Cher Professeur,
Je me permets de vous écrire cette lettre ouverte pour m’adresser à l’historien et au professeur d’université que vous êtes, au sujet de votre adhésion au Front Commun pour le Congo. Pour que tout soit clair dès le départ, je vous reconnais votre liberté et respecte votre engagement personnel. C’est aussi cela la démocratie pour laquelle nous nous battons, nous les jeunes des mouvements citoyens.
Si je vous adresse cette lettre, c’est à un titre particulier: votre aura scientifique a fait de vous une icône et un modèle pour la jeunesse. Mais cette image s’est fracassée ce samedi quand vous avez décidé d’aller à Canossa en signant la charte de l’oppresseur de Kingakati.
Cher Professeur, en tant qu’historien, vous aurez sans doute noté le paradoxe mémorable de cette journée du samedi 14 Juillet 2018: pendant qu’une centaine d’universitaires signaient un Manifeste historique contre le 3ème mandat pour lequel M. Kabila se bat et soumet tout un Peuple en esclavage, vous avez choisi, vous, en ce jour-là, de dévoiler vos accointances avec ce Pouvoir illégitime et décadent.
Qu’une icône comme vous s’abaisse à ce point, est déjà choquant et révoltant pour nous, jeunes patriotes engagés dans le combat pour l’alternance, au prix de tant de morts et d’emprisonnements. Mais que vous osiez en plus présenter ce Front des pilleurs du Congo comme une dynamique à suivre et justifier ainsi votre turpitude, voilà qui met le comble à la bêtise et qui discrédite totalement le grand intellectuel que vous êtes.
Je me demande si vous avez écouté l’historien en vous avant cette démarche. Je me demande si vous tirez vos leçons d’histoire pour votre propre vie ou vous le faites uniquement pour les autres. Car, en fait, si vous aviez cette hauteur de vue que confère une connaissance scientifique de l’histoire, vous auriez compris que tous les intellectuels collaborationnistes ont fini par sortir de l’Histoire de l’Humanité pour avoir servi des intérêts égoïstes immédiats.
A propos des intérêts égoïstes, votre adhésion au FCC ne nous étonne pas vraiment. Depuis le dialogue de la Cité de l’Union Africaine, les observateurs attentifs vous savaient en quête d’un poste ministériel fuyant. Ils vous voyaient caresser le Pouvoir de Kabila dans le sens du poil, sans doute pour vous assurer une retraite dorée, au détriment de votre Peuple. Pour vos intérêts, vous avez trahi des millions des jeunes Congolais et africains qui ont cru en vous.
Cher Professeur, chaque homme peut se tromper, fut-il historien et professeur d’université. Mais tomber si bas dans un discours idéologique et démagogique, celui que vous avez tenu pour justifier votre chemin de Canossa, est inexcusable. J’en viens à vos arguments de fond, dans lequel je peine à reconnaître l’intellectuel que vous êtes.
- Vous prétendez que le Front Commun constitue une démarche de réconciliation nationale. Je crois rêver. L’historien que vous êtes a-t-il oublié le dialogue intercongolais de Sun City d’où est né le consensus national sur lequel la Nation a fondé la Constitution du 18 février 2006 que Kabila est en train de saboter en massacrant des milliers d’innocents à Beni, dans les Kasaï et même à Kinshasa? Peut-on construire ou consolider une réconciliation nationale en dehors du respect des lois? Peut-on réconcilier une Nation dans l’arbitraire, en emprisonnant des jeunes activistes et tous ceux qui s’opposent au troisième mandat du nouveau « roi du Congo »? Peut-on réconcilier une Nation sous les chars de combat dirigés contre les paisibles citoyens? L’historien que vous êtes a-t-il oublié les fosses communes du Kasaï? L’assassinat de tous ces jeunes dont le seul crime a été de réclamer des élections libres et crédibles? Quand je pense à leur mémoire, j’ai envie de vous dire que vous avez détruit la « Mémoire d’un Continent ».
- Vous osez prétendre que votre Front Commun poursuit l’objectif du respect de la souveraineté et de l’indépendance du pays. Encore une fois, cher Professeur, vous faites preuve d’une très mauvaise foi qui n’a de commune mesure que votre propension à rejoindre la mangeoire de la Kabilie. L’historien que vous êtes a-t-il oublié que, depuis l’arrivée de l’AFDL, le Congo a perdu la maîtrise de son destin? Que la plupart des postes clé de nos institutions et de notre armée sont dirigées par des étrangers ? Que des pays voisins pillent le Congo au jour le jour ? Et c’est avec ces gens-là que vous comptez assurer l’indépendance et la souveraineté du Congo? Heureusement que cette rhétorique ne trompe aucun de nous maintenant. L’histoire du Congo montre que chaque dictature se nourrit de cette rhétorique pour distraire et se maintenir au pouvoir en entretenant une lutte imaginaire contre des ennemis dont on sert les intérêts.
- Sans vergogne, vous voyez dans votre Front un projet de développement économique et d’émergence pour le Congo, concept idéologique vide qu’un intellectuel de votre rang aurait mieux fait d’éviter. J’espère que l’historien que vous êtes n’a pas oublié tous les scandales financiers de la Famille Kabila qui a fait du Congo sa propriété privée. Ce n’est pas à vous que je vais rappeler les 80 entreprises familiales des Kabila qui drainent toutes les richesses du Congo.
Je n’ai jamais cru que les intérêts égoïstes pouvaient rendre aveugle un historien de votre rang. J’ai même failli pleurer, quand vous parlez du progrès social comme un objectif du Front. C’est là que j’ai compris que vous êtes entré dans la bulle de la Kabilie qui ignore le vécu des millions des Congolais depuis 17 ans. Pour votre mémoire, des centaines des milliers d’enfants meurent de faim au Kasaï. Pourquoi n’avez-vous pas pensé à eux?
Cher Professeur, je termine cette lettre en vous disant que l’historien que vous êtes est sorti de l’Histoire ce samedi 14 Juillet 2018. Il s’agit de l’Histoire de tout un Peuple qui lutte pour la liberté et la dignité de ses enfants. Vous êtes sorti de l’histoire de nos combats. Vous êtes sorti de la Mémoire des opprimés qui n’écouteront plus jamais vos « Mémoires d’un Continent » de la même façon. Je vous remercie au moins de nous avoir aidé à ne pas compter sur vous dans nos combats.
Bien à vous,
Gloria Sengha Panda Shala
Citoyenne congolaise et combattante