Le questionnement, fondement de tout progrès

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Après s’être identifiée sous le nom de « Constitution de la République Démocratique du Congo, modifiée par la Loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles de la Constitution […] du 18 février 2006″, la Loi fondamentale congolaise poursuit sa présentation en se définissant comme ayant été « proposée par le Sénat », « adoptée par l’Assemblée Nationale », « approuvée par le peuple […] lors du référendum organisé du 18 au 19 décembre 2005″ et « promulguée par le Président de la République ». Puis, elle étale son préambule qui définit clairement les attentes du souverain primaire face aux maux dont il a tant souffert depuis l’indépendance: « Nous, Peuple congolais, Uni par le destin et par l’histoire autour de nobles idéaux de liberté, de fraternité, de solidarité, de justice, de paix et de travail; Animé par notre volonté commune de bâtir, au cœur de l’Afrique, un Etat de droit et une Nation puissante et prospère, fondée sur une véritable démocratie politique, économique, sociale et culturelle; Considérant que l’injustice avec ses corollaires, l’impunité, le népotisme, le régionalisme, le tribalisme, le clanisme et le clientélisme, par leurs multiples vicissitudes, sont à l’origine de l’inversion générale des valeurs et de la ruine du pays; […] Réaffirmant notre droit inaliénable et imprescriptible de nous organiser librement et de développer notre vie politique, économique, sociale et culturelle, selon notre génie propre; Conscients de nos responsabilités devant Dieu, la Nation, l’Afrique et le Monde; Déclarons solennellement adopter la présente Constitution ».

Treize ans après, « l’inversion générale des valeurs » ayant entraîné « la ruine du pays » n’a pas été combattue par des redresseurs de torts autoproclamés. Au contraire, elle a été exacerbée sur tous les plans. Exacerbée à un point tel qu’elle s’est manifestée bruyamment lors de l’organisation des élections du 31 décembre 2018, pourtant censée marquer un point de rupture d’avec le passé mais allant jusqu’à constituer le péché originel de l’actuel pouvoir. Peut-on ne pas s’interroger face à une telle situation? A quoi sert une Constitution? Où est « notre génie propre » appelé à matérialiser « notre droit inaliénable et imprescriptible de nous organiser librement et de développer notre vie politique, économique, sociale et culturelle »? Pourquoi, confrontés à la contradiction flagrante entre ce que proclame la Constitution et la réalité politique du pays, nous nous limitons à nous plaindre et à nous invectiver au lieu de suivre la voie tracée par les treize parlementaires de 1980 dans leur « Lettre ouverte au président Mobutu », en faisant mieux qu’eux, c’est-à-dire aller au-delà du simple réquisitoire afin de sortir une lumière qui nous mettrait enfin en phase avec la vision globale de la Constitution ou de notre Hymne national? Quand dresserons-nous « nos fronts, longtemps courbés »? Quand, « pour de bon », prendrons-nous « le plus bel élan dans la paix »?

A chaque changement de régime, nous commettons la même erreur. Les messages de soutien dont la caste enchanteresse des hommes du pouvoir n’a nullement besoin affluent. On scrute les faits et gestes du nouveau président de la république, distribuant de bons ou de mauvais points, souvent suivant la coterie à laquelle on appartient. On se prend aussi à rêver et à espérer des lendemains qui chantent. Pourtant, tout indique que le destin de la nation se joue dans un cercle vicieux. Dans le contexte politique actuel, par exemple, il faut être fou pour oser espérer qu’un homme arrivé au pouvoir dans des conditions obscures puisse chercher à s’y maintenir dans la transparence une fois qu’il aura assis son administration. Pourtant, il suffit d’allumer son poste téléviseur pour se rendre compte de l’agitation suscitée par un énième slogan: « Le Peuple d’abord ». Pourquoi ne tirons-nous pas des leçons de nos errements passés? Pourquoi restons-nous si bêtes? Sommes-nous vraiment des êtres humains à part entière ou des zombies?

Partout au monde, qu’on se retrouve dans une cité moderne ou au fin fond de la Sibérie, de l’Alaska, de l’Amazonie, du désert du Sahara ou de la forêt équatoriale, dès que l’être humain est confronté à un « ça ne va pas », deux questions s’imposent automatiquement à l’esprit. Pourquoi « ça ne va pas »? Que faire pour que « ça aille bien »? Pourquoi ces deux questions demeurent-elles absentes face au fossé toujours abyssal entre la Constitution et la réalité du pouvoir d’Etat congolais? Qui pensons-nous devrait se poser ces questions sinon nous-mêmes? Qui a intérêt à y répondre sinon nous-mêmes? N’est-ce pas dans un tel questionnement et sa réponse que devrait résider « notre génie propre »?

On nous rétorquera sans doute que la Constitution du 18 février 2006 n’a pas été rédigée par des Congolais. Oui, mais qui a obligé le Sénat à la proposer? Qui a forcé l’Assemblée nationale à l’adopter? Qui a sommé le peuple à l’approuver par voie référendaire? Qui a contraint le Président de la République à la promulguer? Quelle main étrangère s’est imposée pour que les représentants du peuple révisent certains articles non pas dans l’intérêt général mais dans celui du roi du jour? La responsabilité des élites n’est-elle pas suffisamment engagée dans le gâchis tragique auquel notre peuple tant martyrisé assiste toujours impuissant depuis les élections générales de 2006? L’irresponsabilité collective n’est-elle pas une fois de plus à l’ordre du jour maintenant que nous concentrons nos louanges ou nos tirs dans la même direction, celle du nouveau Président de la république plutôt que d’examiner le système politique qui perpétue l’inacceptable, à savoir le grand écart entre la vision nationale inscrite dans la Constitution et la réalité du pouvoir?

Qu’est-ce qui explique en fait un tel écart? La Constitution note avec raison que « l’inversion générale des valeurs » a entraîné « la ruine du pays ». Elle constate par ailleurs, toujours avec raison, que « l’injustice avec ses corollaires, l’impunité, le népotisme, le régionalisme, le tribalisme, le clanisme et le clientélisme, par leurs multiples vicissitudes, sont à l’origine de l’inversion générale des valeurs et de la ruine du pays ». Mais, nulle part la Constitution n’articule la moindre stratégie susceptible de mettre un terme à une telle injustice. Par ailleurs, les corollaires de l’injustice que sont « le népotisme, le régionalisme, le tribalisme, le clanisme et le clientélisme » peuvent se résumer en un seul mot, le clientélisme. Car, ce ne sont là que des formes de clientélisme dont le résultat obligé s’appelle « impunité ». Ainsi, concevoir et mettre en place des stratégies appropriées de lutte contre le clientélisme est l’unique moyen de réduire l’écart entre le dire et le faire.

Mais au lieu de s’atteler à la tâche d’esprit décrite ci-dessus, les Congolais, ceci est loin d’être notre apanage, se laissent entraîner par la loi du moindre effort. Ils observent tout nouveau président de la république recourir au clientélisme politique auquel la Constitution ouvre grandement la porte. Une fois la nouvelle administration ainsi assise, ils s’étonnent que le président, bien ou mal élu, se transforme en nouveau bourreau du peuple. Il est certes légitime de vouer aux gémonies les hommes du pouvoir, en commençant par le premier d’entre eux. Mais il vaut mieux s’assurer qu’ils ne se retrouvent pas au-dessus des lois, en débusquant systématiquement le clientélisme. Aurait-on besoin que nous rappelions ici que « L’Evangile démocratique selon Saint Mayoyo« , qui a l’incontestable mérite d’exister, a pour ambition de relever un tel défi, « selon notre génie propre », pendant que notre classe politique et nos autres élites continuent à vouer un culte béat à un système politique démocratique venu d’ailleurs et dont les nuisances ne sont plus à démontrer? Peut-on espérer un changement sans questionner une telle importation conceptuelle?

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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