« Martin Fayulu Madidi est désigné candidat commun de l’Opposition à l’élection présidentielle du 23 décembre ». Dimanche 11 novembre. Il est 18 heures lorsque cette information commence à circuler sur les réseaux sociaux. Chat échaudé, d’aucuns n’y ont vu qu’une boutade de plus voire de l’intox. Une demi-heure après, on voit apparaître sur le « communiqué final » de la réunion de l’Opposition à Genève. Les sept signatures paraissent authentiques. Vive les réseaux sociaux!
A moins de deux semaines du lancement de la campagne électorale notamment pour l’élection présidentielle, des leaders de l’Opposition ont (enfin) désigné leur « candidat commun ». Celui-ci aura la redoutable charge d’affronter le « rouleau compresseur » de la coalition pro-kabiliste du FCC (Front commun pour le Congo) conduit par le « dauphin » Emmanuel Ramazany Shadary.
On attendait Félix Tshisekedi Tshilombo, et voici Martin Fayulu Madidi. C’est une grande surprise. L’avenir dira ce qui s’est passé. « Afin de faire aboutir son combat politique, la coalition ‘LAMUKA’ (traduction, réveille-toi, Ndlr) a choisi par vote M. Martin Fayulu Madidi comme candidat commun de l’Opposition à l’élection présidentielle du 23 décembre 2018″, peut-on lire dans le communiqué précité. Les signataires sont: JP Bemba Gombo (MLC & alliés), Martin Fayulu Madidi (Dynamique de l’Opposition), Vital Kamerhe (UNC & alliés), Moïse Katumbi Chapwe (Ensemble pour le changement), Freddy Matungulu Mbuyamu (Congo na Biso/Syenco), Adolphe Muzito (Nouvel Elan), Felix Tshisekedi Tshilombo (UDPS et aliiés).
Que s’est-il passé? Au moment où ces lignes sont écrites, les informations des coulisses sont rarissimes. Des sources indiquent que les participants s’étaient imposé la discipline de laisser leurs appareils téléphoniques dans le vestiaire. Les amateurs des « fuites » n’ont pas eu leur compte.
Dans un bref message en anglais qui émanerait de l’ancien sous-secrétaire d’Etat américain Herman Cohen, il est indiqué que Felix Tshisekedi était bel et bien le « candidat commun » désigné. Des divergences seraient apparues au moment de la rédaction du communiqué final. « Félix » aurait fait valoir son opposition à la phrase suivante: « Nous ne participerons pas aux élections si la CENI (Commission électorale nationale indépendante) ne retire pas les machines électroniques à voter ». Selon l’ambassadeur Cohen, c’est le refus de cette formulation qui a été à la base du remplacement de « Félix » par Fayulu. Une explication est un peu sibylline.
On le sait, la direction de l’UDPS a, à maintes reprises, fait savoir sa résolution d’aller aux élections « avec ou sans machines à voter ». On le sait également que pour la « base » de ce parti, le rôle de « candidat commun » devait revenir à « Fatshi ». Une intransigeance que les pourfendeurs de cette formation politique goûtent modérément. Une récente enquête d’opinion réalisée par « Berci » (Bureau d’études, de recherche et de consulting international) et « Gec » (Groupe d’études pour le Congo) de l’université de New York mettant le leader de l’UDPS « en haut de l’affiche » suivi de Vital Kamerhe, Emmanuel Ramazani Shadary et Martin Fayulu Madidi a laissé croire que les jeux étaient faits.
RÉACTIONS
Selon des sources kinoises, les dirigeants du FCC se disent sereins. Et ce en dépit du fait que le président de l’ECIDé (Engagement pour la citoyenneté et le développement) n’est pas l’adversaire qu’ils attendaient. « Ils espèrent que la ‘base’ de l’UDPS et celle de l’UNC de Vital Kamerhe vont désavouer le consensus de Genève », dit-on. Au FCC, on s’attend à ce que « Félix » et « Vital » se lancent, à titre individuel, dans la course prévue le 23 décembre.
Depuis Genève, Tshisekedi Tshilombo a tenu des propos d’une rare noblesse: « Nous devons respecter la règle de jeu démocratique. Nous devons prêcher par l’exemple. Martin est notre candidat. Nous allons le soutenir ». Sera-t-il entendu? C’est à voir.
Porte-parole de l’UDPS, Augustin Kabuya a fait savoir que le secrétaire général Jean-Marc Kabund présidera ce qui ressemble bien à une « réunion de crise » ce lundi 12 novembre. Dissimulant à peine le malaise qu’il ressent après lecture du communiqué signé à Genève, Kabuya écrit notamment: « L’UDPS s’est battue pendant 36 ans sans trahir cette population. Souvent les gens nous reprochent de mener notre combat seule. Quand on accepte de marcher avec d’autres nous avons toujours été victime de trahison ».
Dans une déclaration à la presse, Billy Kambale, président de la ligue des jeunes de l’Union pour la nation congolaise (UNC) dit haut et fort sa volonté de s’opposer aux signataires du communiqué précité.
Dans une déclaration attribuée à Adam Bombole, on peut lire: « C’est aujourd’hui que l’opposition a perdu les élections. Tout le reste ne sera que formalités ».
Sur les réseaux sociaux, on assiste déjà à une guéguerre entre les pros et anti-communiqué de Genève. Les premiers font l’éloge de « l’expérience » incarnée par Fayulu. Les seconds y voient une défaite annoncée.
Un avis qu’Olivier Kamitatu Etsu, porte-parole et « dircab » de Moïse Katumbi balaie du revers de main. Sur son compte Twitter, il exulte littéralement: « Mission accomplie! Adieu les vieux démons de la division! Pour en finir avec la dictature, ils se sont surpassés! Merci aux 7 leaders! Leur renoncement en faveur de @MartinFayulu est une promesse de victoire! Avec un candidat commun l’alternance n’est plus un rêve errant! »
Une source diplomatique occidentale, qui a requis l’anonymat, d’abonder dans le même sens: « C’est une première en Afrique centrale en général et au Congo-Kinshasa en particulier que des acteurs politiques mettent de côté leur ego en désignant un leader capable de porter l’espoir de tout un peuple ».
Des informations parcellaires indiquent que les « stratèges » du FCC, réunis autour du tout-puissant « dircab » Néhémie Mwilanya Wilondja, étaient dimanche en plein désarroi. Au motif qu’ils avaient conçu leur stratégie en fonction du leader de l’UDPS. « Martin Fayulu n’est pas l’adversaire qu’ils attendaient, apprend-on. Les ‘durs’ de cette coalition étaient en embuscade pour coincer Félix Tshisekedi devant la Cour constitutionnelle avec la fameuse histoire de son diplôme ». Info ou intox?
QUI EST MARTIN FAYULU MADIDI?
Né le 21 novembre 1956 à Léopoldville, marié et père de trois enfants, Martin Fayulu est un Kinois pur-sang. Durant la colonisation belge, la province de Léopoldville couvrait non seulement l’actuelle capitale (Kinshasa) mais aussi le « Grand Bandundu » et la province du Kongo central.
Bardé de diplômes obtenus tant des universités françaises qu’américaines, Fayulu a accompli son parcours professionnel dans le secteur privé. Il a travaillé essentiellement dans le secteur pétrolier chez Mobil Oil au Congo-Zaïre et ExxonMobil en Ethiopie, en Côte d’Ivoire, Kenya, Nigeria et Mali.
Quel genre d’homme est-il « Monsieur Fayulu »? « C’est un homme de convictions, honnête et sincère, dit un de ses proches joint au téléphone à Kinshasa. Martin n’est pas un homme de compromission. C’est un des rares politiciens qui n’a jamais reçu un likuta de Joseph Kabila ». Quelles sont les « faiblesses » du candidat commun de l’Opposition que certains décrivent comme un homme intransigeant voire cassant? Un autre ami à Fayulu répond: « Fayulu intransigeant et cassant? Sans doute. C’est un homme qui ne tolère jamais la médiocrité. En fait de faiblesse, il a trois passions: Dieu, la RDC et sa famille ».
En attendant le verdict du 23 décembre, certains observateurs estiment néanmoins que le « candidat commun » de l’Opposition est plutôt mal connu aux quatre coins du pays. Un avis que certains analystes contestent. « Emmanuel Ramazany Shadary est-il connu en dehors de Kinshasa et de sa province d’origine le Maniema? », s’interroge un confrère kinois. « Fayulu ne battre pas campagne seul. Chacun des leaders aura en charge une partie du territoire national », conclut un opposant.
La toute nouvelle coalition politique « LAMUKA » entend organiser, dans les jours à venir, un meeting à Kinshasa pour présenter son candidat à l’élection présidentielle. Il en est de même du programme.
Le communiqué signé à Genève souligne que les leaders de l’Opposition entendent poursuivre leurs exigences à l’égard de la CENI. A savoir notamment: abandon de la machine à voter, nettoyage du fichier électoral et décrispation politique. Ils espèrent, à travers ces conditions, obtenir des consultations électorales. « A défaut de l’organisation des élections dans les conditions précitées à la date du 23 décembre, la Coalition LAMUKA en appelle au peuple congolais à s’assumer dans le cadre de l’article 64 de la Constitution pour éviter toute parodie d’élection ».
B.A.W.