Quand on se penche sur la politique congolaise ou africaine de manière générale, la première chose qui heurte l’esprit est l’incapacité de l’homme politique à tirer des leçons du passé. Candidat vainqueur de l’élection présidentielle du 30 décembre dernier au Congo-Kinshasa avec 62,11% des voix, selon l’unique mission d’observation électorale crédible, celle de la Conférence des évêques catholiques (CENCO), Martin Fayulu ne décolère pas après avoir vu sa victoire volée par le pacte conclu entre le despote Joseph Kabila et Felix Tshisekedi, l’un des perdants avec 15%. Alors que ce dernier a été investi Président de la République et reconnu comme tel par toutes les chancelleries même si leurs hommages, à travers la présence à la cérémonie d’investiture d’un seul chef d’Etat sur les dix-sept invités, ont été à la hauteur du scandale, Fayulu se dit « en communion parfaite avec le peuple congolais qui l’a élu Président de la République ». Il refuse de s’avouer vaincu et demande aux uns et aux autres de respecter la volonté du peuple. A défaut du soutien du monde extérieur, il compte sur la rue pour renverser la tendance. Pourtant, l’expérience congolaise et africaine démontrent clairement que dans un tel contexte, le candidat malheureux ne dispose d’aucune marge de manœuvre.
Dans le passé, il y a eu le cas d’Etienne Tshisekedi lors de son éphémère passage à la primature, du 29 août au 1er décembre 1992, dans le cadre de la Conférence Nationale Souveraine. Nommé à ce poste par le dictateur Mobutu Sese Seko, Tshisekedi, qui adorait lancer des défis sans objet, avait aussitôt été démis de ses fonctions. Mais il continuait à se considérer comme le Premier Ministre légitime, capable de diriger le pays même sous les manguiers. On a pourtant vu Mobutu continuer à diriger le pays et Tshisekedi totalement impuissant face à cet état des choses. Il n’y a jamais un sans deux, dit-on. Quand Joseph Kabila vola la victoire électorale d’Etienne Tshisekedi en 2011, ce dernier se considérait comme le président élu, allant jusqu’à demander qu’on ligotât Kabila et qu’on le lui emmena. Peine perdue, car en bon dictateur façonné par le système politique même du pays, Kabila détenait tous les leviers du pouvoir. Evoquons une autre expérience récente en dehors de nos frontières nationales. Au Gabon, la Cour constitutionnelle, encore et toujours elle, avait volé la victoire électorale de Jean Ping en 2016 au profit du despote Ali Bongo. Trois ans après, Ping a beau présenter ses vœux de nouvel an aux Gabonais comme s’il était leur Président, l’effectivité du pouvoir, elle, reste entièrement aux mains du voleur.
Tokende liboso, tozonga sima, comme on dirait chez nous. Martin Fayulu est-il bien placé pour servir des tartines de morale politique au voleur Felix Tshisekedi? Alors que le choix de ce dernier s’imposait comme candidat commun de l’opposition, Fayulu ne lui a-t-il pas damé le pion en signant à Genève un pacte contraire à la Constitution avec deux candidats potentiels que le despote Joseph Kabila avait écartés de la course au pouvoir, à savoir Jean-Pierre Bemba et Moise Katumbi? Notons qu’en cas de victoire, Fayulu devait organiser une élection présidentielle après deux ans pour permettre au duo ci-dessus de participer à la course. Les Congolais au nom duquel se révolte Fayulu aujourd’hui ne seraient-ils importants ou souverains que quand ses intérêts personnels à lui coïncident avec les leurs?
Quand un homme politique est confronté à une situation critique et que ses réactions sont connues d’avance par le commun des mortels, cela signifie qu’il ne vole pas haut en tant que leader. A force de s’agiter alors que les carottes sont déjà cuites, Martin Fayulu se ridiculise. Son erreur provient sans doute de l’Eglise de réveil ou du sommeil qu’il fréquente. Car, les églises du sommeil appelées « Binzambi-Nzambi » sont réputées pour leur grande capacité à vendre du vent. S’il avait les deux pieds sur terre, Martin Fayulu, comme tous les autres candidats, devrait savoir que le processus électoral était entièrement contrôlé ou verrouillé par le despote du pays et que tout recours à la Cour constitutionnelle, cette « Tour de Pise » aux ordres du despote, ne permettrait aucun miracle.
Fayulu devait certes rappeler qu’il était le vainqueur de l’élection, que le processus électoral était vicié dès le départ et que la victoire de Tshisekedi faisait partie de notre misère et non de sa solution. Cependant, il aurait gagné en estime en soulignant les victoires remportées par le peuple face au despote. Joseph Kabila n’a pas obtenu le troisième mandat consécutif dont il rêvait. Malgré la mobilisation de tous les moyens de l’Etat, il n’a pas réussi à imposer son dauphin que le peuple qui a littéralement transformé en une pauvre carpe. Ce faisant, Fayulu se serait sorti la tête haute en appelant le peuple à respecter la décision de notre « Tour de Pise », tout en insistant sur le fait que la route était encore longue pour redresser celle-ci et qu’il s’engageait à œuvrer dans cette direction pour que la transparence soit un jour au rendez-vous de notre histoire électorale. Car, ce qui est en jeu ici, ce n’est pas le destin d’un homme. C’est plutôt celui de tout un peuple dont la sortie de la mauvaise gouvernance endémique ne se fera que de manière graduelle. Encore faut-il que les élites disposent des idées-outils pour atteindre ce noble objectif.
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo