« Lui », c’est Henri Yav Mulang, l’actuel ministre des Finances en « affaires courantes ». L’homme assume cette fonction depuis 2014. En séjour à Washington dans le cadre de l’Assemblée générale de printemps FMI-Banque mondiale, le ministre Yav était, mardi 2 avril, au bas de l’avion au moment où le président Felix Tshisekedi Tshilombo foulait le sol américain. Les deux hommes ont échangé une poignée de main très remarquée. Près de soixante-dix jours après la passation « civilisée » de pouvoir entre « Joseph Kabila » et son successeur, le pays n’a toujours pas de gouvernement. Dans les conversations privées, il est reproché à « Felix » sa « passion » pour les relations extérieures alors que « tout est en jachère » au plan intérieur. D’après des observateurs, tout pourrait aller vite après Washington. Le « Lualabais » Yav Mulang serait le « favori » de « Fatshi » au poste de chef de gouvernement. « Kabila », lui, tiendrait mordicus à « son » candidat, le très sulfureux Albert Yuma Mulimbi. Ambiance!
Arrivé à Washington la veille, le président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a été reçu officiellement ce mercredi 3 avril par le secrétaire d’Etat américain Mike R. Pompeo. Il avait eu quelques heures auparavant des entretiens avec le secrétaire à l’Energie James Richard Perry.
Au moment où ces lignes sont écrites, rien n’avait encore filtré de l’entrevue entre Pompeo et le numéro un Congolais. De même, une rencontre Tshisekedi-Trump n’était pas – encore? – à l’ordre du jour. Par contre, le chef de l’Etat congolais a eu un échange, mercredi, avec des représentants du monde des affaires. La visite semble s’annoncer plus diplomatico-économique que politique.
Ce n’est nullement faire preuve de « masochisme » en affirmant que le Congo-Kinshasa, dans sa configuration actuelle, est loin d’être attractif voire d’un « intérêt vital » – tant sur le plan économique que géostratégique – pour l’Amérique du président Donald Trump. Celui-ci est déjà en campagne. Il a les yeux tournés vers l’élection présidentielle de 2020.
Pour le successeur de Barack Obama, la politique intérieure (essor économique, création d’emplois, lutte contre l’immigration clandestine, le terrorisme et le trafic de stupéfiants, approvisionnement des industries américaines en matières premières et terres rares) a préséance sur la politique étrangère. Il est rare que le débat sur les enjeux internationaux mobilise l’électorat américain.
Un bémol. Seuls quelques pays (Israël, Chine, Russie, Grande Bretagne, Venezuela) ou regroupements de pays (Union européenne, OTAN) trouvent grâce aux yeux de « Donald » dont le credo est bien connu: « L’Amérique d’abord ».
Sans vouloir jouer les « rabat-joie », la visite du Président congolais dans la capitale américaine procède de l’initiative de quelques hauts diplomates aguerris du département d’Etat. Des hommes mieux informés que le milliardaire Trump sur les potentialités du Congo-Kinshasa. Outre le très actif ambassadeur Mike Hammer, il y a l’Envoyé spécial des Etats-Unis pour la Région des Grands Lacs, Peter Pham et le sous-secrétaire d’Etat aux Affaires africaines Tibor Nagy.
UN « PARTENARIAT SOLIDE » CONGO/KIN-USA
Lors de sa visite, mi-mars, au Congo-Kin, le « Monsieur Afrique » de l’Administration Trump avait affirmé haut et fort la volonté de son pays de « soutenir » le programme économico-social annoncé par Felix Tshisekedi. Sans omettre la lutte contre la corruption. « Le président Tshisekedi a pris un bon départ pour amener le changement positif que les Congolais souhaitent et méritent », déclarait-il.
Porte-parole du département d’Etat, Robert Palladino renchérissait récemment en déclarant que les Etats-Unis partagent l’intérêt du numéro un Congolais « à développer un partenariat solide » entre les deux pays.
Notons que Tibor Nagy n’avait pas fait mystère de la volonté de l’Administration américaine de mettre en place une sorte de « cordon sanitaire » autour de tous ceux qui « menacent » les droits de l’homme et la prospérité du Congo. Une allusion claire à l’ancien président « Joseph Kabila » et certains de ses « hommes de main ».
Près de soixante-dix jours après l’investiture de Felix Tshisekedi Tshilombo à la tête de l’Etat, le gouvernement tarde à sortir. Des diplomates en poste à Kinshasa ont fini par acquérir la conviction selon laquelle « Kabila serait le problème ». Au motif que sa mouvance détiendrait la « majorité parlementaire » à la représentation nationale. Aussi, considère-t-il que c’est à lui que revient le choix du « Premier ». Le rôle du Président de la République se limite à apposer sa signature sur le décret de nomination.
Aux termes d’un communiqué conjoint signé le 13 mars dernier, le coordonnateur du FCC (Front commun pour le Congo) et le président intérimaire de l’UDPS agissant pour le compte de la coalition « Cap pour le changement » (CACH) s’étaient convenus que « Kabila » allait présenter le futur « formateur » et le chef de l’Etat devait nommer celui-ci « diligemment ».
« LE MOINS MAUVAIS PREMIER MINISTRABLE »
Le problème? Le postulant présenté par « Kabila » est loin d’être un modèle d’intégrité et de bonne gestion. Il s’agit d’Albert Yuma Mulimbi, le président du patronat congolais (Fec) et tout-puissant président du conseil d’administration (PCA) de la société d’Etat Gécamines. Yuma est également « gérant » de la société « Egal », propriété de la fratrie « Kabila ».
Spécialisée dans l’importation des vivres frais, cette entreprise a bénéficié d’un « prêt » d’un import de plus de 40 millions $ de la part de la… Banque centrale du Congo (BCC). Des faits révélés par l’ex-cadre à la BGFI Bank, Jean-Jacques Lumumba.
Selon des observateurs, il n’est pas exclu que les responsables de la diplomatie américaine évoquent avec Felix Tshisekedi l’épineuse question relative au retard qu’accuse la formation du tout premier gouvernement post-« Kabila ».
A Washington, la poignée de main chaleureuse échangée, mardi 2 avril, entre le président Tshisekedi et le ministre des Finances en « affaires courantes » Henri Yav Mulang, n’est pas passée inaperçue. D’aucuns croient savoir que ce dernier – qui séjournait en Amérique dans le cadre de l’assemblée générale de printemps FMI/Banque mondiale – était venu à l’aéroport de Washington à la « demande expresse » de « Felix » qui le préférerait à Yuma pour succéder à Bruno Tshibala Nzenzhe à la primature.
Chrétien de tendance protestante, Henri Yav, 63 ans, est décrit comme un homme discret et non-conflictuel. Bref, « le moins mauvais » premier ministrable, issu du PPRD-FCC. L’homme reste néanmoins un pur produit du « kabilisme ».
Ancien administrateur à la Fec, Yav a été conseiller économique avant d’être promu directeur de cabinet adjoint à la Présidence de la République sous l’ancien président « Kabila ». En 2014, il sera nommé ministre des Finances. « Yav Mulang n’est pas trop marqué par les dossiers miniers de Joseph Kabila et son clan », commente un homme d’affaires kinois. Celui-ci d’ajouter: « Bien que réputé avenant et gestionnaire plutôt rigoureux, Yav a pour point faible ses origines katangaises. Jusqu’à quand les natifs de cette partie du pays vont continuer à faire plus la pluie que le beau temps alors que notre pays compte 26 provinces? Qu’en est-il du principe la représentativité nationale que proclame l’article 90 de la Constitution? »
Question: le président Tshisekedi va-t-il annoncer la nomination du formateur du gouvernement dès son retour de Washington? La tentation est forte de répondre par l’affirmative. Et si ce formateur n’était autre que le nommé Henri Yav Mulang?
Baudouin Amba Wetshi