La polémique continue à faire rage entre la coalition politique Lamuka et la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) d’une part et la Ceni et la Cenco, de l’autre depuis la publication, jeudi 10 janvier, des « résultats provisoires » de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018. La proclamation de Félix Tshisekedi Tshilombo (candidat de la coalition Cach) comme « Président élu » reste « imbuvable » pour les membres de la coalition Lamuka dont le candidat, Martin Fayulu Madidi, passait pour le favori. Des voix commencent à s’élever pour dénoncer le « pacte secret » passé entre le duo Tshisekedi-Kamerhe et « Joseph Kabila ». A New York, le Conseil de sécurité semble avoir levé l’option d’éviter toute remise en cause de la situation pour privilégier la paix et stabilité au Congo-Kinshasa. Il n’est pas exclu que la « communauté internationale » exhorte Fayulu et Tshisekedi à « faire un pas vers l’autre ». Problème: des « plaies psychologiques » sont encore béantes de part et d’autre. Avocat au barreau de Bruxelles et à la CPI (Cour pénale internationale), Guylain Mafuta Laman fait partie des « communicateurs » de Lamuka. Il donne sa lecture de ce casse-tête. Entretien.
Accompagné de ses avocats et de l’ancien « Premier » Adolphe Muzito, Martin Fayulu Madidi s’est rendu samedi 12 janvier à la Cour constitutionnelle afin de déposer son recours en contestation des résultats provisoires de l’élection.
Contre toute attente, des éléments de la « garde prétorienne » de « Joseph Kabila » – armés jusqu’aux dents – ont encerclé la résidence du candidat de Lamuka. Celle-ci est située à un jet de pierre de la résidence présidentielle. Cette démonstration bête et méchante de force a surpris dans la mesure où la garde républicaine a pour mission d’assurer la protection du chef de l’Etat ainsi que les membres de sa famille. Sans omettre les institutions.
Sur son compte Twitter @Martin Fayulu, on pouvait lire cette alerte: « La garde république de Kabila a pénétré dans ma propriété aujourd’hui pour m’empêcher de déposer mon recours à la Cour constitutionnelle ». De quoi donner raison à ceux qui considèrent cette unité « très spéciale » de l’armée congolaise comme une « milice » au service de « Kabila » et de sa mouvance. Les « GR » devaient, semble-t-il, disperser les sympathisants de Lamuka qui voulaient escorter « Mafa ».
Aux dernières nouvelles, Fayulu a pu déposer sa requête devant la Cour constitutionnelle, une haute cour à l’égard de laquelle la grande majorité de Congolais éprouve une vive méfiance du fait de l’inféodation de ses juges à la personne de « Kabila ». L’objectif poursuivi par le candidat de la coalition Lamuka est d’obtenir « la vérité des urnes ». « L’élection présidentielle a été remportée par Martin Fayulu, explique Guylain Mafuta Laman. Les résultats proclamés par la Ceni sont en contradiction avec la réalité des urnes ». Il tempère aussitôt son passionné: « Nous sommes des légalistes, nous voulons d’abord épuiser les voies légales internes avant de tirer des conclusions ».
LA VÉRITÉ DES URNES
Jeudi 10 janvier, l’abbé Donatien Nsole, secrétaire général et porte-parole de la Conférence épiscopale nationale (Cenco) a été le premier à « dégainer » en relevant la non-concordance des chiffres de la Ceni par rapport aux « données collectées » par des observateurs de la Cenco auprès des bureaux de vote et de dépouillement. Malin comme un vieux babouin, Nsole s’est gardé de franchir le rubicond en donnant le nom du « vainqueur ».
Lors d’une conférence de presse qu’il a animée vendredi 11 janvier au siège du MLC, Fayulu d’enfoncer en donnant l’ordre d’arrivée des principaux candidats à la présidentielle: Martin Fayulu, Félix Tshisekedi et Emmanuel Ramazani Shadary. « Nous sommes en possession de tous les procès-verbaux qui donnent notre candidat gagnant de l’élection présidentielle », assure Mafuta. Le juriste dit espérer que « la Cour constitutionnelle ne passera pas à côté de l’Histoire. L’Histoire du Congo ». Il s’est, en revanche, refusé de dire ce que sera la « prochaine étape ». « Justement, nous procédons par étapes. Je ne vais pas dévoiler ici notre stratégie ». Et de marteler: « Notre coalition Lamuka réclame la vérité des urnes afin que notre candidat soit rétabli dans ses droits. Nous irons jusqu’au bout ».
Selon Guylain Mafuta Laman, la coalition à laquelle il appartient appelle la « communauté internationale » à soutenir la cause qu’elle défend. Pour lui, « le fait que la Ceni n’ait pas donné le nom du véritable vainqueur de la présidentielle constitue une menace pour la paix internationale ».
ON N’EST PAS SORTI DE L’AUBERGE
Des observateurs ont noté, vendredi 11 janvier, à New York, l’indécision ayant caractérisé le débat au Conseil de sécurité des Nations Unies entre la délégation de la Cenico et le président de la Ceni Corneille Nangaa qui intervenait en vidéo conférence.
D’après certains sources diplomatiques occidentales, « on » envisageraient déjà de conseiller à Fayulu et Tshisekedi « de faire un pas vers l’autre ». Un nouveau dialogue? Quel en serait le but dans la mesure où il semble de plus en plus certain que la très nébuleuse « communauté internationale » n’entendrait en aucun cas remettre en cause la « victoire » de « Fatshi »?
« Guylain » ne trouve pas des mots assez durs pour « descendre en flamme » « Felix ». Bruxellois, les deux hommes se connaissent bien. « Nous avons milité ensemble dans l’Asbl ‘Tshisekedi for President’ en soutien à Papa Tshisekedi lors de la présidentielle de 2011 ». Pour Mafuta, le candidat de Cach « a trahi l’idéal que défendait Etienne Tshisekedi wa Mulumba, qu’il qualifie d’homme de conviction. Un homme qui ne s’est jamais rendu coupable de compromission ». « Au moment où les Congolais sont demandeurs de rupture avec le système incarné par Kabila, Felix Tshisekedi engage le pari de redonner le pouvoir au Président sortant. Sa démarche n’est nullement motivée par l’intérêt général », martèle-il.
« PRÉSIDENT FANTOCHE »
Comme de nombreux Congolais, Mafuta a eu des échos selon lesquels « Kabila » aurait décidé de « céder » la Présidence à « Fatshi » au motif que celui-ci serait un « conciliant ». Et ce contrairement à « Mafa » jugé « vindicatif ». Intransigeant. Mafuta Laman s’enrage: « Felix Tshisekedi sera un président sans pouvoir. Un président-fantoche. Kabila lui a cédé la Présidence tout en conservant l’effectivité du pouvoir ». Il poursuit: « Qui est Felix pour absoudre Kabila de diverses infractions qui lui sont imputées? Qui est-il pour passer par pertes et profits la soif de justice des familles qui ont perdu des êtres chers lors des manifestations pacifiques? »
Lors des travaux du dialogue inter-congolais organisés en Afrique du Sud en 2002, la majorité des intervenants avait épinglé la « crise de légitimité » née au lendemain du renversement du Premier ministre Patrice Lumumba comme étant la cause du « mal congolais ». Cinquante-huit années après, le pays est toujours et encore plongé dans une crise de légitimité…
Baudouin Amba Wetshi.