Il faut élargir la portée des sanctions internationales à tous ceux qui bafouent les droits humains
(Kinshasa) – À l’approche de l’élection présidentielle prévue pour le 23 décembre, le gouvernement de la République démocratique du Congo a procédé à de nouvelles arrestations d’activistes pro-démocratie au cours du mois de novembre 2018. Les autorités congolaises devraient immédiatement mettre un terme à la répression et, avec l’appui de la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo, enquêter et exiger des comptes de ceux qui se sont rendu responsables d’arrestations et de détentions arbitraires, de tortures et autres maltraitances.
En novembre, la police a arrêté sans fondement le journaliste Peter Tiani et 17 jeunes activistes pro-démocratie dans la capitale, Kinshasa. Beaucoup d’entre eux ont été battus pendant leur détention. Dans la ville de Goma, à l’est du pays, des assaillants non identifiés ont enlevé et torturé un jeune activiste, Trésor Kambere, pendant trois jours, avant de le libérer. La police de Goma a arrêté quatre autres jeunes activistes pendant une manifestation pacifique de faible ampleur réclamant la libération de Trésor Kambere. Les activistes arrêtés en novembre ont été libérés mais Peter Tiani reste en détention.
« Les autorités congolaises sapent le processus électoral en arrêtant et en maltraitant des activistes, journalistes et autres dissidents qui expriment pacifiquement leurs opinions ou font simplement leur travail », a déclaré Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Il est crucial que les Congolais puissent librement exercer leurs libertés civiles élémentaires à l’occasion des élections longuement attendues qui doivent se dérouler d’ici un mois ».
Des dizaines d’activistes pro-démocratie, de chefs et partisans de partis politiques d’opposition arrêtés de manière arbitraire dans le passé pour leurs activités pacifiques demeurent en détention. Parmi eux se trouvent sept activistes du mouvement citoyen Les Congolais Debout que les services d’intelligence de Kinshasa détiennent illégalement et sans chef d’accusation depuis le 11 septembre et quatre jeunes activistes du mouvement Filimbi détenus depuis le 30 décembre 2017.
Le 1er novembre, la police a interpelé 16 activistes, dont trois jeunes femmes, du mouvement Vigilance Citoyenne (VICI) alors qu’ils participaient à des actions d’éducation civique et électorale sur un marché public de Kinshasa. La police a frappé et arrêté un autre activiste de VICI, Benjamin Kabemba, alors qu’il rendait visite aux personnes arrêtées au poste de police de Kasavubu. Les autorités les ont transférés à la prison centrale de Kinshasa le 8 novembre et les ont accusés d’incitation à la désobéissance civile avant de les libérer à titre provisoire le 18 novembre.
Gloria Senga, coordinatrice de VICI, a confié à Human Rights Watch que la police avait battu Benjamin Kabemba au poste de Kasavubu:
« Nous avons tenté d’intervenir mais d’autres policiers ont commencé à nous frapper. L’un deux a touché mes parties intimes. Lorsque j’ai résisté, il m’a déclaré qu’il n’était pas le premier homme à le faire. J’ai ressenti une profonde humiliation. Puis, l’un des policiers est monté sur Rose [Kabala, autre activiste] et l’a violemment piétinée ».
Rose Kabala a été hospitalisée pour une fracture d’une jambe et du pelvis.
Le 7 novembre, la police a arrêté Peter Tiani, directeur de l’organe de presse en ligne populaire et de la chaîne YouTube Le Vrai Journal, à son bureau de Kinshasa. L’avocat de M. Tiani a déclaré qu’il avait été accusé d’imputations dommageables concernant la famille du Premier ministre Bruno Tshibala, pour avoir repris une information diffusée sur un autre site congolais faisant état de la disparition d’une forte somme d’argent au domicile de M. Tshibala. Peter Tiani est détenu à la prison centrale de Kinshasa. Ses émissions sur les manifestations politiques, la répression gouvernementale et les atteintes aux droits humains ont un large auditoire. Selon Human Rights Watch, son arrestation semble avoir pour but de réduire au silence ce journaliste qui s’exprime sur des sujets critiques.
À Goma, le 10 novembre, quatre hommes en tenue civile ont appréhendé Trésor Kambere, dit « Lumumba », activiste bien connu du mouvement Lutte pour le Changement ou LUCHA, alors qu’il marchait dans la rue en compagnie d’un ami. Les hommes l’ont frappé et l’ont fait monter de force dans leur jeep, en laissant son ami sur place. Juste avant minuit le 13 novembre, les assaillants l’ont jeté au bord de la route dans un quartier reculé de la ville.
Trésor Kambere a déclaré à Human Rights Watch depuis l’hôpital où il recevait des soins, que les assaillants l’ont emmené dans une maison, lui ont bandé les yeux avec un foulard, attaché les pieds et les mains à une chaise et enfoncé des mouchoirs en papier dans la bouche. « Celui qui semblait être leur chef a commencé à me parler de LUCHA » a indiqué Kambere. « Il m’a dit: ‘Je peux décider de ton avenir, de ta vie ou de ta mort. Tu ne peux pas continuer à déstabiliser les institutions de la république. Tu n’as qu’un choix à l’heure actuelle’. »
Selon Trésor Kambere, les assaillants lui ont ensuite posé un seau d’eau sur les cuisses. « Ils m’ont pris par le cou et plongé la tête dans l’eau pendant 15 à 25 secondes à plusieurs reprises », a-t-il dit. « Au bout de quelques heures, ils sont revenus avec un cercueil. Ils m’ont retiré le bandeau, détaché et ordonné de m’étendre à l’intérieur. Ils me posaient des questions et me torturaient si je ne répondais pas. Ils m’ont injecté un produit dans la cuisse gauche; je ne sais pas ce que c’était mais cela a occasionné une vive douleur. Ils m’ont aussi frappé à coups de couteau, me blessant les cuisses et le dos. Je ne comprends pas comment je suis encore en vie ».
La police a arrêté quatre activistes, dont un de LUCHA et trois étudiants pendant une manifestation de faible ampleur à Goma, le 12 novembre réclamant la libération de Trésor Kambere. Ils ont été libérés le lendemain soir.
Les récentes arrestations semblent faire partie d’un plus large dispositif répressif dirigé contre les opposants aux efforts du Président Joseph Kabila visant à prolonger sa présidence au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats, dont le second a pris fin en décembre 2016. Au moins 2.000 personnes environ –des dirigeants de partis d’opposition, leurs partisans et des activistes pour la démocratie – ont été arbitrairement arrêtés depuis le début des manifestations en 2015. La plupart ont été relâchés, souvent après des semaines ou des mois de détention illégale et de maltraitances.
Le président Kabila a déclaré qu’il ne serait pas candidat aux prochaines élections, principalement, semble-t-il, en raison des pressions intérieures, régionales et internationales exercées sur lui pour lui faire quitter le pouvoir conformément à la constitution. Cependant, de nombreux activistes et chefs de l’opposition s’inquiètent de l’absence de crédibilité du processus électoral qui donne un avantage injuste à Shadary Ramazani, le candidat jouissant du soutien du Président Kabila. Ils font valoir la répression contre l’opposition et les activistes, le manque d’indépendance des tribunaux et de la commission électorale et les irrégularités entachant les listes électorales qui pourraient comporter six millions de possibles « électeurs fantômes » selon un audit de l’Organisation internationale de la Francophonie. Certains chefs de l’opposition ont été arbitrairement exclus de la liste des candidats et le gouvernement utilise des machines à voter prêtant à la controverse qui, selon les craintes de certains, faciliteront la fraude et créeront de graves problèmes logistiques.
L’Union européenne, les États-Unis et le Conseil de sécurité de l’ONU imposent depuis 2016 des sanctions ciblées à l’encontre des dirigeants congolais, des responsables des forces de sécurité et d’autres qui ont d’étroits liens financiers avec la présidence. Les sanctions sont fondées sur leur participation présumée à de graves atteintes aux droits humains, à la répression gouvernementale et à la corruption à grande échelle dont une bonne partie est directement liée aux efforts de Kabila pour se maintenir au pouvoir. L’UE doit décider lors de la réunion du conseil des affaires étrangères du11 décembre, si elle doit renouveler les sanctions existantes et ajouter à sa liste de nouvelles personnes.
Vu l’échec du gouvernement de faire rendre des comptes aux responsables pour les graves abus commis, l’UE, les États-Unis et le Conseil de sécurité devraient maintenir les sanctions actuelles et envisager de les élargir afin de les appliquer à ceux qui portent le plus de responsabilité pour les abus incessants.
« La tenue d’élections sans la candidature de Joseph Kabila ne garantit pas la fin de la violence ou la crédibilité des élections », a déclaré Ida Sawyer. « Les partenaires internationaux de la RD Congo devraient exercer des pressions sur le gouvernement jusqu’à ce que cessent la répression et les graves violences, des comptes soient exigés de ceux qui les perpétuent et que les Congolais puissent librement et justement élire leurs gouvernants ».
Par Human Rights Watch, 21.11.18