Muzito: « Pas d’élections le 23 décembre, sauf si Kabila se représente »

Cacique parmi les caciques du PALU (Parti lumumbiste unifié), ancien ministre du Budget (2007-2008) et Premier ministre (2008-2012), Adolphe Muzito, 61 ans, a tenu, mercredi 6 juin, à Bruxelles, un point de presse devant une dizaine de journalistes congolais de la diaspora. Le processus électoral au Congo-Kinshasa était au centre des échanges. Pour l’ancien « Premier » qui se réclame désormais d’une « opposition-citoyenne », les élections fixées au 23 décembre prochain ne pourraient avoir lieu que si, seulement si, « Joseph Kabila » était admis à se représenter. Selon lui, la crise politique dans laquelle le pays est plongé depuis le 19 décembre 2016 « va s’amplifier ». Il n’a pas exclu l’hypothèse de l’irruption d’un « troisième larron » comme en octobre 1996 avec l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre).

A quelques sept mois de la date fixée pour la tenue de l’élection présidentielle, des législatives et des élections provinciales, l’ex-Zaïre ressemble plus que jamais à un navire, sans boussole, « piloté » par un capitaine devenu sourd et aveugle. « C’est lui ou le suicide collectif », est-on tenté de dire.

L’opposition congolaise multiplie des conciliabules et autres « ententes ». Le but avoué est d’imposer le respect de la Constitution et de barrer la route à la dérive dictatoriale qui plonge inutilement le pays dans une nouvelle crise de légitimité. Et ce, par l’obstination du président sortant – dont le dernier mandat a expiré le 19 décembre 2016 – à retarder les consultations politiques. Les subterfuges ne se comptent plus.

A Bruxelles, l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito et le président de l’UDPS, Félix Tshisekedi, ont fait, dimanche 2 juin, une déclaration commune rejetant non seulement la mise œuvre de la fameuse « machine à voter » mais surtout l’idée d’un « nouveau mandat » pour « Joseph Kabila ». Ils ont, par ailleurs, exigé la restructuration de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) dont la connivence avec la majorité sortante est plus qu’évidente.

Selon certaines indiscrétions, Muzito qui est candidat à la présidentielle aurait trouvé porte close chez le président de la coalition « Ensemble », Moïse Katumbi Chapwe. Celui-ci et « Felix » font partie des prétendants. A en croire une source, l’ancien gouverneur du Katanga n’aurait pas digéré une « réflexion » attribuée au successeur d’Antoine Gizenga selon laquelle « Kabila et Katumbi, c’est blanc bonnet et bonnet-blanc ».

Mercredi 6 juin. Press Club Brussels Europe. Il est 19h25 lorsque Muzito et sa suite font leur entrée dans la salle de réunion. Les yeux rougis de fatigue, l’ancien chef du gouvernement est apparu prétentieux, arrogant et cassant. Habitué à avoir des journalistes obséquieux en face de lui, le politicien s’est cru en droit de « remonter les bretelles » à deux confrères qui murmuraient quelques mots durant son mot introductif.

OPPOSITION CITOYENNE

On apprendra qu’il entend profiter de son séjour en Europe pour faire un « check-up » et prendre des contacts avec des « partenaires ». « Nos partis sont pauvres du fait de la rareté des cotisations des affiliés. Ce sont des individus qui sont riches ».

Hier allié du « raïs » à travers le PALU, Muzito se présente désormais en membre de « l’opposition citoyenne ». Attention: à ne pas confondre avec l’opposition politique. Il n’est pas question de « diaboliser » le successeur de Mzee dans l’opposition citoyenne. « Je suis ni de l’opposition ni de la majorité, dit-il. Je m’oppose au chef de l’Etat parce qu’il n’a pas organisé les élections dans les délais constitutionnels ». Et de préciser: « Je ne m’oppose pas à un individu mais plutôt à une politique ».

D’après Muzito, l’alliance scellée par le PALU et le PPRD lors de la présidentielle de 2006 a pris fin à la date du 19 décembre 2016 qui marque la fin du dernier mandat de « Kabila ».

Pour la petite histoire, le PALU fait partie du gouvernement dit d’union nationale dirigée par le Premier ministre Bruno Tshibala. L’inamovible ministre Martin Kabwelulu (Mines) et Lambert Matuku Memas (Travail, emploi et prévoyance sociale) y sont les représentants du PALU. Pour l’anecdote, l’épouse Matuku serait la propre nièce du Patriarche Antoine Gizenga.

Né le 12 février 1957 en plein pays Pende, dans l’actuelle province de Kwilu, Adolphe Muzito Fumuntsi est issu du corps des inspecteurs de finances. Nommé ministre du Budget en 2007, il devint Premier ministre en 2008.

L’homme se dit fier de son bilan en tant que Premier ministre. Il faut bien reconnaitre que c’est sous son « mandat » que le Congo-Kinshasa a atteint le fameux « point d’achèvement de l’initiative PPTE ». Autrement dit, l’effacement de la dette extérieure du pays.

« TROISIEME LARRON »

Les détracteurs de Muzito lui reprochent d’avoir été un chef de gouvernement falot. Une situation, disent ces derniers, qui a permis l’émergence au niveau de la Présidence de la République du fameux « gouvernement parallèle » qui régentait tout à l’époque du tout-puissant ambassadeur itinérant Augustin Katumba Mwanke.

Les mauvaises habitudes ayant la peau dure, le Premier ministre Tshibala ne détient que l’apparence du pouvoir. Le « dircab » Néhémie Mwilanya Wilondja se permet même de « démonétiser » les documents officiels revêtus de la signature du « chef du gouvernement ».

Le 28 mai 2009, le directeur du cabinet présidentiel d’alors, Adolphe Lumanu Mulenda, avait adressé au « Premier » Muzito une missive d’anthologie: « (…), j’ai l’honneur de vous informer que sur instruction de la ‘haute hiérarchie’ [Entendez, « Joseph Kabila », Ndlr], tout ordonnancement des dépenses publiques devra, avant paiement, requérir l’autorisation préalable de son excellence Monsieur le président de la République. Il en est de même des plans de trésorerie mensuels ».

Muzito qui invoque aujourd’hui la « violation de la Constitution » pour justifier son « combat », avait laissé faire le chef de l’Etat, politiquement irresponsable, s’arroger les prérogatives dévolues au gouvernement en violation de l’article 91. « On ne parle pas la bouche pleine », ironisent les humoristes kinois.

Revenons au point de presse du 6 juin. Evoquant les banderoles qui sont déployées sur certaines artères de la capitale présentant « Joseph Kabila » comme candidat du PPRD à la prochaine élection présidentielle – en dépit de son inéligibilité consacrée par les articles 70 et 220 de la Constitution –, Adolphe Muzito de déclamer son message: « Je ne crois pas que les élections auront lieu à la date fixée. Et ce tant que Joseph Kabila ne sera pas candidat ». Traduction: pas d’élection le 23 décembre, sauf si « Kabila » pouvait se représenter. L’ancien « Premier » n’a pas exclu que ce « blocage » annoncé favorise l’irruption d’un « troisième larron »…

 

Baudouin Amba Wetshi

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