Après quatre ajournements des élections (présidentielle, législatives et provinciales), « Kabila » – dont le régime a cessé d’être constitutionnel depuis le 19 décembre 2016 – et son homme de main, Nangaa, continuent à défier les 80 millions de Congolais. A quelques 72 heures de la nouvelle date fixée pour tenue de ces consultations, le président de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) a poussé l’effronterie jusqu’à exclure les électeurs de Butembo, Beni et Yumbi des scrutins prévus le dimanche 30 décembre. Beni et Butembo représente au bas mot 15 députés nationaux. Les raisons invoquées sont purement fantaisistes. Par la déraison de « Joseph » et « Corneille », les citoyens congolais de ces circonscriptions ne pourraient voter qu’en mars 2019. « C’est un prétexte », a déclaré Crispin Mbindule Mitono, un des élus de Butembo.
La nouvelle est tombée mercredi 26 décembre comme une plaisanterie. Hélas, non! « Joseph Kabila », cet homme dont les origines et le parcours personnel demeurent un mystère – deux décennies après – pour la grande majorité de la population congolaise, a fait dire au président de la CENI que les citoyens de Beni-Ville, Butembo-Ville au Nord Kivu et Yumbi (Maï Ndombe) sont exclus du vote prévu le dimanche 30 décembre. L’épidémie de fièvre Ebola et l’insécurité sont les raisons invoquées. Des raisons jugées unanimement fallacieuses.
Depuis le mois d’octobre 2014, des prétendus rebelles ougandais des « ADF » (Forces démocratiques alliées) répandent, en toute impunité, la mort et la terreur chaque weekend dans le Territoire de Beni. Depuis quatre ans, les pouvoirs publics affichent une impuissance qui frise la connivence avec les mystérieux tueurs.
JAMIL MUKULU
Depuis 2015, le leader présumé des « ADF », un certain Jamil Mukulu, a été arrêté en Tanzanie et transféré à Kampala, en Ouganda. L’homme a été trouvé en possession d’une dizaine de passeports dont celui du « Congo démocratique ». Une occasion propice pour les autorités congolaises de voir clair sur ce phénomène.
Contre toute attente, aucune démarche diplomatiques n’a été entreprise, à ce jour, auprès des autorités judiciaires ougandaises. Alors que le Congo-Kinshasa est en droit de se constituer partie civile dans le procès en cours à Kampala. Quelle est la raison de cette inaction? Est-ce parce que le nommé Jamil Mukulu serait une « vieille connaissance » du général-major « Joseph Kabila »? Des témoins assurent que les deux hommes ont vécu sous le même toit au n°55 de l’avenue Bocage au Quartier kinois de Ma Campagne.
Issus d’un mouvement rebelle en l’occurrence l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre), les dirigeants congolais actuels – « Joseph Kabila » en tête – continuent à entretenir des « relations incestueuses » avec des groupes armés qui terrorisent la population non seulement dans les deux provinces du Kivu mais aussi dans celles de l’Ituri et de Tanganyika. Au Maï Ndombe, des observateurs suspectent le pouvoir kabiliste, à travers le gouverneur Gentini Ngobila, de susciter des conflits interethniques.
Les motifs invoqués par Nangaa via le rapporteur Jean-Pierre Kalamba Ngalula pour justifier l’exclusion temporaire de ces contrées ne résistent guère à l’examen en ce qui concerne Beni. Qu’en est-il de Butembo? L’épidémie de la fièvre Ebola y sévit mais la population continue à vaquer à ses occupations. Bref, la vie continue moyennant des précautions d’hygiène. Le ministère de la Santé a, dans le cadre de son opération dite « Riposte », procéder à la vaccination de près de 20.000 personnes à Beni et 6.000 à Butembo.
RÉACTIONS
Cette annonce controversée de la CENI a déclenché des réactions en cascade. Le premier à réagir sur RFI est le député national Crispin Mbindule, élu de Butembo: « Ebola existe ici mais nous circulons, nous allons au marché et assistons à des offices religieux. Les élèves vont à l’école. Ce n’est pas à cause de cette maladie qu’on peut reporter les élections ».
Pour lui, la décision prise par la CENI n’est ni plus ni moins qu’un « prétexte » destiné à écarter du vote les habitants d’une ville « acquise à l’opposition ». « Nous disons que Butembo fait partie intégrante de la RDC. Les élections ne peuvent pas se passer sans la ville de Butembo », a-t-il conclu.
L’avis de ce parlementaire est loin d’être partagé par la mouvance kabiliste. Comme à l’accoutumée, la majorité présidentielle sortante s’aligne sur la position de la CENI. « Les raisons invoquées pour ce report sont fondées » a estimé Gilbert Muhika, chargé de la commission électorale au sein du FCC.
Sur son compte Twitter, Moïse Katumbi, président de la coalition politique « Ensemble » et co-animateur de « Lamuka », considère que l’oukase de la centrale électorale est « injustifiable ». « Nangaa et la CENI ont prouvé leur mauvaise foi et leur incompétence. Les Congolais doivent se prendre en main et chasser ce régime », tonne-t-il.
A la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), c’est l’incrédulité. Secrétaire général de la CENCO, abbé Donatien N’shole ne cachait pas mercredi son « étonnement » face à cette décision qu’il qualifie d’ « incohérente ». Il peine à comprendre que la CENI ait pu autoriser la campagne électorale « dans le même contexte marqué par la fièvre Ebola ». Donatien N’shole n’a pu s’empêcher de soupçonner l’existence d’un « agenda caché ».
DÉFI
Sur les réseaux sociaux, une lettre n°20/CENI/BUR/2018, estampillée « Confidentiel », circule. La date est illisible. L’auteur ne serait autre que Corneille Nangaa. Le président de l’Assemblée nationale Aubi Minaku en est le destinataire. Le premier cité fait référence aux « instructions venues d’en haut sur le processus électoral ». « (…) qu’il me soit permis de rappeler à votre haute personnalité que l’heure est venue pour mettre en exécution le schéma qui va conduire au report des élections de 2018 au mois d’août 2019″, peut-on lire. Il poursuit: « Ce report devait être annoncé au cours de l’ultime session du Parlement ».
En lisant entre les lignes, il apparaît que la mouvance kabiliste est inquiète. Celle-ci espérait le « boycott » du processus électoral par les forces de l’opposition. Elle a été surprise par l’engouement des Congolais à participer à la consultation électorale fixée initialement au 23 décembre 2018.
Autre raison d’inquiétude: le « dauphin » Emmanuel Ramazani Shadary n’aurait pas « charmé » un « maximum » d’électeurs potentiels. « Corneille Nangaa a reçu mission de proclamer le candidat du FCC comme vainqueur de la présidentielle. L’enjeu est d’une importance difficile à évaluer pour le raïs et sa fratrie… »
Le duo « Kabila »-Nangaa a engagé le redoutable pari d’éprouver jusqu’où pourrait aller la capacité d’indignation des Congolais. Un vrai défi.
Baudouin Amba Wetshi