Le tout nouveau gouverneur de la ville-province de Kinshasa, le PPRD Gentiny Ngobila Mbaka, doit faire face à une première « crise » en croisant le fer avec les leaders de la coalition politique « Lamuka ». Celle-ci maintient sa « manifestation pacifique » programmée pour ce dimanche 30 juin, date-anniversaire de la proclamation de l’indépendance du Congo, alors belge. Ngobila, lui, s’y oppose. Il invoque le caractère « sacré » de cette date. Une décision fondée sur des considérations plus politiciennes que juridiques. N’empêche! La coalition « Lamuka » semble patauger dans ses contradictions internes.
« Jusqu’à preuve du contraire, nous maintenons la marche et nous allons faire rapport à nos leaders pour voir s’il y a des indications contraires. En attendant, la marche est maintenue! « .
C’est la déclaration faite vendredi 28 juin par Fidèle Babala Wandu à la sortie d’une réunion avec le gouverneur de Kinshasa. Le secrétaire général adjoint du MLC (Mouvement de libération du Congo) n’a pas trouvé des mots assez durs pour fustiger le refus de Gentiny Ngobila Mbaka de « prendre acte » de la « marche pacifique » que ce cartel a prévu d’organiser le dimanche 30 juin, date commémorative de la proclamation de l’indépendance du Congo-belge.
« SABOTAGE CONTRE LA MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE »
Le gouverneur Ngobila invoque, à l’appui de son oukase, un motif pour le moins captieux: « Je suis au regret de ne pouvoir prendre acte de votre activité au regard de la date sacrée et commémorative du 30 juin qui devrait être respectée par tous les patriotes ». Pour ce gouverneur, l’organisation des « marches de revendication » ce jour-là serait assimilable à du « sabotage contre la mémoire de la République ».
Le premier magistrat de la capitale brandit aussitôt la « matraque » en promettant des bosses et des plaies aux marcheurs. Le commissaire provincial de la police et les bourgmestres – tous étiquetés PPRD – sont chargés « de veiller à l’exécution » de cette « décision ». Une décision qui se fonde plus sur des considérations politiques que juridiques. En clair, Ngobila a commis un abus de pouvoir en interdisant ce que la loi n’interdit pas.
Que dit la loi? « L’opposition politique est reconnue en République démocratique du Congo. Les droits liés à son existence, à ses activités et à sa lutte pour la conquête démocratique du pouvoir sont sacrés. Ils ne peuvent subir de limites que celles imposées à tous les partis et activités politiques par la présente Constitution », stipule l’article 8 de la Constitution.
Dans son alinéa 2, l’article 26 va plus loin en ce qui concerne l’organisation des manifestations publiques: « Toute manifestation sur les voies publiques ou en plein air, impose aux organisateurs d’informer par écrit l’autorité administrative compétente ». Ce qui a été fait.
LA « VÉRITÉ DES URNES »
Pour comprendre la frilosité des gouvernants provinciaux, il faut remonter à la date du 19 janvier dernier lorsque la Cour constitutionnelle a validé les résultats provisoires de l’élection présidentielle annoncés le 10 janvier par la CENI (Commission électorale nationale indépendante). Felix Tshisekedi Tshilombo a été proclamé « Président élu ».
Depuis cette date, Martin Fayulu Madidi, le candidat déçu, est devenu une sorte de « poil à gratter » voire un « subversif » aux yeux des animateurs de la coalition CACH-FCC. Et pour cause, l’homme n’a pas cessé d’exiger la « vérité des urnes » tout en qualifiant, à tort ou à raison, « Felix » de marionnette de « Kabila ».
Fayulu n’a pas cessé d’inviter le « peuple » à « se prendre en charge » en organisant des manifestations « en vue de défendre la souveraineté ». A l’appui de sa thèse, le Président de l’ECIDé agite l’article 64 de la Constitution. Cette disposition impose à chaque Congolais « le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution ».
Depuis que la Cour constitutionnelle a publié son « oracle », la poursuite du combat pour la vérité des urnes mobilise de moins en moins les leaders de Lamuka. Ceux-ci sont confrontés à des contradictions internes. Moïse Katumbi Chapwe fut le premier à « prendre acte » de la décision de la haute Cour. L’ancien gouverneur du Katanga ne faisait plus mystère de sa volonté de regagner le pays. Antipas Mbusa Nyamwisi, mêmement. Jean-Pierre Bemba Gombo brillait par un mutisme détonant.
Le 27 avril dernier, les six leaders des partis et regroupements politiques réunis au sein de Lamuka ont publié une charte dite « Convention portant création de la plateforme politique Lamuka ». Le cartel électoral est devenu une « plateforme politique ». Les six leaders paraissaient décidés à tourner le regard vers l’avenir.
A la lecture de cette Convention, on n’y trouve pas la moindre allusion à la « vérité des urnes ». Oubli? Assurément pas! Il y a sans doute une volonté de « passer à autre chose »
BRAS DE FER
A preuve, les signataires mettent l’accent sur les « principaux axes » devant guider leurs actions politiques futures. A savoir notamment: la défense des « articles intangibles » de la Constitution, la mobilisation de la population autour de l’idée de l’alternance démocratique et politique « reflétant la vérité du choix des électeurs », la promotion de l’Etat de droit et l’éradication des antivaleurs.
Le 17 juin, Antipas Mbusa Nyamwisi a pris son courage avec ses deux mains en informant le présidium de Lamuka de sa volonté de « suspendre » sa participation aux activités de la nouvelle plateforme politique.
Lors du meeting qu’il a animé le dimanche 23 juin à la Place Sainte-Thérèse à Kinshasa, Jean-Pierre Bemba Gombo a, dans son harangue, éludé – sciemment? – le combat cher à « l’ami Martin ». Il n’a parlé que de la « défense de l’intérêt de la population ».
Tout en admirant la ténacité de Fayulu, certains de ses détracteurs n’hésitent pas à le comparer, par ironie, à ce soldat japonais de la Seconde Guerre mondiale, qui se cachaient dans la jungle aux Philippines jusqu’au début des années 70. Le combattant nippon ignorait que les hostilités avaient pris fin en 1945. « Martin » ressemble de plus en plus l’image d’un « homme seul ». Un général sans troupes.
Comme pour appuyer la position du gouverneur Ngobila et contrer la « marche pacifique pour exiger le respect de la volonté du peuple », le ministre de l’Intérieur a.i., l’ex-opposant Basile Olongo, a déclaré jeudi 27 juin que « le 30 juin 2019 se passera dans la méditation ».
Le dernier mot revient à Fidèle Babala: « Nos pères ont obtenu l’indépendance suite à une contestation. L’indépendance signifie une certaine liberté. C’est ce que nous avons exigé ». Pour lui, « la marche pacifique » est maintenue. Et ce « jusqu’à la preuve contraire ». Celle-ci dépend de la décision des leaders de Lamuka. C’est le bras de fer…
Baudouin Amba Wetshi