La plénière de l’Assemblée provinciale du Sankuru prévue le samedi 13 avril n’a pas eu lieu pour élire le « candidat unique » au poste de gouverneur et son adjoint. Et ce faute de quorum de « grands électeurs » que sont les députés provinciaux. Au cours d’une réunion tenue la veille, ces derniers avaient décidé de « sécher » cette séance estimant qu’un tel vote était de nature à écorner le jeu démocratique. Pour la petite histoire, le FCC-CCU Lambert Mende Omalanga est l’unique candidat ou plutôt le « candidat unique » comme à l’époque stalinienne. La candidature de son concurrent en l’occurrence Joseph Stéphane Mukumadi a été invalidée par la CENI (Commission électorale nationale indépendante). Motif: « usurpation d’identité ». Cette décision de la Centrale électorale a été confirmée par la chambre administrative de la Cour d’appel siégeant à Lodja. Saisi par Mukumadi, le Conseil d’Etat a « cassé » cet oukase en remettant le requérant en course avant de suspendre le vote prévu le 13 avril. Au cours d’une « réunion extraordinaire » qu’il a tenu le jeudi 11 avril, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a estimé que la sentence du Conseil d’Etat était « illégale » et par conséquent « inexistante ». Au grand dam du 1er Président de cette juridiction administrative qui n’est autre que Felix Vunduawe te Pemako, dit « VTP ». Professeur de droit administratif, « VTP » dénie au CSM la compétence d’annuler une décision juridictionnelle. Ambiance! Pour lui, la sentence du Conseil d’Etat reste exécutoire. Président de la CENI, Corneille Nangaa, réputé pour son outrecuidance, préfère se rallier au point de vue « commode » du CSM. Il tient mordicus à organiser l’élection du gouverneur de Sankuru ce lundi 15 avril. Il l’a fait savoir. On assiste à une épreuve de force sans précédent entre les plus hauts magistrats du pays. Pour des observateurs, la preuve est faite que la justice congolaise est « malade ». Et qu’il y a urgence de la réformer. Avocat au barreau de Bruxelles, Jean-Claude Ndjakanyi Onokoma Shongo est natif du Sankuru. Il analyse pour les lecteurs de Congo Indépendant le bras de fer qui oppose le Conseil d’Etat au Conseil supérieur de la magistrature par CENI interposée. INTERVIEW.
Que se passe-t-il dans la province du Sankuru au niveau de l’élection du gouverneur et de son adjoint?
On assiste à la rivalité entre deux candidats.
Quel est le fond du problème?
L’un des candidats, en l’occurrence Mende Lambert, ne veut pas voir l’autre, Joseph Stéphane Mukumadi, participer à cette compétition. D’après lui, son concurrent n’a pas le droit de se présenter. Mende Lambert a monté de toutes pièces une série d’histoires pour faire disqualifier son adversaire.
Il semble que Joseph Stéphane Mukumadi serait détenteur d’une nationalité étrangère…
Il a été effectivement accusé de détenir la nationalité française. Alors qu’il a renoncé à celle-ci depuis plusieurs années. Je tiens à signaler que certains proches de Mende sont titulaires de nationalités étrangères. Evidemment, personne n’en parle…
D’après des sources bruxelloises, c’est le cas notamment du gouverneur sortant du Sankuru qui serait membre de la CCU (Convention des Congolais Unis), la formation politique de l’ancien ministre Mende…
Je n’ai pas d’éléments de preuve pour confirmer cette information. C’est en tous cas ce qui se raconte.
Apparemment l’invalidation de la candidature de Mukumadi par la CENI tient lieu d’élément déclencheur de cette contestation. Cette mesure a été confirmée par la Cour d’appel à Lodja. Quels sont les éléments invoqués par cette juridiction à l’appui de son Arrêt?
La Cour d’appel s’est prévalue des arguments fournis par la partie adverse (Rires). Mukamadi, lui, n’a pas été autorisé à faire valoir son droit de la défense. Son invalidation a été confirmée. Et pourtant, comme je l’ai indiqué, « Stéphane » a renoncé à la nationalité française depuis plusieurs années. Pour votre information, je le connais personnellement. Il s’agit de mon neveu.
Mukumadi a aussitôt saisi le Conseil d’Etat…
Effectivement! Le Conseil d’Etat a fait droit à sa requête. En clair, Stéphane Mukumadi a gagné le procès. La décision de cette juridiction a été communiquée à la CENI. La Centrale électorale, elle, refuse purement et simplement d’exécuter cette sentence en remettant le nom de Mukumadi sur la liste des prétendants. Tout le problème est là!
D’après le président du Conseil supérieur de la magistrature, Benoît Lwamba Bindu, le chef de l’Etat aurait demandé au CSM de donner son avis notamment sur cet arrêt querellé. Est-il habituel que le Président de la République mène de telles démarches auprès du CSM?
L’état d’esprit de ce fameux juge [Ndlr: Benoît Lwamba Bindu] est bien connu. Les informations en ma possession indiquent que la crise électorale au Sankuru n’était pas à l’ordre du jour de la réunion du CSM de ce 11 avril. Ce sont les magistrats présents qui ont décidé de leur propre mouvement de se pencher sur la question.
Le Conseil supérieur de la magistrature est-il compétent pour annuler une décision juridictionnelle?
C’est de la pure folie! On assiste à un « détournement de pouvoir ». Ces magistrats devraient être « arrêtés ». C’est bien eux qui perturbent le bon fonctionnement de la justice dans ce pays. Le CSM est un organe purement administratif. Il n’a aucune compétence pour connaitre – à quel que degré que ce soit – des décisions prises par des juridictions. Aucune compétence! Ses avis sont purement consultatifs en matière disciplinaire ou de la nomination des magistrats.
Que répondez-vous à certains juristes qui accusent le CSM d’avoir violé l’alinéa 5 de l’article 149 de la Constitution qui stipule: « Il ne peut être créé des tribunaux extraordinaire ou d’exception sous quelque dénomination que ce soit »?
Il est évident que le CSM a violé la Loi fondamentale. Quelle est la base légale qui a permis à cet organe de soutenir que l’arrêt du Conseil d’Etat est « inexistant »? Dans quel pays sommes-nous pour que le CSM puisse se croire en droit d’évaluer une décision de justice? Il est inquiétant que les plus hauts magistrats du pays se comportent de la sorte.
Vous avez sans doute pris connaissance de la réaction du 1er Président du Conseil d’Etat sous la forme d’un « communiqué officiel » publié samedi 13 avril. Devrait-on parler d’un conflit ouvert entre le CSM et le Conseil d’Etat?
Quel est le problème? L’arrêt du Conseil d’Etat a été rendu en dernier ressort. Il n’y a plus de recours. C’est fini! Cette décision est, par conséquent, exécutoire. Les autorités chargées d’appliquer cette sentence doivent se plier. Il n’y a pas débat. Toutes ces gesticulations relèvent du « fétichisme juridique ».
Que pensez-vous de la décision du Président de la CENI confirmant la tenue de cette élection ce lundi 15 avril?
[Corneille] Nangaa se croit dans une situation où il peut faire feu de tout bois. Si les conditions ne sont pas réunies, la CENI ne peut pas organiser le vote. Peut-on organiser une consultation électorale en l’absence d’électeurs? Nangaa doit nous dire le nombre des députés provinciaux qui étaient présents [Ndlr: l’Assemblée provinciale du Sankuru compte 25 députés]. Et dans quelles conditions ils se sont présentés. On espère que Nangaa ne va pas nous dire que c’est lui qui a décidé comme il a fait « nommer » des députés nationaux et des sénateurs. En définitive, je crois que l’actuel Président de la CENI doit être traduit en justice pour « détournement pouvoir ». Nangaa est entrain de détourner un pouvoir qui ne lui est pas conféré par la Constitution. Il est occupé à perturber l’ordre institutionnel de notre pays. Il est clair que l’élection du gouverneur du Sankuru parait inconcevable en l’absence d’électeurs et de candidats.
Devrait-on conclure, à l’instar de certains juristes congolais, que « la justice congolaise est malade »?
Pour être malade, il faut d’abord exister. Nous n’avons plus de justice dans ce pays. Il faut la refonder. Je crois que notre Ami, le Président de la République, a du pain sur la planche…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi