En approuvant la décision du gouverneur de la ville de Kinshasa « de ne pas prendre acte » de la manifestation organisée le 30 juin par la Coalition « Lamuka » au motif, selon lui, qu’il y a des gens « qui cofondent démocratie et anarchie », le président Felix Tshisekedi Tshilombo a tourné le dos au discours réformiste et progressiste qu’il tenait jadis face au « dictateur » « Joseph Kabila », devenu aujourd’hui son « allié politique ». Après la « décrispation politique » et une certaine ambiance libérale qui ont été saluées au cours de cinq derniers mois, le successeur de « Kabila » parait décidé à durcir le ton à l’égard de ses anciens camarades devenus ses « pires adversaires politiques ». A Kinshasa et à Goma, les Congolais ont assisté, dimanche 30 juin, à des scènes qu’ils ne pensaient plus revoir après l’investiture de « Fatshi » au sommet de l’Etat. Des policiers ont faire usage de gaz lacrymogènes tout en brutalisant des manifestants. Des informations fragmentaires font état d’un mort au chef-lieu du Nord-Kivu. Des arrestations auraient eu lieu dans la capitale. A l’instar de son prédécesseur, le nouveau chef de l’Etat a désormais des « zélateurs-fanatisés » qui donnent de la voix pour justifier l’injustifiable. On n’est pas sorti de l’auberge!
Contrairement à la « loi » non-écrite selon laquelle « un événement chasse l’autre », l’allocution prononcée, dimanche 30 juin, par le président Felix Tshisekedi Tshilombo à l’occasion de la commémoration du 59ème anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Congo, n’a pas réussi à « détrôner » l’interview accordée la veille aux médias publics français France 24 et Radio France Internationale.
La célébration de l’anniversaire d’un Etat est généralement l’occasion pour les dirigeants de faire le point sur le chemin parcouru. Nombreux étaient, sans doute, les Congolais qui espéraient entendre le nouveau chef de l’Etat répondre à une question cruciale: Qu’avons-nous fait avec nos 59 années d’indépendance?
En lieu et place d’inviter ses compatriotes à méditer sur cette interrogation et d’en tirer des leçons pour affronter l’avenir, le successeur de « Kabila » a estimé plutôt qu’il était, pour lui, « de bon ton, après cinq mois à la tête du pays » de dire à la population les réalisations à mettre « à l’actif » de son « administration ».
Dans son speech, le président Tshisekedi a commencé par évoquer la « mise en place imminente » du tout premier gouvernement de son ère. Dans l’entretien avec France 24 et RFI, samedi 29 juin, le locuteur n’était pas sûr du « moment exact » auquel interviendra la publication de la composition du nouveau cabinet. « Je ne sais pas parce que les discussions continuent poste par poste et chaque candidat ministre est passé au crible, déclarait-il à Christophe Boisbouvier et Marc Perelman. Ça avance à petit pas ». Qu’est ce qui a changé en l’espace de 24 heures?
« L’ACTION EST LA MEILLEURE DE COMMUNICATION »
« L’action est la meilleure de communication », disait Napoléon. Pour celui-ci, un dirigeant doit laisser ses réalisations parler pour lui. L’action. doit précéder la communication et non le contraire.
Sous le pouvoir kabiliste, les gouvernants avaient l’habitude de clamer leur « détermination » à faire ceci ou cela. Sans poser des actes. Les mauvaises habitudes ont la peau dure.
Le discours président « Fatshi » est un mélange de projets en cours de réalisation et des simples desiderata. Des vœux. On peut citer: « La problématique de l’eau et de l’électricité à Kinshasa et dans l’arrière-pays se doit d’être définitivement résolue »; « Mon objectif à terme est d’assurer l’autosuffisance alimentaire à toutes les Congolaises et à tous les Congolais »; « (…), je vous annonce ma détermination à engager le gouvernement à répondre aux attentes de la population par des réformes nécessaires au développement de notre pays »; « De la même manière, je prendrais des mesures pour lutter contre le chômage des jeunes ».
Dans le lexique de droit constitutionnel publié par « PUF » (Presses universitaires de France), le mot « alternance » est défini comme suit: « Mode de dévolution du pouvoir dans une démocratie consistant dans le remplacement d’une majorité politique par une autre, au moyen de l’exercice du droit de vote ».
Il est assez surprenant d’entendre le président Tshisekedi parler d’ « alternance pacifique » alors que l’ancienne majorité parlementaire pro-« Kabila » a été reconduite et continue à garder le contrôle de tous les leviers du pouvoir. Cette dernière n’a « perdu » que le poste de Président de la République.
Revenons à l’interview que le chef de l’Etat a accordée aux deux médias publics français.
Au niveau de la forme (le visuel et le vocal), l’interviewé est apparu quasiment sans reproches. Tenue vestimentaire sobre et impeccable. L’homme est resté tel qu’on l’avait connu avec une intonation vocale posée. Modérée. Il n’a fait preuve ni de suffisance ni de froideur. Ceux qui le côtoient sont unanimes: « Felix n’est pas un roublard ni un tueur ». Question: serait-il resté le même après avoir goûté aux délices du pouvoir? La réponse est donnée dans le fond de cet entretien.
Les téléspectateurs de France 24 et les auditeurs de RFI n’ont pas manqué de « tressaillir » en entendant le locuteur qui a passé toute sa jeunesse dans l’adversité – aux côtés de son père l’opposant historique Etienne Tshisekedi wa Mulumba – approuver le refus du gouverneur de la ville de Kinshasa de « prendre acte » de la manifestation pacifique prévue le dimanche 30 juin par la coalition politique « Lakuma » qui incarne désormais l’opposition à la coalition CACH-FCC. « Bien-sûr que je suis d’accord avec cette interdiction. Il y a une manifestation qui a été ‘autorisée’ qui a donné lieu à des débordements. Les droits et les libertés du citoyen sont garantis mais nous avons comme l’impression qu’il y a de gens qui cofondent démocratie et anarchie (…)« , déclarait-il. Aurait-il adhéré à cette position au moment où il militait dans les rangs de l’opposition?
Aux dernières nouvelles, on déplore un mort à Goma. A Kinshasa, des manifestants ont été bastonnés par des policiers comme le montre cette image capturée sur l’écran de France 24. Tshisekedi avait prétendu dans son interview qu’ « il n’y aura pas de répression ». Une promesse non tenue.
LA TENTATION CONFORMISTE
Felix Tshisekedi a-t-il perdu de vue que l’article 26-2 de la Constitution en vigueur a remplacé le « régime d’autorisation » par celui d’ « information par écrit » en ce qui concerne l’organisation des manifestations sur les voies publiques ou en plein air?
Plus surprenant encore, il a lancé des « menaces subliminales » en déclarant que « M. Fayulu a le droit de s’exprimer tant qu’il ne diffame pas ». Martin Fayulu est très peu réputé pour ses qualités de « diplomate ». Ce dernier devrait s’attendre à l’avenir à des procès ou des interpellations? Question: le nouveau chef de l’Etat serait-il excédé par les « noms d’oiseaux » que son principal contempteur aime l’affubler dont celui de « marionnette de Kabila »?
Question finale: l’ancien opposant Felix Tshisekedi Tshilombo, devenu chef de l’Etat, aurait-il abandonné le réformisme dont il se réclamait dans les rangs de l’opposition? Aurait-il opté pour le conformisme?
Le « conformisme », peut-on lire dans le dictionnaire Quillet, « c’est l’action de se conformer à ce qui est communément admis, souvent sans esprit critique ». L’ex-opposant a-t-il engagé le pari risqué de hurler désormais avec les « loups » du FCC?
Une certitude cependant: l’homme n’a pas envoyé des signaux rassurants en direction de ses contradicteurs. Plus inquiétant, il a répondu mollement à la question de savoir s’il était « pleinement Président ». En tous cas, l’absence d’un gouvernement de plein exercice après cinq mois de pouvoir est perçu, à tort ou à raison, comme un aveu d’impuissance.
« Felix » résistera-t-il à la « tentation conformiste » et autoritaire? L’avenir nous le dira.
Baudouin Amba Wetshi