Ministre des Affaires étrangères du « Congo démocratique » depuis le 19 décembre 2016, Léonard She Okitundu est constamment entre deux avions. Ces périples sont perçus dans le sérail kabiliste comme le signe d’une « diplomatie agissante ». Et pourtant. L’isolement du pays va croissant. Nationaliste-souverainiste autoproclamé, cet ancien opposant anti-mobutiste fait partie des « mauvais génies » qui excellent dans l’art de flatter l’ego du président hors mandat « Joseph Kabila ». Invité dimanche 17 juin de l’émission « Internationales » de TV5 Monde – animée par les journalistes Françoise Joly (TV5), Sophie Malibeaux (RFI) et Christophe Ayad (Le Monde) -, Okitundu a été interrogé sur plusieurs sujets d’actualité. C’est le cas notamment la détérioration des relations entre le Congo-Kinshasa et la Belgique. L’homme s’est embourbé dans une analyse épidermique.
ANALYSE
Depuis le 19 décembre 2016, le dernier mandat de « Joseph Kabila » a expiré. Depuis cette date, le Congo-Kinshasa est comme enchaîné. Il attend que le satrape qui s’accroche au pouvoir prononce le « mot magique » pour « délivrer » 80 millions de Congolais pris en otage par un homme inepte, aveuglé par la boulimie de l’argent. Partira? Partira pas?
Présidentielle du 23/12. La première question posée par ces journalistes a porté naturellement sur le flou entretenu par « majorité présidentielle » autour de l’identité de son candidat à l’élection présidentielle. A en croire Okitundu, « le doute sera levé définitivement » lors du dépôt des candidatures à ce scrutin, le 24 juillet prochain.
Machine à voter. A l’instar des autres caciques de la mouvance kabiliste, « She » accuse l’opposition de contester cet engin surnommé « machine à voler » « sans remettre en cause sa fiabilité ». D’après lui, ceux qui récusent cet appareil veulent « tout simplement faire retarder la tenue des élections ». Les observateurs sont dubitatifs face à l’empressement du « clan kabiliste » à aller aux élections. Un clan qui a tout à perdre du fait de son bilan calamiteux. C’est à croire que les jeux sont déjà faits en dépit des « anomalies » constatées au niveau tant du fichier électoral que de la très querellée machine à voter.
Bemba. Est-il éligible? « C’est la CENI qui examinera le dossier de candidature », dit Okitundu. Personne n’est dupe. La connivence existant entre cette Commission électorale dite « indépendante » et « Joseph Kabila » est bien connue. Cette complicité s’étend à la Cour constitutionnelle. Bemba peut-il regagner le pays sans devoir faire face à des ennuis judiciaires? Okitundu dit n’avoir aucune souvenance du mandat d’arrêt lancé, en mars 2007, par le procureur général de la République, à l’encontre du président du MLC pour « haute trahison ». « Je ne suis pas informé qu’il a des ennuis judiciaires », a-t-il souligné à la surprise des trois journalistes.
Katumbi. L’ancien gouverneur du Katanga peut-il regagner le pays? La réponse est tombée comme un couperet: « S’il rentre au pays, il sera entre les mains de la justice ». Léonard She Okitundu prend ses compatriotes pour des nigauds. Il sait parfaitement qu’aucun congolais digne de ce nom ne fait confiance à la Justice de leur pays. Encore moins au Parlement.
En juillet 2016, la juge Chantal Ramazani Wazuri du tribunal de paix de Lubumbashi/Kamalondo avait dénoncé les contraintes qu’elle avait subies tant de la part de sa hiérarchie que du chef barbouze Kalev Mutondo pour condamner Moïse Katumbi Chapwe dans le conflit immobilier qui oppose celui-ci au sieur Stoupis. La juge vit depuis lors en exil.
Dans le même dossier, le magistrat Jacques Mbuyi Lukasu du tribunal de grande instance à Lubumbashi a été victime d’une tentative d’assassinat à son domicile pour avoir rechigné d’entériner une décision judiciaire « rédigée ailleurs ». L’attaque a eu lieu dans la résidence de ce magistrat dans la nuit du 18 au 19 juillet 2017. On cherche, en vain, la justice dont parle Okitundu.
Isolément diplomatique. Interrogé sur les préoccupations exprimées récemment par les dirigeants angolais, français, ougandais et rwandais sur le processus électoral au « Congo libéré », Okitundu a pris la posture chère au philosophe allemand Nitzsche qui a pu dire: « Quand je me regarde, je me désole, quand je me compare, je me console ». Selon Okitundu, les pays africains précités n’ont pas de leçon à donner en matière de démocratie et liberté d’expression au Congo-Kinshasa. Ici, la situation est moins mauvaise: l’opposition s’exprime. Les médias, mêmement.
Pauvreté. Fidèle à la citation chère à Nitzsche, le chef de la diplomatie congolaise assure, sans rire, que la paupérisation des congolais est à insérer « dans le cadre des pays en voie de développement ». Sans omettre que le Congo-Kin est un « pays post-conflit ». Que dira la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara?
Corruption. « Elle ne sévit pas outre mesure que dans d’autres pays », clame-t-il. L’enrichissement des proches de « Kabila » dénoncé dans un rapport de l’agence Bloomberg? « Des racontards! »
Relations avec la Belgique. Interrogé sur la fermeture de la « Maison Schengen », Léonard She Okitundu a commencé par rappeler que « Le Congo est un Etat souverain ». Il a, par ailleurs, affirmé que la fermeture de « Schengen » est une « mesure de rétorsion ». D’après lui, « il n’était nullement interdit aux diplomates belges de continuer à délivrer les visas Schengen ». « C’est la Belgique qui a commencé par suspendre la coopération », a-t-il souligné. « She » est resté sourd à la perche que lui tendait implicitement Sophie Malibeaux qui a relevé que la décision du gouvernement belge était liée à la « répression des manifestations ». Des « marches pacifiques » organisées le 31 décembre 2017, le 21 janvier et le 25 février 2018 par le « Comité laïc de coordination » (CLC) ont été réprimées dans le sang.
Chouchouté par l’Occident lors de l’élection présidentielle de 2006, « Joseph Kabila » a confondu cet « amour » avec un chèque en blanc. Dans une interview accordée au « Soir » de Bruxelles daté du 16 novembre 2006, le tout nouveau président « élu », devenu arrogant et intraitable, annonça les couleurs en menaçant ses contempteurs: « Beaucoup de gens ne connaissent pas le président Kabila. Ils se trompent s’ils pensent qu’après les élections, ce sera la même chose que pendant la transition. Ce sera la rigueur, et surtout la discipline, car sans la discipline on ne peut pas construire une nation ».
LE MASSACRE DES ADEPTES DE BUNDU DIA KONGO
Fin janvier à début février 2007, des éléments du « bataillon Simba », commandé par le général John Numbi Banza ont massacré des adeptes du mouvement politico-religieux « Bundu dia Kongo », rebaptisé plus tard « Bundu di Mayala ».
Tout est parti de rumeurs de fraudes lors de l’élection du gouverneur et du vice-gouverneur de la province du Bas-Congo. Il s’en est suivi le refus des membres de ce groupement de laisser des policiers perquisitionner la résidence de leur leader Ne Muanda Nsemi. Bilan: 48 morts.
En 2008, un nouveau massacre a lieu. Bilan: +/- 100 morts. Dans une interview au « Soir » de Bruxelles daté du 24 avril 2008, « Kabila » assuma cette répression :« Ce qui s’est passé dans le Bas-Congo n’était pas une simple manifestation de mécontentement, il s’agissait d’une rébellion en gestation, d’une révolte contre les institutions établies ». Il ajoute: « Il y avait un grand projet de déstabilisation qui a été déjoué et il a fallu sévir avec rigueur (…)« .
Ouvrons la parenthèse ici. Le 2 juin 2010, le corps sans vie du défenseur des droits humains Floribert Chebeya est découvert sur la route de Matadi, au quartier Mitendi. La veille, le directeur exécutif de l’Ong « La Voix des Sans Voix pour les droits de l’Homme » (VSV) avait rendez-vous avec le général Numbi au quartier général de la police nationale. Il était accompagné de son chauffeur Fidèle Bazana Edadi. Le corps de ce dernier n’a jamais été retrouvé.
DERIVE DESPOTIQUE
Chebeya enquêtait sur ce double massacre. L’activiste des droits humains était décidé à saisir la Cour pénale internationale (CPI). Les généraux John Numbi, Denis Kalume Numbi et Raüs Chalwe alors colonel étaient dans son collimateur. Le 16 mars, de retour de Genève, « Floribert », confia ce projet à l’auteur de ces lignes. Fermons la parenthèse.
Les affrontements à l’arme lourde ayant opposé, à Kinshasa, les éléments de la garde rapprochée du vice-président Jean-Pierre Bemba Gombo et la garde prétorienne de « Kabila » ont été l’élément déclencheur du « doute » au sein du monde occidental. Cette « guerre urbaine » eut lieu du 22 au 24 mars 2007.
Ministre belge des Affaires étrangères d’alors, le démocrate-chrétien flamand Karel de Gucht a été le premier responsable occidental à tirer la sonnette d’alarme. « L’évolution qu’on constate est inquiétante pour la démocratie », déclarait-il dans une interview au quotidien « La Libre Belgique » daté du 27 mars 2007. La Belgique francophone, elle, continuait à caresser « Joseph » dans le sens du poil à travers les libéraux Didier Reynders et Armand De de Decker, alors respectivement ministre des Finances et président du Sénat.
ET VOICI LA N-VA
Le grand tournant dans les relations belgo-congolaises est intervenu en 2014 avec la victoire des nationalistes flamands de la N-VA aux élections législatives. Dès ce moment, Reynders, promu ministre des Affaires étrangères, était désormais « sous surveillance » sur le dossier congolais.
En février 2015, le chef de la diplomatie belge se rend à Kinshasa. Il est accompagné du libéral flamand Alexander De Croo en charge de la Coopération, un adepte du « parler vrai ». Ce dernier créa l’événement en déclarant notamment: « Nous ne pouvons pas accepter le statu quo des dernières semaines en RDC. Nous ne pouvons pas accepter les arrestations aléatoires, le blocage d’Internet et des communications numériques, l’instrumentalisation de la justice, etc. »
Ces propos furent accueillis comme un « scandale » dans le monde francophone belge. « (…), est-il opportun que le ministre de la Coopération, sous prétexte de ‘parler vrai’ supplante son ministre des Affaires étrangères? », s’interrogeait Colette Braeckman dans un édito publié au « Soir » daté du 24 février 2015. Titre: « Jeune ministre, vieux réflexes ».
En mai 2016, soit sept mois avant l’expiration du dernier mandat de « Joseph Kabila », le très influent député N-VA Peter Luykx publie un communiqué dans lequel il soupçonne le Président sortant congolais d’user de subterfuges pour ne pas procéder à la passation de pouvoir dans le délai. « Kabila pratique une ‘politique de glissement’, par laquelle il est conscient qu’il laisse les problèmes s’aggraver pour en définitive s’imposer comme unique alternative et ainsi demeurer au pouvoir », écrivait-il.
Après avoir déploré les violations des droits de l’homme et la répression de l’opposition qui s’accentuent de plus en plus, il poursuit : « Kabila doit se convaincre qu’il a tout à gagner avec une transition de pouvoir pacifique et inconditionnelle. (…)« . Et de conclure: « Un départ du président diplomatiquement arrangé emporte notre préférence ».
Dans « Le Soir » daté du 18 avril 2018, le ministre Okitundu accuse « l’ex-ami Reynders » de torpiller le « Congo démocratique » auprès des institutions européennes. « On a l’impression que l’acteur principal de la diplomatie belge est à la manœuvre contre nous », déclarait-il à tort dans la mesure où depuis 2014, Reynders a perdu la main sur le dossier Congo-Kinshasa. C’est la N-VA qui fait la pluie et le beau temps en matière tant politique, économique que diplomatique.
On le voit, la crise qui oppose le pouvoir kabiliste au monde occidental en général et au gouvernement belge en particulier procède d’un long processus. La méfiance a commencé dès 2007. Le ministre Léonard She Okitundu serait mal inspiré de dire que « c’est la Belgique qui a commencé ». Il serait également mal inspiré d’espérer « un geste de la part des autorités belges ». La dérive despotique est et reste l’épicentre du problème…
Baudouin Amba Wetshi