Dans le dernier classement des états faillis, publié le 10 avril, sur 178 états, notre pays figure à la 5ème avant dernière place. Même la République Centre Africaine fait mieux. L’état n’assure plus la sécurité ni des biens ni des personnes (sauf s’il s’agit des criminels en col blanc). Il n’arrive même pas à assurer la sécurité des quelques centres de traitement d’Ebola et ainsi le nombre de victimes décédées dépasse désormais le millier. Le nombre des atteintes aux droits de l’homme documentés dépasse les 600 cas par mois (le chiffre réel est probablement beaucoup plus élevé) dont des dizaines de viols et de meurtres. Plus de la moitié est imputée aux services de l’état (FARDC ANR et forces spéciales) et ne comporte pas les violences commises par les groupes armés alliés et armés par ces mêmes services de l’état qui dépendent des hautes autorités exécutives et politiques.
L’UNICEF a déclaré récemment que sur les 13 millions de personnes nécessitant l’aide humanitaire, 7,5 millions sont des enfants dont 4 millions souffrent de malnutrition aiguë et plus de 1,4 million de malnutrition aiguë et sévère ce qui signifie qu’ils sont en « risque mortel imminent » (en anglais: they are in imminent risk of death). Pour nos ministres qui ne seraient pas informés de cette situation ou qui ne semblent pas comprendre, il faut préciser que: près de 1,5 millions d’enfants vont mourir de faim et que depuis plus de dix ans, les premiers ministres, ministres et leurs acolytes sont directement responsables de cette situation. A ce classement de la honte s’ajoute ceux – tout aussi honteux – de pays le plus corrompu et celui de pays le plus pauvre alors que ses ressources comptent parmi les plus importantes du monde.
« L’Etat failli » étant une notion plutôt abstraite ou du moins impersonnelle, on devrait plutôt parler d’une classe dirigeante qui a failli, et continue à faillir. C’est elle qui dirige les services de l’état, qui organise l’impunité et encourage ainsi la violence, qui est corrompue, détourne et vole les actifs de l’état et quand ils le peuvent les bradent à vil prix moyennant des commissions plantureuses. Elle empêche l’émergence d’un état de droit pour continuer ses sales besognes en toute impunité. Notre classe dirigeante est pilotée par des criminels en col blanc, responsables ultimes de l’enfer dans lequel ils maintiennent toute une population alors qu’ils vivent dans un luxe scandaleux, envoient leurs enfants dans les écoles consulaires ou à l’étranger où ils se font soigner au moindre bobo. Aux premiers ministres, ministres et responsables d’institutions publiques s’ajoutent désormais les organisateurs et participants des gigantesques fraudes qui ont marqué les élections c’est-à-dire une grande partie de nos politiciens, toutes tendances confondues, sans oublier les champions fraudeurs toutes catégories: les dirigeants de la CENI.
La corruption des cols blancs et le dysfonctionnement des institutions qu’ils dirigent est comme l’ambassadeur des USA vient de le déclarer récemment, le principal obstacle à l’investissement. Cette situation et les risques qu’elle engendre expliquent aussi pourquoi les rares investisseurs et notamment les sociétés minières sont plus exigeantes et gourmandes que dans d’autres pays. Les mêmes criminels, voulant s’attirer la sympathie et le support de l’occident, tentent d’accréditer l’idée que DAECH aurait infiltré des groupes armés dans l’Est du pays mais personne n’est dupe de la manœuvre. Les résultats des élections ont renforcé la position de ces criminels en cols blancs et multiplié leur nombre dans tous les recoins du pays. Ils instrumentalisent les tensions ethniques et font des « arrangements » avec des groupes armés. Ils doivent récupérer les sommes investies pour être « élus ». On peut donc s’attendre à une extension de l’insécurité, ce qui est déjà le cas à Lubumbashi, Kolwezi et dans l’Est du pays.
Le nouveau président, ligoté dans une camisole de force par sa participation à la fraude a montré sa (très) faible marge de manœuvre. Il est marginalisé dans toutes les institutions du pays et ne peut même pas se servir des bureaux ni des avions de la Présidence. Il a lancé quelques travaux publics dont le coût serait d’environ 400 millions de dollars US, mais un grand nombre de fonctionnaires ne sont pas payés depuis des mois voire des années. L’opacité qui entoure l’attribution des marchés pour ces travaux et leur contrôle ainsi que les sources de financement semblent bien être dans la continuité des pratiques habituelles de nos criminels en cols blancs. Le système mafieux est donc toujours bien en place et le cap du changement n’est décidément pas encore en vue.
Les élections n’ont rien résolu, au contraire. L’Eglise catholique, seule institution d’envergure du pays qui s’est démarquée nettement des criminels en cols blancs et qui s’est mobilisée pour des élections crédibles et une société plus juste a fait à peu près tout ce qui est possible de faire de manière pacifique. Pour le moment, elle semble marquer une pause et se contente d’observer. Elle rejoint ainsi l’immobilisme de la communauté internationale. La société civile fait des constats, écrit des articles, publie des communiqués, des pages d’opinion et des lettres ouvertes. Quelques organisations comme la Lucha, plus courageuses organisent des « sit in » et autres protestations publiques.
Mais tout cela n’empêche pas nos criminels de dormir.
Alors que faire?
A l’instar des cartels, mafias et autres organisations criminelles, nos criminels ont organisé un système. C’est ce système qu’il faut déstabiliser. Le système est basé sur des stratégies et sur des piliers. Il faut donc entraver les stratégies et affaiblir les piliers.
- Les stratégies de nos malfrats consistent essentiellement à neutraliser les contrôles et assurer l’opacité afin de pouvoir détourner, voler et abuser de leur position en toute quiétude. C’est ainsi que le parlement, trusté et/ou corrompue par la mafia, n’exerce plus aucun contrôle, il en est de même de la cour des comptes et de l’inspection des finances, toutes deux muselées. Le ministère du Plan, quant à lui, a cessé de contrôler l’exécution du budget d’investissements du pays permettant ainsi toutes les dérives: surfacturations, détournements, malfaçons ou encore travaux non réalisés.
Pour entraver ces stratégies la société civile pourrait créer un réseau favorisant la dénonciation des malversations; créer une base de données documentée appuyée par des juristes et faire pression sur le nouveau président pour qu’il permette à l’inspection des finances qui dépend directement de la présidence de faire son travail avec l’appui de firmes d’audit réputées. La création d’un site de type « Congo (wiki) leaks » pourrait s’avérer utile en assurant la protection des donneurs d’alerte. - Pour affaiblir les piliers il faut frapper nos criminels au seul endroit où ils ont une sensibilité: leur portefeuille et leur vie luxueuse et sans soucis. Il faut faire du lobbying en vue d’étendre les sanctions internationales et les poursuivre devant toutes les juridictions possibles, nationales et internationales. Il existe des preuves, des documents, des témoins. Les responsables et les bénéficiaires des fraudes du FPI sont connus. Les marchés de gré à gré de la Primature et des ministères, le scandale de Bukanga Lonzo et moult autres magouilles qui sont documentées. Les juristes peuvent constituer des dossiers recevables par les tribunaux.
Une récente publication de l’ONG « The Sentry » intitulé « Prosecute the Profiteers » (Poursuivez les profiteurs) recommande de traîner les criminels en cols blanc devant les tribunaux. « The Sentry » a contribué à documenter plusieurs scandales financiers en RDC ce qui a engendré des sanctions contre une série d’individus aux USA. Il est regrettable que nos organisations de la société civile (Licoco, ACAJ etc.) ne soient pas plus agressives envers les criminels en col blanc et ne créent pas une plateforme dont l’objectif principal serait de les poursuivre devant les tribunaux, nationaux et étrangers. Ils pourraient immédiatement bénéficier de l’appui de institutions internationales comme « The Sentry », Congo Research Groupe, etc.
Il faut rappeler qu’en organisant la disparition des bases d’un état de droit et surtout leur impunité totale, nos malfrats ont permis celle des criminels en uniforme et leurs supplétifs armés. Sans s’être salis les mains, ils assument une lourde responsabilité dans les crimes commis par ces derniers: exécutions, viols et autres atteintes aux droits humains. Ce ne sont pas les quelques investissements privés, notamment dans des universités portant leur nom, réalisés avec l’argent volé ou des « tribunes » publiés après avoir quitté la mangeoire qui changent la donne.
Mirabeau disait: « Il existe quelqu’un de pire que le bourreau, c’est son valet ».
A défaut de pouvoir atteindre le bourreau commençons par ses valets.
Il ne faut plus poser la question: Que faire? Le temps est à l’action!
Par Jean-Marie Lelo Diakese