La Commission électorale nationale (in)dépendante et son président Corneille Nangaa paraissent désinhibés depuis que quelques « juristes » que d’aucuns qualifient de « délinquants » font miroiter à « Joseph Kabila » la possibilité, pour lui, de briguer un « second » mandat. Plus personne n’évoque les « contraintes » (financier, légal, logistique, politique et sécuritaire) que brandissait le numéro un de la CENI, dès le mois de novembre 2017, en guise de cause de justification du « glissement ». S’il est vrai que le gouvernement a assuré prendre en charge l’entièreté du « budget électoral » et que la loi électorale – bien que chahutée – a été promulguée le 24 décembre dernier, les contraintes au plan « politique » et « sécuritaire » tendent à se corser. Les espaces de liberté sont toujours verrouillés. L’ouverture des médias publics aux autres courants politiques reste théorique. L’insécurité pour les personnes et les biens prend des proportions préoccupantes.
« Il est temps que les candidats qui désirent postuler pour les élections futures se préparent et prennent des dispositions nécessaires », a déclaré Corneille Nangaa, jeudi 17 mai, à Bunia. Des propos d’un optimisme inimaginable il y a six mois.
Au chef-lieu de la province de l’Ituri, le président de la CENI a fustigé tous ceux qui disent du mal de la machine à voter. Selon lui, cet appareil, surnommé « machine à tricher », permettra à l’électeur d’imprimer lui-même le candidat de son choix. Vice-président de cette centrale électorale, le PPRD Basengezi Kantitima « bat campagne » au Kongo Central.
Secrétaire permanent du PPRD, le très mal élevé Emmanuel Ramazani Shadary revient du « Grand Equateur » où il a inauguré une sorte de pré-campagne électorale. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC) se tait.
A Kinshasa, le « juriste » Cyrus Mirindi est passé dimanche 20 mai à Radio Okapi. Il a ressassé son credo selon lequel « Joseph Kabila » a encore droit à un « mandat constitutionnel ». « Le comptage qu’on doit prendre constitutionnellement, c’est le comptage qui débute à partir de l’élection de 2011 », a-t-il argumenté. Au motif, selon lui, que l’article 71 (« Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour du scrutin, il est procédé, dans un délai de quinze jours, à un second tour… ») a été modifié en janvier 2011.
Pour ce « chercheur en droit congolais », « Kabila » est encore éligible en dépit du fait qu’il a accompli deux mandats consécutifs. Et pourtant, les articles 70 et 220 de la Constitution n’ont guère été réformés. Bien au contraire. Le Président de la République est toujours élu pour un mandat de cinq ans renouvelable « une seule fois ». Le nombre et la durée des mandats demeurent « intouchables ». L’article 21 de la loi électorale telle que modifiée à ce jour stipule notamment qu’ « une candidature est irrecevable lorsque le candidat n’est pas éligible ».
« COMMANDO BLEU »
L’optimisme qu’affiche « Kabila » et ses thuriféraires est loin d’être partagé tant par des membres de l’opposition que des activistes de la société civile. A Kinshasa, les milieux diplomatiques suivent ces péripéties avec une particulière attention.
A Kindu (Maniema), des sources font état de l’existence d’un certain « commando bleu » qui terrorise les contempteurs de l’oligarchie en place. Les membres de cette organisation opèrent la nuit. Et ce au vu et au su des forces dites de sécurité.
Le week-end dernier, deux gardes ont été abattus par des « inconnus » dans le Parc de Virunga dans la province du Nord Kivu. Dimanche 20 mai, une attaque a eu lieu à Beni. Une attaque de plus. Bilan: 7 morts.
Au Kasaï, le climat sécuritaire est loin d’être engageant. On a dénombré une dizaine de tués et des blessés à la machette.
En séjour à Lubumbashi (Haut Katanga), l’ex-opposant Basile Olongo, promu vice-ministre de l’Intérieur, brille par l’excès de zèle qui caractérise habituellement ceux qui ont trahi leurs idéaux. L’homme se veut plus kabiliste que les kabilistes eux-mêmes.
Au cours d’une réunion qu’il a présidée samedi 19 mai avec le « conseil provincial de sécurité », « Ndeko Basile », comme on l’appelait à l’époque où il broyait du noir dans les rangs de l’opposition, a invité les habitants du Haut Katanga à « collaborer » avec la police pour « lutter contre l’insécurité sous toutes ses formes ». Les opposants politiques et les activistes de la société civile sont assimilés à des « agents subversifs » voire des « ennemis de la République ».
BANDITISME D’ETAT
Douze années après la promulgation de la Constitution en vigueur, le pluralisme politique proclamé dans l’article 6 de la Loi fondamentale reste un vœu pieux. « La fin de la recréation » annoncée, le 18 février 2006, par « Joseph Kabila », peine à se concrétiser.
A Bunia, chef-lieu de l’Ituri, des policiers ont empêché samedi 19 mai une réunion de la coalition politique « Ensemble pour le changement » qui soutient l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi Chapwe.
Interrogé à ce sujet, le commandant de la police locale assure avoir été instruit par « sa hiérarchie » d’empêcher cette manifestation « non autorisée ». Alors que les autorités locales ont été informées par écrit conformément à la loi.
Deux faits mettent à nu la montée en puissance du « banditisme d’Etat ». Le premier concerne la députée provinciale iturienne Jeanine Ditsove qui a déclaré lundi 21 mai sur les ondes de Radio Okapi qu’elle faisait l’objet d’intimidation du fait de son appartenance à « Ensemble ».
Le second cas concerne l’ancien ministre de la Fonction publique Jean-Claude Kibala. Celui-ci a été, lundi 21 mai, victime d’une tentative d’enlèvement par des « hommes en uniformes ». Coïncidence ou pas, Kibala qui est également député national est un pro-Katumbi. Il est le coordonnateur provincial de la plateforme « Ensemble » au Sud-Kivu.
N’en déplaise à « Kabila » ainsi qu’à son « bras électoral » Corneille Nangaa, le processus électoral reste affecté par deux contraintes majeures au plan politique et sécuritaire. Il va sans dire qu’une candidature du Président hors mandat et une « victoire » du PPRD à la présidentielle et aux législatives pourraient plonger le Congo-Kinshasa dans un conflit armé. La grande majorité de la population congolaise piaffe d’impatience pour tourner ce chapitre sombre de l’Etat-AFDL-CCP-MP. « Le climat n’est pas favorable à des élections libres et apaisées », déclarait l’historien Isidore Ndaywel è Nziem au « Soir » de Bruxelles daté du 16 janvier. A tort?
B.A.W.