aussi été poursuivis (voir même source).
On constate que la majorité des entreprises concernées se trouvent dans le « groupe des corrupteurs » provenant des pays occidentaux. Peu d’exemples de poursuites contre des individus corrompus ou sociétés hors pays occidentaux. Pour la RDC, il y a eu quelques cas de sanctions individuelles sans beaucoup de conséquences pour les concernés. Mais il s’agit d’un bon début. En France, des actions en justice ont été menées contre des membres de famille de deux chefs d’état africains. D’autres pays et individus de pays qui ne font pas partie du groupe occidental ont été condamnés à de lourdes peines. Une société Brésilienne Petróleo Brasileiro S.A. plus connu sous le nom de Petrobas (compagnie pétrolière et gazière) a accepté de verser 1,78 milliard de dollars pour des affaires de corruption et de truquage des offres.
Les sanctions et les actions en justice contre des criminels en col blanc considérés jusque peu comme « intouchables » et contre des sociétés puissantes jouissant d’une totale impunité montre que des actions en justice sont possibles.
Les sanctions, poursuites, amendes et peines de prison ouvrent une brèche dans l’impunité des corrompus en col blanc et leurs entreprises et constituent une grande avancée dans la lutte contre la corruption.
On n’est plus dans l’incantatoire!
Comme la majorité des concernés sont des étrangers l’effet en RDC est encore faible. Si des actions similaires pouvaient être intentées, en RDC ou ailleurs, contre ceux du camp des « corrompus » (qui sont souvent aussi corrupteurs), la tendance pourrait s’inverser et la peur changer de camp. De nombreux compatriotes, révoltés par le principe de la corruption, même si parfois ils en profitent, dénonceront les cas flagrants de corruption, surtout chez leurs chefs, nos criminels en col blanc. On assisterait ainsi au début de l’établissement d’un état de droit. Un signe encourageant est la « fuite » de documents relatifs à de commandes importantes faites par la présidence au mépris des lois et la plainte déposée par une organisation courageuse auprès de l’autorité de régulation des marchés publics.
Les organisations internationales telles que les UA, les NU, l’UE, la BM et le FMI pourraient jouer un rôle déterminant dans la lutte contre la corruption. Malheureusement elles font preuve de beaucoup de réticence pour des raisons qui seraient politiques et bureaucratiques et notamment par les limitations de leur mandat ou l’interprétation limitative qu’ils en font en vue de préserver « la stabilité » dans les pays concernés. On ne peut que déplorer l’incapacité de la Monusco avec son effectif de plus de 15.000 personnes à protéger une dizaine de centres de traitement de d’Ebola pour des raisons qui seraient liées à leur fameux mandat.
Sur le plan international il faut aussi signaler le vent de transparence qui souffle depuis les révélations de Wikileaks, les Panama papers etc. qui ont eu des répercussions jusqu’en RDC.
Certaines ONG spécialisées en études et investigations destinées à la défense de droits humains, de la transparence et de l’état de droit ainsi que d’analyses économiques et sociales concernant la RDC font en travail remarquable et publient régulièrement des rapports dénonçant les crimes.
Malgré les ressources financières et humaines mises en œuvre pour la lutte contre la corruption par de multiples organisations les effets sur les criminels en col blanc et leur pratiques on peut se demander pourquoi les résultats sont si faibles et pourquoi notre pays s’avance chaque jour un peu plus dans les eaux troubles de la corruption et de leurs conséquences dramatiques? Hier les opérations opaques du secteur minier ainsi que de vastes escroqueries comme Bukanga Lonzo, aujourd’hui des marchés de gré à gré s’élevant à des centaines de millions pour des palais présidentiels, pour un projet immobilier de maisons containers, pour des travaux routiers etc.
Pourquoi ces faibles résultats?
Phil Mason, qui a été « senior anti-corruption adviser » au DFID (cooperation britannique) donne quelques pistes d’explication dans un article intitulé: « Reflections of an anti-corruption fighter ». (https://voices.transparency.org/reflections-of-an-anti-corruption-fighter-bc5cfff8f4f3)
Il explique notamment la position ambiguë de la BM et du FMI et leur attitude passive voire complaisante vis-à-vis des criminels en col blanc. Selon lui « la BM a toujours refusé de s’impliquer dans les cas de corruption » sous prétexte que « c’est une affaire d’ordre public (law enforcement) et de politique et donc hors de notre mandat ». Le FMI expliquerait aussi sa passivité vis-à-vis de la corruption: « nous sommes dans le business de la stabilité économique et si la lutte contre la corruption déstabilise les choses ce serait contre notre mandat ».
Phil Mason admet que le FMI fait des progrès depuis que la prise en compte de la corruption fait partie des consultations annuelles au titre de l’article IV. Le FMI a suspendu son programme avec la RDC depuis 2012 suite au manque de transparence de certaines opérations minières.
Phil Mason cite plusieurs facteurs qui expliquent en grande partie pourquoi la plupart des pays où la corruption règne toujours semblent peu différents de ce qu’ils étaient il y a 10, 20 ans ou plus, en dépit de « l’assistance » fournie par les donateurs. Parmi ces facteurs:
- Une approche strictement technique du problème: « D’abord et avant tout, les agences donatrices ont eu tendance à considérer la corruption comme un simple problème technique pouvant apporter une solution technique et être gérée selon les mêmes méthodes de fonctionnement que tous les autres problèmes techniques freinant le développement. Le ‘renforcement des capacités’, ‘l’assistance technique’ et la formation sont les agents du changement… »
- Une approche naïve et cynique à la fois des programmes. « Je me suis souvent émerveillé (désespéré?) de voir à quel point des personnes très intelligentes pouvaient concevoir et gérer leurs programmes de lutte contre la corruption, apparemment inconscientes de la réalité politique qui les entourait et que tout le monde pouvait voir ».
- Les institutions internationales privilégient les « bonnes relations » avec les « gouvernements » même s’ils sont truffés de corrompus. Afin de développer les bonnes relations et l’évolution de leur propre carrière ils arrivent à soutenir des projets qui sont des pièces d’anthologie de grande corruption. En RDC le projet Bukanga Lonzo est un des derniers cas où la BM et la BAD se sont distingués.
Concernant les acteurs internationaux, je fais mienne une des conclusions de Phil Mason: « Des années passées au sein de mon agence m’ont permis de comprendre de manière troublante la manière dont nous menions nos affaires nous laissait peu de chances de véritablement affecter la corruption dans les endroits que nous prétendions aider. Je crains que nous ayons pu avoir l’effet contraire. Je crains que notre contribution la plus probable ait été de créer un théâtre d’illusions, les donateurs et l’hôte étant complices d’un prétexte commode mutuellement convenable ».
L’expérience des actions contre la corruption menées par certains pays, institutions et ONG montre que l’incantatoire a peu d’effets et que seul des poursuites judiciaires musclées et médiatisées ont un effet sur les criminels en cols blancs.
Par Jean-Marie Lelo Diakese