Acquitté, à la surprise générale, le vendredi 8 juin dernier – au bout de dix années passées dans la prison de Scheveningen à La Haye -, l’ancien vice-président de la République Jean-Pierre Bemba Gombo a animé, mardi 24 juillet, son tout premier point de presse. Outre la confirmation de son arrivée à Kinshasa dans la matinée du 1er août prochain par un vol non régulier, il a été interrogé notamment sur sa candidature à l’élection présidentielle, la nécessité pour l’opposition de présenter un « candidat unique » à ce scrutin, l’éventualité d’une candidature de « Joseph Kabila », les rumeurs d’un « pacte » entre le MLC et la mouvance kabiliste, le retour en force du tribalisme et du régionalisme, les relations avec le Rwanda et le dernier discours de « Kabila » devant le Congrès.
Costume gris anthracite, chemise blanche, cravate de couleur bordeaux, les deux mains jointes du début à la fin de la conférence de presse organisée dans une suite de l’ex-hôtel Conrad. C’est ainsi que le sénateur Jean-Pierre Bemba Gombo, 55 ans, est apparu aux journalistes congolais et européens venus répondre à son invitation.
Le ton posé, le regard franc, le discours structuré, dépouillé d’aigreur, de grandiloquence ou de triomphalisme. Le « chairman » est apparu en « homme nouveau ». Il l’a reconnu: « Dix années passées dans ces conditions, ça change un homme. Je ne suis plus le même homme que j’étais il y a dix ans. J’ai d’ailleurs dix ans de plus ». Et d’ajouter: « Je rentre au pays sans rancœur ou esprit revanchard. Je n’éprouve aucune amertume. Mon regard est tourné résolument vers l’avenir. Le passé n’a plus de place dans ma mémoire ».
Après son acquittement, le président du MLC a attendu jusqu’au 12 juin avant de rejoindre sa femme et ses enfants dans leur résidence de Rhode Saint Genèse, dans la banlieue bruxelloise.
Dans la capitale belge, Bemba doit affronter un « adversaire » coriace. Son nom: la rumeur. Cette conférence de presse a tourné non seulement autour de l’élection présidentielle mais aussi sur les « fake news », terme popularisé par le président américain Donald Trump.
« DEAL » ENTRE LE MLC ET LA MOUVANCE KABILISTE?
L’annonce par le ministre congolais des Affaires étrangères de la délivrance d’un passeport diplomatique en faveur de Bemba a suscité les rumeurs les plus folles. D’aucuns y ont vu la preuve de l’existence d’un « pacte secret » passé entre le MLC et la « Majorité présidentielle » (MP) en vue d’un « partage du pouvoir ».
La présence du secrétaire permanent de la MP, Emmanuel Ramazani Shadary, au congrès du MLC n’a pas calmé les esprits. « Il n’y a pas de deal entre Joseph Kabila et moi-même. Joseph Kabila a fait ses deux mandats. Je me demande bien quel genre de deal on pourrait avoir », s’est-il interrogé Jean-Pierre Bemba.
S’agissant du passeport, il a précisé qu’il a obtenu ce document en sa qualité de sénateur. Il en avait fait la demande auprès du Président du sénat qui a saisi, à son tour, le ministre Léonard She Okitundu. Pourquoi les mêmes « facilités » ne sont-elles pas accordées à l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi Chapwe? L’orateur s’est refusé d’entrer dans « cette polémique ».
A propos de la présence de quelques caciques de la MP au congrès de son parti, Bemba a insisté sur le caractère « républicain » de l’opposition que mène le MLC depuis 2006. « La MP et l’ensemble de l’opposition sont pour le MLC des adversaires. Ils ne sont nullement nos ennemis ». Selon lui, tous les partis politiques ont été conviés à cette réunion politique.
POURQUOI VEUT-IL ETRE CANDIDAT A LA PRÉSIDENTIELLE?
Candidat malheureux à la Présidentielle de 2006 face au président sortant « Joseph Kabila », Bemba Gombo a eu le loisir d’observer la conduite des affaires de l’Etat au cours de la dernière décennie.
Après avoir évoqué une « économie en berne », les bandes armées qui répandent la terreur à l’Est du pays, les massacres commis au Kasaï et en Ituri, les enfants qui ne sont plus scolarisés et la population qui ne bénéficient pas de soins de santé adéquats, il lâche: « Je considère que le moment est venu de sortir le Congo de ses contradictions s’illustrant par un pays potentiellement riche habité par une population très pauvre ». Pour lui, la population congolaise mérite « un autre type de gouvernance ».
Au cours du point de presse, il a présenté le projet de société du MLC. Un projet qu’il a pu rédiger durant sa détention à La Haye. Il espère que les forces de l’opposition vont s’atteler à élaborer un programme commun et désigner l’homme et l’équipe qui pourraient animer les institutions.
Interrogé sur son éligibilité en ce qui concerne la condition de résidence, Bemba invoque la « force majeure » en soulignant que « ce n’est pas de son fait » qu’il ait été retenu durant dix années en dehors du pays.
« CANDIDATURE UNIQUE » DE L’OPPOSITION
Pour le Président du MLC, il serait suicidaire que l’opposition se présente en ordre dispersé au scrutin présidentiel à un seul tour. « Si nous voulons réellement promouvoir l’alternance dans ce pays, nous devons présenter un seul candidat au niveau de l’opposition, dit-il. Si ce n’est pas moi, je soutiendrai le candidat qui sera désigné ».
Pour lui, les prétendants étant déjà connus, on ne peut pas empêcher les candidats déclarés de déposer leurs dossiers candidatures d’ici au 8 août. Il espère que l’Opposition mettra à profit la période comprise entre le 8 août et le 23 décembre pour engager des discussions franches.
Le candidat Bemba Gombo n’a pas caché tout le mal qu’il pense de la « machine à voter » mais aussi du fichier électoral. D’après lui, « cette machine est une source de conflit ». Et de marteler: « Je crois qu’il est de l’intérêt de personne y compris la majorité d’organiser des élections qui seront contestées le lendemain ». De même, il estime « anormal » que le fichier électoral contienne plus ou moins 10 millions d’électeurs sans empreintes digitales. « Cette situation n’est pas propice à une élection crédible, libre et démocratique », a-t-il souligné.
BEMBA SERAIT-IL LE CANDIDAT DE « L’OUEST »?
Cette question liée au retour en force du tribalisme et du régionalisme a fait bondir le leader du MLC de sa chaise. « J’ai en horreur ce terme de la division Est-Ouest, tonne-t-il. Le pays est divisé aujourd’hui. Je pense que notre pays doit rester uni. Il ne doit y avoir de clivage entre l’Est et Ouest, le Nord et le Sud, les provinces et les tribus. Je me bats pour un Congo uni. Un peuple uni ».
Bemba n’a pu s’empêcher de regretter que le principe de la représentativité nationale ne soit guère respecté. De même, il a déploré que la gestion de l’armée, des services de sécurité et de l’économie du pays soit monopolisée par une frange de la population alors qu’il importe « de mettre tous les Congolais, en fonction de leur compétence, sur le même pied d’égalité ».
Interrogé sur l’hypothèse où « Joseph Kabila » briguerait un troisième mandat, le leader du MLC s’est refusé à toutes supputations. « Vous me demandez de réagir sur une situation qui n’est pas encore réalisée ». Il a ajouté néanmoins que « le président Kabila ne peut plus se représenter ». Pour lui, la Constitution et l’Accord de la Saint Sylvestre sont clairs à ce sujet. Et si la Constitution n’était pas respectée? « Ce sera un désastre pour le pays », dira-t-il en rappelant que « le Président de la République est le garant du bon fonctionnement des institutions ».
DISCOURS DU 19 JUILLET DEVANT LE CONGRES
Comme pour souligner que l’unité de l’opposition commence à se matérialiser, Jean-Pierre Bemba a cité le communiqué publié lundi 23 juillet par les forces de l’opposition. Pour lui, le satisfecit exprimé par « Joseph Kabila » dans son allocution devant les deux Chambres tranche avec la misère ambiante.
A l’appui de sa thèse, il épingle, le mauvais état des routes dans l’arrière-pays, les difficultés pour les hôpitaux d’être approvisionnés en médicaments et le taux élevé d’analphabétisme. « Je suis perplexe lorsque j’entends dire que la sécurité est rétablie » dans les parties troublées du pays.
LES RELATIONS AVEC LE RWANDA
S’agissant des relations avec le Rwanda de Paul Kagame, le président du MLC a commencé par souligner la nécessité pour le Congo-Kinshasa d’entretenir un climat de bon voisinage avec les neuf pays qui nous entourent dont le Rwanda. « Nous sommes condamnés à coexister », a-t-il dit. Pour lui, il faudra maintenir le dialogue avec Kigali. « Je comprends les préoccupations sécuritaires du Rwanda. Le Congo doit aussi faire valoir ses propres préoccupations », a-t-il conclu.
Bemba Gombo a estimé « anormal au regard de la culture bantoue » que la dépouille mortelle du président Etienne Tshisekedi we Mulumba est toujours gardée en Belgique une année et demi après le décès. Pour lui, le rapatriement doit avoir lui « afin [le défunt] qu’il soit inhumé dignement ».
Baudouin Amba Wetshi