Dans le premier dictionnaire venu, le vocable « science » est défini comme étant « l’ensemble des connaissances acquises » sur une chose ou grâce à un raisonnement logique. La conscience, elle, renvoie à cette « voix intérieure » qui pousse les êtres humains à s’interroger sur la portée de leurs actions.
Pour sortir leur peuple de l’obscurantisme et de la superstition, les nations de vieille démocratie ont compris l’enjeu que représente l’enseignement. A titre d’exemple, on peut en juger par la part du PIB (Produit intérieur brut) consacrée à l’éducation dans quelques pays européens: l’Allemagne (4,8%), la Belgique (3,1%), le Danemark (8,2%), la Suède (8,3%), la Pologne (7,5%), la France (6 %).
Lors de la proclamation de son indépendance le 30 juin 1960, l’ex-Congo-belge souffrait d’une pénurie de cadres issus des universités et instituts supérieurs. « Pas d’élite, pas d’ennuis », aurait été la devise du pouvoir colonial belge. Celui-ci avait plus besoin des « agents d’exécution » indigènes que des ingénieurs et des juristes. Aussi, n’avait-il développé qu’un réseau d’enseignement primaire aux quatre coins du pays. Après les primaires, les indigènes du Congo-belge poursuivaient l’ « école moyenne » ou technique soit trois ou quatre années « post-primaires ».
Lorsqu’on passe en revue les « CV » des personnalités politiques ayant dirigé le jeune Etat indépendant au cours des cinq premières années, force est de constater que la grande majorité n’avait pas le diplôme sanctionnant la fin des études secondaires. Peut-on franchement s’étonner du chaos qui s’en est suivi jusqu’à ce jour?
Cinquante-huit années après, le Congo-Kinshasa affiche un « trop plein » de cadres formés dans les meilleures écoles à travers le monde. Par snobisme ou coquetterie, certains « intellectuels » aiment brandir le nom de l’institut où ils ont obtenu leurs parchemins: UCL, ULB, Sorbonne, Nanterre, ENA, Science po, Harvard, Yale etc. Pourquoi rien ne va? Est-ce parce que la quantité a été privilégiée au détriment de la qualité?
Par qualité, il faut entendre des hommes et des femmes qui ont acquis non seulement des connaissances scientifiques mais aussi une force morale qui leur permet de faire le départ entre le vrai et le faux, la vérité et le mensonge, le juste et l’injuste, le bien et le mal, la loyauté et la félonie.
Le mardi 24 avril, un certain Jean-Cyrus Mirindi Batumike Nkuba, avocat de son état, assistant à l’université de Kinshasa, a organisé une conférence de presse sur le thème: « La possible éligibilité du président Joseph Kabila pour un nouveau mandat au regard de la Constitution de 2006 telle que modifiée à ce jour ». La rencontre s’est achevée par un cocktail…
Ce juriste qui se dit « chercheur en droit congolais » soutient la thèse pseudo-scientifique selon laquelle, « Joseph Kabila » dont le second et dernier mandat a expiré le 19 décembre 2016 est en droit de briguer un nouveau mandat. Au motif que la révision de l’article 71 de la Constitution (« Le Président de la République est élu à la majorité simple des suffrages exprimées ») en janvier 2011, a, selon lui, remis le compteur à zéro. En clair, en date du 19 décembre 2016, « Kabila » n’avait accompli qu’un seul mandat. Aussi, serait-il éligible à un nouveau terme.
Le juriste Mirindi Batumike devrait bien relire la « Constitution promulguée en 2006 telle que modifiée à ce jour ». Il lui sera loisible de constater que le premier alinéa de l’article 70 de la Loi fondamentale en vigueur continue à stipuler que « le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois »? Il lui sera loisible également de constater que l’article 220 continue, pour sa part, à verrouiller notamment le nombre et la durée des mandats du Président de la République. Faut-il rappeler que ce même article continue à interdire « toute révision constitutionnelle » de ces principes?
Quelle est la motivation du juriste Mirindi? L’argent? Un poste? Des biens matériels? Que pensent-ils de la grande majorité des Congolais dont « l’humeur du moment » est à l’avènement de l’alternance? Que dit-il de cette majorité silencieuse qui ne dissimule plus son hostilité à l’égard des oligarques incompétentes, opulents et arrogants qui s’accrochent au pouvoir d’Etat en dépit d’un bilan désastreux?
Sieur Mirindi pourrait-il aller « vendre » sa thèse auprès des habitants de Djugu (Ituri), du Territoire de Beni et de la province du Tanganyika qui ne cessent de pleurer leurs morts du fait de l’incurie ambiante et de l’impuissance publique?
Le cas Mirindi est loin d’être le premier du genre. Depuis la IIème République de Mobutu à ce jour, les « intellectuels » congolais – autrement dit, les détenteurs des diplômes d’études supérieures ou universitaires – ne cessent de jouer le rôle de « mauvais génie » aux côtés des autocrates successifs.
Les intellectuels zaïro-congolais seraient-ils fâchés avec la vérité et la justice? Une chose parait sûre : le Congo-Zaïre est malade de ses intellectuels. Des intellectuels vénaux. Sans convictions en des valeurs. Des intellectuels qui considèrent l’Etat comme le bien personnel d’un clan.
Rabelais avait vu juste: « Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme ».
Baudouin Amba Wetshi