Dans le pur style du pouvoir en place, c’est peu après minuit, soit ce samedi 25 août, que la CENI (Commission électorale nationale indépendante) a publié son « oracle » tant attendu. Six candidatures sur vingt-cinq sont déclarées irrecevables. Samy Badibanga, Jean-Pierre Bemba, Antoine Gizenga, Jean-Paul Moka, Mpunga Mbomba, Adolphe Muzito font partie des « recalés » notamment pour défaut de nationalité, condamnation pour subornation de témoins, manque de preuve de paiement de la caution et défaut de signature. Dans un communiqué publié vendredi soir, les représentants de l’opposition avaient sommé « Joseph Kabila » et sa mouvance de « libérer » le processus électoral. Conformément à l’article 107 de la loi électorale, les prétendants « ajournés » sont en droit d’introduire un recours devant la Cour constitutionnelle. Les Congolais vont sans doute assister à la « mère de toutes les batailles juridiques »…
L’opposition au pouvoir agonisant de « Joseph Kabila » n’a pas été prise de court. Dans la soirée de vendredi 24 août, elle avait convoqué la presse au siège du MLC (Mouvement de libération du Congo). Selon des sources, certains cadres de la centrale électorale tenaient les contempteurs du « raïs » régulièrement informés des stratagèmes en préparation.
Candidat de la coalition « Dynamique de l’opposition » à la présidentielle, Martin Fayulu Madidi – qui ignorait encore que sa candidature a été « reçue » – a lu un communiqué au ton comminatoire dont un extrait a été diffusé, après minuit, sur les ondes de Radio France Internationale: « L’opposition politique, réunie ce jour, met en garde Monsieur [Corneille] Nangaa qui maintient ainsi la CENI à la solde du pouvoir et lui signifie qu’il subira seul les graves conséquences de ses actes; exige que Monsieur [Joseph] Kabila et sa famille politique libèrent le processus électoral en arrêtant de donner des injonctions à la CENI ».
L’article 10 de la loi électorale considère comme « inéligibles » notamment les personnes privées de leurs droits civils et politiques, condamnées par un « jugement irrévocable » pour crimes de guerre, crimes de génocide et crimes contre l’humanité. Il en est de même des personnes condamnées par un « jugement irrévocable » du chef de viol, d’exploitation illégale des ressources naturelles, de corruption etc.
LES CANDIDATURES DÉCLARÉES « IRRECEVABLES »
- Samy Badibanga Ntita
- Jean-Pierre Bemba Gombo
- Antoine Gizenga
- Jean-Paul Moka
- Ifoku Marie-José
- Adolphe Muzito
LES CANDIDATURES DÉCLARÉES « RECEVABLES »
- Seth Kikuni
- Kazadi Ngumbe Ngumbe
- Théodore Ngoy Ilunga wa Nsenga
- Joseph Maluta
- Noël Tshiani
- Amine Mabaya Gizi
- Tryphon Kin-kiey Mulumba
- Freddy Matungulu Mbuyamu
- Mpunga Mbomba
- Felix Tshisekedi Tshilombo
- Alain Daniel Shekombe
- Radjabo Sokorabo
- Vital Kamerhe Lwa Kanyinginyi
- Martin Fayulu Madidi
- Gabriel Mokia
- Sylvain Masheke
- Emmanuel Ramazani Shadary
- Charles Luntadila Diavena
- Francis Mvemba
ET MAINTENANT!
Conformément à l’article 106 de la loi électorale, la CENI doit notifier les candidats déclarés « irrecevables ». « La décision dûment motivée de la Commission électorale nationale indépendante est notifiée sans délai au candidat ou à son mandataire », stipule le troisième alinéa de cette disposition. « Les réclamations et contestations relatives à la validité d’une candidature sont portées devant la Cour constitutionnelle dans les quarante-huit heures suivant la publication ou la notification de la décision de la Commission électorale nationale indépendante », enchaîne le premier alinéa de l’article 107.
La nouvelle de l’irrecevabilité de la candidature de Jean-Pierre Bemba n’a bénéficié d’aucun effet de surprise. Et pour cause, les « communicateurs » de la majorité avaient déjà annoncé les couleurs. Ils s’étaient répandus dans les médias et les réseaux sociaux en brandissant le dossier « Bemba II » dit « subornation de témoins » dont le « jugement irrévocable » devrait être rendu lors de la rentrée judiciaire à la Cour pénale internationale.
Porte-parole du secrétariat général de la majorité sortante, l’ex-mobutiste André-Alain Atundu Liongo a été le premier à dégainer en invitant Bemba à renoncer à la compétition. « Il est mal placé pour parler ainsi », avait réagi sèchement le président du MLC dans une de ses interviews.
C’est le professeur de droit Nyabirungu Mwene Songa, proche de la mouvance kabiliste, qui avait surpris l’opinion en déclarant que « la subornation de témoins est une forme de corruption ». « Le droit pénal est de stricte interprétation », lui rétorquaient en chœur certains de ses anciens étudiants ou collègues.
L’irruption, il y a soixante-douze heures, d’un certain Elie Kapend Kanyimbu qui a sommé « Kabila » de quitter le pouvoir dès le 26 août. Une « diversion » qui porte la signature des officines à barbouzes du système finissant.
Aux dernières nouvelles, le fameux Kapend, à ne pas confondre avec Eddy Kapend, aurait été interpellé par les renseignements militaires. « Les autorités veulent comprendre si l’homme est malade ou veut provoquer une insurrection », a déclaré vendredi sur TV5 Monde Serge Kadima de la mouvance kabiliste.
La manifestation organisée par Kapend Kanyimbu sans que la très peu professionnelle police congolaise ne lance de gaz lacrymogène et se livre à des tirs à balles réelles semble confirmer que le président hors mandat « Joseph Kabila » garde toute sa capacité de nuisance. L’homme paraît décidé à ne passer le flambeau qu’au successeur de son choix. « Nous [la fratrie « Kabila »] ne sommes pas prêt à laisser le pouvoir à n’importe qui », « prophétisait » Zoé « Kabila » dans un entretien avec « Jeune Afrique » en 2016.
Osons espérer que « la mère de toutes les batailles juridiques » attendue devant la Cour constitutionnelle ne va pas se muer en bataille tout court pour libérer le processus électoral…
Baudouin Amba Wetshi