C’est une leçon magistrale de droit, de procédure pénale et d’intégrité que la juge-présidente Christine Van den Wyngaert de la Chambre d’appel de la CPI (Cour pénale internationale) et son équipe viennent d’infliger au très sulfureux ex-procureur près la CPI Luis Moreno-Ocampo ainsi qu’à son successeur Fatou Bensouda en acquittant, en appel, l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba Gombo. Ces deux magistrats aux moeurs tiers-mondistes se frottaient les mains en juillet 2008 pour avoir, disaient-ils, interpellé un « gros poisson » nommé Jean-Pierre Bemba. Plus soucieux de leur carrière, ils ont sacrifié la justice et la vérité. Pourquoi? Le président du MLC a été accusé des pires atrocités en RCA. Pourtant, il n’y avait pas mis les pieds au moment des faits reprochés à ses hommes. La CPI, elle, n’a jamais mené des enquêtes sérieuses et autonomes sur le terrain. Elle s’est contentée des « témoignages à charge » collectés par la très nébuleuse ligue centrafricaine des droits de l’homme, épaulée par la FIDH (Fédération internationales des ligues des droits de l’Homme). Accusé principal, l’ancien président centrafricain Ange-Félix Patassé a été absout par le procureur Moreno-Ocampo. Bemba, lui, a servi de parfait bouc émissaire.
ANALYSE
Le prononcé de l’acquittement de Jean-Pierre Bemba Gombo par la juge-présidente Christine Van den Wyngaert de la chambre d’appel de la CPI a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le ciel politique congolais. Bien que son porte-parole Lambert Mende Omalanga « a pris acte » de cette décision judiciaire, « Joseph Kabila » doit être tout sauf serein. Dieu seul sait le rôle qu’il a joué dans les ennuis judiciaires de son adversaire le plus coriace.
La chambre d’appel a annulé la décision entachée d’erreurs prise par la chambre de première instance de cette juridiction internationale. En fait, l’accusation a instruit l’affaire Bemba uniquement à charge. Pas de place pour les circonstances atténuantes. Alors que le président du MLC devait être jugé pour un seul meurtre, vingt cas de viols et cinq actes de pillages.
La libération effective du leader congolais ne pourrait intervenir qu’après l’examen de l’appel qu’il avait formé contre la peine d’un an de prison qui lui infligée dans l’affaire « Bemba II » dite « subornation de 14 témoins ».
Ce n’est plus un secret de relever que le président du MLC s’était porté au secours d’Ange-Felix Patassé, alors chef d’Etat centrafricain, confronté à un mouvement insurrectionnel conduit par la général François Bozizé. Celui-ci bénéficiait d’un soutien à peine discret de la France de Jacques Chirac et de son successeur Nicolas Sarkozy. Ce n’est plus un secret non plus de souligner qu’entre le mois d’octobre 2002 et mars 2003, un contingent estimé à 1.500 combattants du MLC a été déployé à Bangui et placé sous l’autorité des dirigeants tant civils que militaires de la Centrafrique.
Pendant que ses soldats étaient envoyés chez Patassé, Bemba, lui, participait, fin 2002, au dialogue inter-congolais à Sun City en Afrique du Sud.
Dans une interview accordée à « La Libre Belgique » datée du 24 janvier 2003, « Jean-Pierre » se dit victime d’une « campagne de déstabilisation ». C’est en rapport aux informations diffusées notamment par RFI faisant état d’une prétendue affaire d’anthropophagie découverte dans l’Ituri. En un mot, Bemba aurait « mangé » des pygmées. « On veut me faire payer mon intervention en Centrafrique », prédisait le principal intéressé.
Après les « pygmées », les troupes du MLC ont été accusées par la FIDH – une organisation très proche du Quai d’Orsay – d’avoir tué, violé et pillé des populations lors de leurs opérations en Centrafrique. L’information fera un « buzz » sur les ondes de RFI. Les hommes de Bemba seront finalement rapatriés à Gbadolite. En mars 2003, le général Bozizé s’empara du pouvoir.
En juin 2003, le gouvernement dit « 1+4 » est mis en place à Kinshasa. Bemba est désigné vice-président de la République aux côtés d’Abdoulaye Yerodia Ndombasi, Arthur Zahidi Ngoma Azarias Ruberwa. Le premier tour de l’élection présidentielle est fixé au mois de juillet 2006.
Une semaine après le changement de régime à Bangui, une personnalité congolaise est reçue par le nouvel homme fort centrafricain. Il s’agit de Léonard She Okitundu, alors directeur de cabinet de « Joseph Kabila ». Il était porteur d’un « message » de son patron. D’autres sources assurent que « She » convoyait, en réalité, une importante somme d’argent destiné à Bozizé. A quel titre? Mystère!
Coïncidence ou pas, en janvier 2005, la Cour de cassation de la RCA déposa plainte auprès de la CPI contre l’ancien président Ange-Felix Patassé et l’ex-chef rebelle congolais Jean-Pierre Bemba. Sans omettre le chef d’état-major de l’armée centrafricaine de l’époque le général Ferdinand Bombayake, le Tchadien Abdoulaye Miskine et le gendarme français Paul Barril.
UN ETRANGE E-MAIL
Au mois d’avril 2006, un message électronique, daté du vendredi 21 avril, est adressé à trois destinataires dont Léonard She Okitundu (sheokitundu@hotmail.com). On peut lire: JPB CPI: « Chers amis, je vous transmets les infos nécessaires à la très haute attention du PR. Merci de mettre 2 billets A/R à disposition sur AF, pour un départ le 22 avril de Bangui et retour le 24 avril via Douala pour A. Karim Meckassoua et Me Goungaye Wanfiyo Nganatoua. Je confirme le rendez-vous avec Antoine qui a mon contact de Paris (…). Mes respects au PR et merci pour votre diligence ».
Le « courriel » émanait d’Abdou Karim Meckassoua, alors ministre d’Etat centrafricain chargé de la Communication [Mekassoua est actuellement président de l’Assemblée nationale, Ndlr]. Chacun pourrait épiloguer sur le mystérieux « Antoine ».
Décédé depuis, Me Nganatoua est l’homme qui, avec l’aide des « experts » de la FIDH confectionnait les « témoignages » et autres « preuves » sur les « atrocités » commises uniquement par les combattants du MLC alors plusieurs que plusieurs groupes armés étaient présents à Bangui.
Fin octobre, « Kabila » est « élu » président de la République. Le 9 décembre, il est investi. « J’ai accepté l’inacceptable », déclarait Bemba dans une interview accordée à l’hebdomadaire « Jeune Afrique ». L’opinion congolaise comprit que « Jean-Pierre » s’est fait déposséder de sa victoire par une certaine « communauté internationale » qui redoutait de devoir affronter un « mobutiste ».
En mars 2007, les Kinois assistent à l’affrontement entre la garde prétorienne de « Kabila » et les éléments de la garde rapprochée de Bemba. La première est venue désarmée les seconds. Des tirs à l’arme lourde sont entendus en plein centre des affaires. Des élèves sont bloqués dans les salles de classe. Les fonctionnaires sont pris au piège dans leurs bureaux.
Grâce à la médiation de la Mission onusienne au Congo, Monuc, Bemba et sa famille purent quitter le pays. Destination: la Belgique via le Portugal.
DÉTENTION ARBITRAIRE
Le samedi 24 mai 2008, des rumeurs persistantes font état de l’interpellation du président du MLC à Bruxelles. L’information sera confirmée vers 22h00. Ce jour-là, ce dernier devait dîner avec son père Jeannot Bemba Saolona. Celui-ci attendait déjà dans un restaurant à Waterloo. Jean-Pierre et son épouse devaient le rejoindre vers 20h30. C’est à cette heure là que la sonnette de la porte d’entrée de la résidence Bemba retentit. Quelqu’un aboya au parlophone: « C’est la police judiciaire! »
Après des longues minutes de perquisition, un policier signifia à « Jean-Pierre » ces quatre mots: « Vous devez nous suivre ». Destination: Prison de Saint Gilles avant le transfert au Pays-Bas.
Interrogée sur cette arrestation pour le moins musclée, Béatrice Le Frapper du Hélin, à l’époque directrice de la CPI, déclara au « Soir » de Bruxelles daté du 26 mai 2008 que « le risque était grand qu’il [Bemba] parte vers un pays qui ne reconnaît pas la compétence de la Cour, ou même au Congo, mais dans une région du pays mal contrôlée par le gouvernement ». En clair, Bemba se préparait, selon cette responsable de la CPI, à s’enfuir. Question: le procureur Moreno-Ocampo avait-il précipité cette interpellation suite à des fausses tendancieuses données par des « autorités congolaises »?
Dans un entretien avec notre journal, Aimé Kilolo-Musamba, alors membre de l’équipe de défense de Bemba, se disait surpris de constater que cinq mois après l’embastillement de son client, l’accusation tardait à communiquer à la défense les pièces à charge sur lesquelles elle s’était fondée pour faire émettre le mandat d’arrêt exécuté le 24 mai. La partie défenderesse finit par signifier au procureur un « délai butoir » expirant le 3 octobre. Moreno-Ocampo s’exécuta en livrant chaque fois des bribes d’information. « Ceci nous amène à constater que le procureur Moreno-Ocampo n’avait pas en sa possession – au moment de l’exécution du mandat d’arrêt, les éléments de preuve établissant la culpabilité de Jean-Pierre Bemba », tempêtait Kilolo.
LES LARMES DE CROCODILE DE LA FIDH
Dans un communiqué daté du 5 novembre 2009, la FIDH fit couler quelques larmes de crocodile en s’étonnant de voir qu’aucun mandat international n’ait été délivré à charge du principal accusé en l’occurrence Patassé. « Jean-Pierre Bemba Gombo ne doit pas être le seul suspect à répondre devant la Cour pénale internationale des crimes les plus graves commis en République Centrafricaine », indiquait le communiqué. « Afin de démontrer le sérieux et l’impartialité de son travail sur la RCA mais également pour prouver que nul grand criminel ne peut échapper à la justice, le procureur de la CPI doit délivrer d’autres mandats d’arrêts contre les présumés auteurs des crimes les plus graves commis en RCA. Ceci répond au souhait des Centrafricains, victimes de toutes les parties au conflit », conclut le texte signé par la présidente de la FIDH. Selon des sources, l’Union européenne est le principal bailleur de fonds de la FIDH. La France viendrait en tête des pays donateurs.
Lundi 22 novembre 2010, c’est le démarrage du procès. Le procureur Moreno-Ocampo annonça urbi et orbi devant la presse qu’il a décidé d’absoudre le principal accusé Ange-Felix Patassé dans les événements survenus en République Centrafricaine entre 2002 et 2003. Au motif que les combattants du MLC déployés à Bangui recevaient leurs ordres de Jean-Pierre Bemba. « Au début, nous pensions que Bemba et Patassé étaient les plus responsables, mais les éléments de preuve montrent que les troupes qui ont commis les crimes étaient sous le contrôle de Bemba », expliqua le procureur sans brocher.
Le 5 avril 2011, l’accusé principal Patassé est décédé. Bemba est toujours seul à la barre. On cherche en vain le commandant des troupes du MLC dans la capitale centrafricaine, le colonel Mustapha Mukiza. Promu général, l’homme dirige la Base militaire de Kitona.
Il était, dès lors, clair que la CPI du « couple » Moreno-Ocampo/Bensouda ne cherchait nullement à faire éclater la vérité sur les événements de Bangui. Ce qui intéressait les deux magistrats c’est bien de trouver un bouc émissaire. Un parfait bouc émissaire.
A maintes reprises, l’équipe défense du « chairman » a sollicité, en vain ,la « libération provisoire » pour son client qui présente toutes les garanties. Père de famille, Bemba a des enfants scolarisés en Belgique. Il n’y a de ce fait aucun risque de fuite. La FIDH de se fendre chaque fois d’un communiqué pour s’y opposer. Et d’épingler à l’appui, la crainte que « des moyens financiers de Jean-Pierre Bemba, qui pourraient être destinés à d’éventuelles réparations aux victimes à l’issue du procès, ne soient escamotés ».
RFI, FIDH, AFP…
En septembre 2009, une dépêche de l’Agence France Presse annonça que les résidences de deux anciens transfuges du MLC – devenus ministres de « Joseph Kabila » – ont été « attaqués » par des inconnus. Il s’agit de José Endundo (Environnement) et Alexis Thambwe Mwamba (Affaires étrangères). Les « assaillants » auraient chaque fois laissé un message accompagné d’une balle: « Si tu témoignes contre Jean-Pierre Bemba, tu mourras ». D’autres ex-cadres du MLC auraient des menaces analogues. C’est le cas notamment du ministre du Plan, Olivier Kamitatu, du député Antoine Ghonda ou du Sénateur Valentin Senga. L’opinion attend toujours les conclusions de l’enquête annoncée à l’époque.
Certaines institutions françaises (RFI, FIDH, AFP) ont joué un rôle discutable dans l’affaire Bemba. Réagissant, vendredi 8 juin 2018 sur France 24, après l’annonce de l’acquittement du président du MLC, la FIDH Karine Bonneau a avoué qu’elle a éprouvé de la « colère ».
Dans son ouvrage « Secrets d’Afrique, le témoignage d’un ambassadeur », Jean-Marc Simon, ancien ambassadeur de France à Bangui ne trouve pas des mots assez durs pour fustiger les interventions des forces du MLC en Centrafrique. A la page 163, il écrit: « Les hommes de Bemba se livrent alors au pillage systématique du quartier, dérobant même les objets usuels les plus désuets dans les cases misérables. Des jeunes filles du quartier sont violées. Ma femme me dit entendre des cris horribles la nuit ». « Jean-Pierre Bemba, qui a récidivé l’année suivante, est aujourd’hui en prison à La Haye où il attend son procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale », conclut le diplomate.
Questions finales: pourquoi aucun mandat international n’ait été décerné contre des autorités civiles et militaires du régime Patassé qui commandaient les troupes du MLC sur le terrain? L’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba Gombo aurait-il un « oeuf à peler » avec certains milieux hexagonaux? Quel rôle « Joseph Kabila » a pu jouer dans le calvaire judiciaire vécu par son « meilleur ennemi »?
Libre, à la place de « JPB », je réfléchirai plus de deux fois avant de prendre un vol à destination de Kinshasa où le « raïs » garde encore intact toute sa capacité de nuisance…
Baudouin Amba Wetshi