Joseph Kabila
« Pour la onzième fois, je me livre à cet exercice consistant à lire un texte préparé par des collaborateurs. Cela devient une routine au point que je fais même des plaisanteries. Les premières fois, je croyais encore ce que ces intellos avaient préparé mais maintenant, avec l’expérience de leurs mensonges et de leur incompétence, j’ai plus que des doutes. Depuis des années je répète que je ne trouve pas 15 personnes compétentes et honnêtes. Dans ce dernier discours ils sont allés très fort… »
RÉALISATIONS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ
« La paix est restaurée sur toute l’étendue du territoire à l’exception de quelques poches ». Voici le message voulu par mes propagandistes. Ce n’est pas si simple car il y a encore une centaine de groupes armés actifs. De nombreux groupes sont sous notre contrôle mais on a beaucoup de conflits pour le partage des concessions minières exploitées par des « creuseurs ». Souvent, des villages font de l’obstruction et on doit utiliser la manière forte. Là, j’ai de bons collaborateurs, même plus que 15. En accompagnant l’armée rwandaise lors de la traque des Hutus génocidaires réfugiés en RDC, j’ai appris comment anéantir rapidement toute forme de résistance. Il suffit de brûler quelques villages ou campements, de constituer des bandes armées avec des voyous et des désœuvrés en leur donnant des armes et le feu vert pour tuer, violer et surtout piller. Si possible on ranime quelques vieux conflits tribaux et fonciers – qui ne manquent pas – pour enclencher le cycle agression/vengeance et le tour est joué. Les mêmes techniques font encore leurs preuves aujourd’hui.
J’ai aussi rapidement compris que le pouvoir de la « communauté internationale » se limite à la comptabilité des incidents et des morts connus. Le fameux rapport « mapping », rédigé en 2004, publié en 2010 et depuis relégué aux oubliettes montre que la réaction ne dépasse guère les « préoccupations ». Il subsiste quelques poches d’insécurité mais il s’agit de bandes de voyous qui ne sont pas satisfaits du partage des butins. C’est vrai que l’armée garde la part la plus juteuse du racket des creuseurs. Toute forme de résistance étant aujourd’hui brisée, je comprends que les membres de la MP me considèrent comme un grand pacificateur puisqu’après avoir déclenché l’enfer avec des centaines de milliers de personnes tuées, maintenant on ne les compte que par milliers. Il règne aujourd’hui une forme de paix, la paix des cimetières.
DÉVELOPPEMENT
M’occupant personnellement de l’armée, de la police, de l’Agence nationale de renseignements (ANR) et de quelques groupes armés dont les « bana mura », j’ai délégué tout le reste – secteurs économiques et sociaux, justice et entreprises publiques aux « experts » politiciens. Le contrat étant simple: vous me soutenez totalement et vous gérez comme bon vous semble puisque vous êtes les experts. De plus vous bénéficierez d’une impunité totale. Comme ils se trahissent les uns les autres, j’ai appris que leur gestion se traduit surtout par des abus de pouvoir, des détournements, du clientélisme, du népotisme, etc.
Le duo M&M sort cependant du lot. [Adolphe] Muzito a tellement exagéré que j’ai été obligé de lui enlever une grande partie de ses pouvoirs. Alors qu’il aurait du être pensionnaire à Makala, il est devenu donneur de leçons et se permet d’inonder la presse avec ses bavardages!!! Comble des combles, il est maintenant candidat à la Présidence! [Augustin] Matata, plus servile que Muzito est l’expert des jetons de présence irréguliers (80.000 USD par mois), des marchés de gré à gré et de la dénonciation de ceux qui lui résistent. Maintenant ces experts alimentent mes discours par leurs « réalisations »!!!
SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE ET FINANCIER, IL EST VRAI QUE DES PROGRÈS ONT ÉTÉ RÉALISÉS
La monnaie a été stabilisée grâce à l’un des rares vrais experts en économie du pays, Jean Claude Masangu, qui a maîtrisé la planche à billets. Nous avons aussi bénéficié d’apports en devises de plusieurs dizaines de milliards en provenance de la diaspora, des bailleurs de fonds et des dépenses locales de la MONUC. Et les premiers ministres voudraient faire croire que c’est grâce à leur expertise!!!
Le budget du pays a effectivement augmenté mais reste insignifiant compte tenu de la population et des ressources du pays. Nous sommes au niveau du budget du Sénégal et à peine du double de celui du Rwanda. Sans compter que nos gouvernements bénéficiant d’une impunité totale, détournent bien plus que ceux du Sénégal et du Rwanda. Muzito et Matata étant les champions toutes catégories.
ROUTES
En matière de routes revêtues, on aurait construit 3.400 km??? La majorité des routes revêtues existaient avant l’arrivée de l’AFDL et certaines ont bénéficié d’une réhabilitation: Matadi/Kinshasa, Kinshasa/Kikwit, etc… La majorité des réhabilitations ont été financées par les bailleurs de fonds. A supposer qu’il s’agit de 3.400 km sur 20 ans cela ferait 170 Km par an, pas de quoi pavoiser.
Quant aux pistes non revêtues, l’incompétence, la corruption, les marchés truqués, le détournement des fonds d’entretien sont passés par là et en général, après quelques saisons de pluies la situation est pire qu’avant.
Pour les écoles la situation est encore plus ridicule. Nous serions passés de 35.000 à 76.000 écoles. Nous aurions construit 41.000 écoles et recruté donc au moins 123.000 enseignants en comptant au moins 3 enseignants par école. Je me souviens que Matata se vantait d’un programme de réhabilitation de 500 écoles par an (chiffre jamais atteint). Alors, où vont-ils chercher les 41.000 écoles?
RENFORCEMENT DE L’ADMINISTRATION ET DES INSTITUTIONS
Les gouvernements du duo M&M se vantent des réformes réalisées dans l’administration et du renforcement des institutions. C’est peut-être vrai mais il est quand même étonnant qu’on connaisse ni les administrés ni l’administration. Le dernier recensement de la population remonte à plus de trente ans, il n’y a pas de cartes d’identité et c’est donc tout un problème pour connaitre les électeurs. Pour les fonctionnaires, un recensement avait été entamé il y a une dizaine d’années à Kinshasa et puis abandonné. On ne connait pas les effectifs de l’administration mais on se vante d’avoir bancarisé leur paie. Ça doit être la révolution de la modernité! On parle sans cesse de bonne gouvernance, de rigueur et de transparence et en même temps, Matata a interdit la publication d’un rapport d’évaluation de la gestion des finances publiques réalisé en 2008 tellement cette évaluation était négative. D’après mes informations, la chaîne des dépenses reste un panier percé.
Ils veulent que je parle de la rigueur de la passation des marchés et j’apprends par mes services de renseignement que Matata passe de nombreux marchés de gré à gré, même un marché de 100 millions pour Bukanga Lonzo et qu’il refuse de remettre les dossiers à un audit des marchés publics. J’ai tellement de dossiers contre lui que j’en ferais bien mon dauphin.
Quant aux institutions du pays, qui étaient déjà une mascarade du temps de Mobutu, on les a transformées en simples décors de théâtre. Faux Parlement dont les décisions s’achètent. Faux Premiers ministres, sans vision, sans éthique et sans autorité, avec comme seul programme leur enrichissement personnel. Fausse justice avec faux magistrats qui n’ont de magistrat que l’hermine et la bavette blanche et qui sont achetables à merci. Cour des comptes, inspection des finances et contrôle des investissements sans budget de déplacement et donc empêchés de fonctionner. Toutes sortes d’organes de régulation – télécoms, assurances, marchés publics – qui dans la pratique servent surtout à racketter ceux qu’on est supposé réguler…
Je suis donc à la tête d’un vaste théâtre avec des acteurs médiocres qui, à la moindre occasion, vont me trahir. Dans ces conditions, difficile de parler de mes projets d’avenir.
DES OPPORTUNITÉS RATÉES
Si je pouvais avoir 15 collaborateurs compétents et honnêtes, nous aurions pu avancer davantage. Depuis plus de dix ans, je demande qu’on lance le projet Inga III et même Grand Inga. Une telle réalisation avec tout ce qui l’entoure pourrait accélérer le développement de tout le pays. Résultat? Zéro! Après 10 ans, on en est toujours à discuter des impacts environnementaux et sociaux! Bravo messieurs Muzito et Matata et vos ministres… Et en plus, ils me proposent de dire que dans le secteur électricité on a fait des progrès, on a construit de nouvelles centrales par ci par là. J’ai inauguré beaucoup de travaux mais seule la nouvelle centrale de Zongo a été menée à son terme. Je survole aussi régulièrement la ville de Kinshasa la nuit et suis toujours impressionné par les énormes espaces sombres sans lumière, sans électricité. Et on veut me faire croire que la situation s’améliore? Avec les 15 collaborateurs (mais que je ne trouve pas) en 10 ans on pouvait avoir Inga III. Mobutu a fait ses Inga en 7 ans!!! Mais avec des collaborateurs comme M&M on restera encore longtemps dans l’obscurité. Mais ne dit-on pas que les prédateurs préfèrent l’obscurité?
Par Jean-Marie Lelo Diakese
