24 janvier-5 mai 2019. Il y a 100 jours, Felix Tshisekedi Tshilombo était investi à la tête de l’Etat congolais à l’issue de consultations électorales pour le moins chaotiques. Qu’est ce qui a changé? En dehors d’une certaine « ambiance libérale », on a assisté au cours de ces trois mois et 10 jours à une crise d’autorité sans précédent au sommet de l’Etat. Le président de la République parait incapable non seulement de décider mais surtout de se faire obéir. La nomination d’un Premier ministre prend l’allure d’un psychodrame. Une situation qui fait dire aux critiques que « Fatshi » ne détiendrait qu’une « apparence du pouvoir ».
« En dehors de l’exécution des mesures de décrispation politique, rien n’a changé. Beaucoup de chantiers annoncés par le nouveau chef de l’Etat restent en jachère ». L’homme qui parle est un analyste politique proche de la mouvance kabiliste dite « Front commun pour le Congo » (FCC). Il a requis l’anonymat.
A vrai dire aucun Congolais, sain de corps et d’esprit, ne pensait sérieusement qu’en trois mois et dix jours, le président Felix Tshisekedi allait élever le PIB (Produit intérieur brut) du Congo-Kinshasa à la hauteur de celui de l’Arabie saoudite ou des Emirats arabes unis. On espérait que le nouveau magistrat suprême du pays allait montrer au moins le « chemin du renouveau ». Fixer un cap.
Durant ces premiers 100 jours, le successeur de « Kabila » a donné l’impression d’un homme « corseté », à la marge de manœuvre restreinte, incapable non seulement de commander mais aussi de décider. Une crise d’autorité sans précédent à l’issue d’une élection présidentielle.
« LA TYRANNIE DU STATU QUO »
Dans leur ouvrage « La tyrannie du statu quo », publié en 1984 aux éditions J-C Lattès, les Prix Nobel d’économie Milton et Rose Friedman considèrent qu’un nouveau pouvoir qui s’installe doit consacrer les 100 jours à jeter les bases des réformes à conduire.
Pourquoi 100 jours? Les deux auteurs considèrent que durant ce laps de temps, l’opposition est groggy. Celle-ci a besoin de ces 100 jours pour accomplir le « travail de deuil ». Rose et Milton Friedman de prévenir: « Passer les 100 jours », l’opposition retrouve un regain de vitalité. En lieu et place de réformer, le nouveau pouvoir aura à consacrer l’essentiel de son énergie à rendre des coups.
Les « 100 premiers jours » sont devenus l’occasion incontournable, pour la grande majorité des dirigeants, de dresser une sorte de « pré-bilan ». Une évaluation des premiers pas. « La première impression est celle qui reste », dit-on.
LES PRIORITÉS
Dans un entretien accordé au quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 7 janvier dernier, soit trois jours avant l’oracle du président de la Commission électorale nationale indépendante Corneille Nangaa, « Fatshi », comme l’appelait affectueusement ses partisans et proches, semblait d’une sérénité inébranlable. « (…), sur la base des informations que, nous, nous possédons, je suis confiant », déclarait-il. Ajoutant: « Nous devons éviter les règlements de comptes ». « Le nouveau leader du pays devra rassembler tout le monde et construire le Congo de demain ».
Même si le secrétaire général adjoint de l’UDPS, Augustin Kabuya, déclarait que « personne n’est capable d’exhiber l’accord Fcc-Cach » (émission Bosolo na politik du 15.3.2019), on peut gager qu’un « deal » avait été conclu dès le lendemain du vote du 30 décembre 2018.
Dans cet entretien, Felix Tshisekedi énuméra ses priorités: ramener la paix à l’Est, restaurer l’Etat de droit, organiser un recensement afin d’identifier la population, combattre les antivaleurs (corruption, l’impunité etc.), réhabiliter l’Administration publique, redistribuer les richesses autrement, miser sur l’éducation, promouvoir la transparence dans l’exploitation minière. Sans omettre la décrispation politique.
LES « RÉALISATIONS »
Il faut être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que depuis le 24 janvier dernier, une certaine « ambiance libérale » règne aux quatre coins du pays. « L’ANR ne se comporte plus en police politique pour traquer les opposants. La police est entrée en chômage. Les manifestations ne sont plus réprimées à coup de balles réelles et gaz lacrymogène », commente une source policière. « Les policiers profitaient de la répression de ces manifestations pour extorquer de l’argent et autres téléphones portables », ajoute-t-elle. Un tshisekediste d’enchaîner: « Les activités de l’opposition sont relayées par le média d’Etat qu’est la RTNC. C’est le cas notamment des meetings animés par Martin Fayulu de la coalition politique Lamuka ».
Le nouveau chef de l’Etat a opéré des nominations à la tête de l’ANR (Sûreté nationale) et de la DGM (Police des frontières) sans donner une « feuille de route » fixant des orientations claires. Sauf une vague « humanisation » des services. La dernière nomination en date a eu lieu à la Sonas (Société nationale d’assurances).
Dans les trois cas, les promotions n’ont pas été conformes à l’article 81 de la Constitution lequel subordonne le décret présidentiel à une délibération au Conseil des ministres. En clair, l’Etat de droit n’a pas été observé de manière rigoureuse.
Bien que salutaires, les travaux de réhabilitation de quelques infrastructures ont été lancés sans appel d’offres.
QUI COMMANDE ET DÉCIDE AU CONGO-KIN?
Durant ces premiers 100 jours, plusieurs reproches ont été articulés à l’encontre du président Tshisekedi. Épinglons quelques-uns: cabinet présidentiel pléthorique, des voyages budgétivores à l’étranger, incapacité à enfiler les « habits » de chef de l’Etat, annonces non suivies d’effets (permutation des officiers), insécurité persistante à l’Est et dans le « Grand Katanga ». Sans oublier des actes de gestion posés par un chef de l’Etat politiquement irresponsable et la méconnaissance de la loi sur la passation des marchés publics.
En 100 jours, Felix Tshisekedi Tshilombo, bien que réputé non-conflictuel et plutôt avenant, s’est révélé incapable de désigner un informateur pour déblayer le terrain en vue de la nomination du Premier ministre. Et partant, procéder à la formation du gouvernement.
L’avenir très proche pourrait démontrer que le président « Felix » aura du mal à rattraper le temps perdu. Durant les 100 premiers jours, le réformiste qu’il prétend être a raté l’occasion de renforcer l’efficacité des structures de contrôle. A savoir notamment: l’appareil judiciaire, la Cour des comptes et l’inspection des finances. Il a raté également l’occasion de « dékabiliser » les organismes générateurs de recettes (Douanes, Impôt, DGRAD etc.) lesquels demeurent encore entre les mains des « kabilistes » purs sucre. Que dire de tous ces officiers des FARDC « scotchés » aux mêmes postes? Et ce, à travers le pays en dépit de l’échec sécuritaire.
Sauf rebondissement inattendu, il sera difficile au nouveau Président de la République de « changer » la société congolaise avec un Parlement acquis au conservatisme cher à l’ancien Président. Il en est de même des institutions provinciales. Aux dernières nouvelles, la nomination d’un Premier ministre pourrait être retardée de plusieurs jours encore. « Kabila est occupé à revoir le profil du futur Premier », indique-t-on.
Questions finales: Qui commande et décide au sommet de l’Etat congolais? Qui obéit à qui entre le président Felix Tshisekedi et « Joseph Kabila », l’ « autorité morale » de l’association politique dénommée « FCC »?
Baudouin Amba Wetshi