Juriste de formation, président du parti UNIR-MN (Union pour la République – Mouvement National), Frédéric Boyenga Bofala est sorti, mercredi 16 janvier, de son long silence. Il se dit « préoccupé » de constater que les consultations électorales organisées le 30 décembre 2018 n’ont pas généré l’ « alternance démocratique apaisée » que les Congolais espéraient. Selon lui, la décision que prendra la Cour constitutionnelle dans le cadre du contentieux électoral né suite à l’élection présidentielle ne fera qu’exacerber la division entre les Congolais. Aussi propose-t-il l’organisation, sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations Unies, d’un « second tour », à titre exceptionnel, pour départager Martin Fayulu et Felix Tshisekedi. Il propose également le remplacement de l’actuelle centrale électorale par une « institution sui generis » qu’il appelle la « haute autorité électorale ». Pour lui, cette « solution exceptionnelle » devrait procéder du « consensus national ».
Après un voyage tumultueux en novembre 2016 à Kinshasa où il a été embastillé, durant deux mois, dans un « cachot secret » géré par des « sécurocrates » de la Kabilie, Frédéric Boyenga Bofala s’était muré dans un mutisme assourdissant. Un mutisme qui a été diversement interprété. Deux années après sa libération, le motif de son arrestation reste un mystère.
Deux années après avoir quitté la « prison à ciel ouvert » qu’est la capitale congolaise (dixit, le cardinal Laurent Monsengwo), « FBB », comme l’appellent affectueusement ses proches, a décidé d’exercer à nouveau le ministère de la parole. Pour dire quoi?
Dans une interview qu’il a accordée, mercredi 16 janvier, à Cheik Fita ainsi qu’à l’auteur de ces lignes, Boyenga s’est dit « préoccupé » par l’ambiance irrespirable qui règne au Congo-Kinshasa depuis que la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a publié les « résultats provisoires » de la présidentielle. On le sait, Félix Tshisekedi Tshilombo a été proclamé « président élu ». Au grand dam de Martin Fayulu Madidi. C’était le jeudi 10 janvier dernier.
On le sait également que la Cenco (Conférence épiscopale nationale indépendante) a, le même jour, contesté l’ « ordre d’arrivée » des prétendants à la présidentielle tel que présenté par la Ceni. Les évêques catholiques se sont cependant abstenus de nommer le « vainqueur ». N’empêche, la sortie médiatique des prélats a jeté le trouble dans les esprits tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
L’IMPASSE
Mardi 15 janvier, la Cour constitutionnelle a commencé l’examen du recours introduit par Fayulu Madidi contre les résultats provisoires de la Ceni. Le représentant du ministère public s’est prononcé. Dans son réquisitoire, celui-ci a demandé aux neuf juges de déclarer le recours de Fayulu « irrecevable ». « Notre pays se trouve dans l’impasse », estime Boyenga. Pour lui, « quelle que soit la décision que prendra la Cour constitutionnelle, cette décision va diviser les Congolais ». Et de déplorer le retour en force du discours tribalo-régionaliste. « On nous a inoculé le venin de la division », souligne-t-il en pointant du doigt les citoyens du pays qui ont, selon lui, une « grande part de responsabilité ».
Pour le président de l’Unir-Mn, le régime finissant « n’a pas facilité la réconciliation entre Congolais ». Il a déploré le silence de « Joseph Kabila » pendant qu’il est fait état des tueries à Kikwit (Kwilu) et à Yumbi (Maï Ndombe). « Le chef de l’Etat devait s’adresser à la nation pour faire taire cette situation », tonne-t-il. Et de poursuivre: « Depuis l’avènement de l’AFDL le 17 mai 1997, notre pays n’a jamais connu la paix. A l’Est, on tue chaque jour à tel point que ces meurtres n’émeuvent plus le monde ».
Après avoir établi ce diagnostic, Frédéric Boyenga est passé à l’essentiel. L’essentiel pour lui consiste à trouver une voie de sortie de crise pour « départager démocratiquement » Fayulu et Tshisekedi. « A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle », martela-t-il en se réjouissant de noter que le Conseil de sécurité des Nations Unies se penche actuellement sur la crise post-électorale qui prévaut dans l’ex-Zaïre.
UN « SECOND TOUR » EXCEPTIONNEL
Pour lui, la « mesure exceptionnelle » dont question tient non seulement à l’organisation d’un « second tour » de la présidentielle entre les deux candidats restés en lice mais aussi le remplacement de la Ceni par une « institution sui generis » qu’il appellerait « haute autorité électorale ».
Docteur en droit international public, Boyenga estime que ce scénario doit être piloté par le Conseil de sécurité des Nations Unies. « Le Conseil de sécurité devrait émettre une recommandation invitant les Congolais à adopter cette solution, fait-il remarquer. D’aucuns diront que je rêve du fait que la Constitution ne prévoit guère un second tour de la présidentielle. En tous cas, c’est la seule solution pour préserver la paix et l’unité nationale ».
C’est le lieu d’ouvrir une parenthèse pour rappeler les révélations faites mardi 15 janvier par quelques médias internationaux. C’est le cas notamment de Financial Times, TV5 Monde et RFI. Le Groupe d’Etude pour le Congo (GEC) a collaboré à ce travail qui a consisté à éplucher plus de 2.000 documents qui auraient fuité du serveur central de la Ceni. Les dits documents semblent confirmer la thèse soutenue par la Cenco.
LE « TROISIÈME LARRON »
On peut gager que toutes ces « révélations » n’ont pas manqué d’inciter les chefs d’Etat et de gouvernement réunis, jeudi 17 janvier, à Addis Abeba, de faire preuve de circonspection dans l’examen de la crise post-électorale au Congo-Kinshasa.
Dans la soirée, on apprenait que, sous la direction du président en exercice de l’Union africaine, Paul Kagame, les dirigeants africains présents seraient arrivés à la conclusion selon laquelle, il y a « des sérieux doutes quant à la conformité des résultats provisoires, proclamés, par la Commission électorale nationale indépendante avec le verdict des urnes ». Des propos tenus par le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat. D’après des dépêches d’agence, il a été demandé à la Ceni de surseoir à la publication des « résultats définitifs des élections ».
On imagine que « Joseph Kabila » et les « nationalistes-souverainistes » autoproclamés qui l’entourent doivent être fou furieux. Le « raïs » et sa fratrie avaient juré, par la bouche de « Zoé », qu’ils « ne sont pas prêts à céder le pouvoir à n’importe qui ». Il semble qu’une délégation de l’UA de haut niveau va être dépêchée à Kinshasa. Fermons la parenthèse.
Concluant son interview, Boyenga Bofala adopta un ton comminatoire en prévenant: « Nous devons faire attention. Si nous refusons une solution de paix, il y a lieu de craindre qu’une solution forcée vienne tout balayer. A l’heure où nous parlons, il y a des officines qui travaillent. On risque même de balayer les résultats provisoires actuels ». Selon lui, un « troisième larron » pourrait sortir du bois…
Baudouin Amba Wetshi