De la disposition des choses à la Cour constitutionnelle

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

Le 19 avril dernier, le Rédacteur en chef de Congo Indépendant, Baudouin Amba Wetshi (BAW), a interviewé le constitutionaliste congolais, le professeur André Mbata Mangu, au sujet des débats en cours sur le renouvellement de la Cour constitutionnelle du Congo-Kinshasa. On connait le regard que ce dernier porte sur la Constitution du pays. Lors d’une interview précédente, toujours accordée par BAW le 17 février sur la démission du président sud-africain Jacob Zuma et la crise politique congolaise toujours en cours, le professeur a indiqué que « comparée aux Constitutions en vigueur dans d’autres Etats du continent, la nôtre est l’une des meilleures en termes de séparation des trois pouvoirs traditionnels » et que notre « problème fondamental se situe au niveau de l’application ».

Dans l’interview récente, le professeur revient sur l’irresponsabilité ou l’inféodation de la Cour constitutionnelle au pouvoir exécutif, celle-ci ayant déjà habitué les Congolais à de « nombreuses fraudes ». Il souligne par ailleurs la nécessité pour toute nation de porter une attention toute particulière sur la nomination des membres de la Cour constitutionnelle: « La Constitution ne s’interprète pas comme le code civil, le code pénal, une loi ordinaire ou un simple acte administratif. On comprend alors aussi pourquoi n’importe quel magistrat, n’importe quel avocat, n’importe quel juriste et n’importe quel professeur de droit ne peut utilement siéger à la Cour constitutionnelle ». A cet égard, il épingle l’amateurisme de « plusieurs » membres de la Cour constitutionnelle qui « découvraient le contentieux constitutionnel pour la première fois dans leur carrière ». Plus loin, il note que « l’établissement et la consolidation d’un Etat de droit démocratique voulu par notre peuple à l’article 1 de la Constitution resterait un vœu pieux si nous ne pouvions pas compter sur des juges constitutionnels compétents qui aient l’audace de s’assumer et qui comprennent que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif et que la justice est rendue au nom du peuple congolais ».

L’indépendance d’une institution ne tombe pas du ciel. Elle n’existe pas du seul fait que les manuels de science politique en font mention. Elle se crée en observant comment fonctionne le pouvoir avec toutes les particularités que cela suppose au niveau de chaque Etat. Comment la Constitution congolaise a-t-elle veillé à ce que la Cour Constitutionnelle soit indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif et animée par des personnalités compétentes qui rendraient la justice au nom du peuple? Un tel examen, on doit le rappeler, renvoie à la notion de la (bonne ou mauvaise) disposition des choses que nous avons déjà expliquée à nos cousins.

Le professeur Mbata nous rappelle « la base de la matière qui est l’article 158 de la Constitution et l’article 6 de la Loi organique no 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui disposent: La Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature ». Quand on connait comment fonctionnent les pouvoirs africains, laisser au Président de la République la possibilité d’avoir trois clients au sein d’un organe aussi vital pour l’Etat de droit constitue déjà une mauvaise disposition des choses. On nous rétorquera que les Occidentaux le font. C’est cela la première erreur des constitutionalistes africains. Faire du copier-coller. Les Occidentaux ne le font pas dans le même contexte. Pour ne citer que quelques détails importants, la démocratie est à l’œuvre au sein des partis politiques occidentaux. La culture de la carrière et de la compétence est bien assise dans les corps constitués de l’Etat. La politique du ventre est révolue. En cas de coalition gouvernementale, la formation du gouvernement résulte des négociations sur la politique à mener ensemble. Faut-il souligner que le contexte politique africain est aux antipodes de tout cela?

Passons aux trois membres de la Cour constitutionnelle désignés par le Parlement réuni en Congrès. Contrairement à la situation qui prévaut en Occident, les parlements africains sont encore au stade de supermarchés des godillots. Le parti politique étant la chose du président fondateur et de sa famille biologique, la formation du gouvernement ne résultant que du partage du pouvoir pour le pouvoir, le parlement finit par devenir, par voie de conséquence, la chose du Président de la République. En demandant au parlement de designer trois membres de la Cour constitutionnelle en plus de trois déjà désignés par le Président de la République, on offre en fait à ce dernier la possibilité de designer six des neuf juges.

Arrêtons la démonstration de la mauvaise disposition des choses de manière générale. Allons directement aux faits comme nous l’avions déjà fait dans un vieil article quand Congo Indépendant avait annoncé la mise en place de la Cour constitutionnelle huit ans après l’élection présidentielle de 2006. Nous écrivions alors ce qui suit: « Parmi les trois membres désignés par le Parlement, Félix Vunduawe te Pemako est un haut cadre de l’Union des forces du changement (UFC), petit parti dirigé par le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, élu à ce poste avec entre autres des voix issues du parti du Président de la République, le PPRD, et de la majorité présidentielle. Eugène Banyaku Luape est aujourd’hui coordonnateur national adjoint de la Conférence internationale sur la région des grands lacs (CIRGL). A ce titre, il est membre de fait, s’il ne l’est pas de droit, de la majorité présidentielle. Corneille Wasenda N’Songo exerce pour sa part à la Cour suprême, qui fait pour l’heure office de Cour constitutionnelle. La Cour suprême que l’opposition juge acquise au pouvoir avait jugé les contentieux électoraux des dernières élections présidentielles et législatives en 2011. Comme la ‘Tour de Pise’ du Gabon. Notons par ailleurs que l’UDPS, premier parti d’opposition, estime que la désignation de ces trois membres n’avait pas fait l’objet d’un traitement consensuel, qu’il y avait eu un manque de transparence et que le procédé était vraiment anticonstitutionnel. A cela s’ajoute le fait que parmi les membres désignés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), l’indépendance d’au moins un est également douteuse. Il s’agit de Jean-Louis Esambo. Il exerce actuellement les fonctions de directeur de cabinet adjoint au ministère de l’Intérieur auprès du PPRD Richard Mujej Mangez. Sans aller jusqu’à évoquer le problème de corruption, les profils des membres de la Cour constitutionnelle démontrent clairement que le Président de la République dispose d’une écrasante majorité en sa faveur ». Faut-il être spécialement doué pour se rendre compte d’une telle évidence?

La situation décrite ci-dessus n’est pas l’apanage du Congo-Kinshasa. Comme l’a si bien écrit le professeur Mbata lui-même, « à l’image des cours des pays de l’Afrique centrale comme le Congo, le Burundi, le Gabon, le Rwanda ou le Tchad, la Cour constitutionnelle RD congolaise n’a pas fait preuve d’audace et ne s’est pas encore véritablement émancipée du Président de la République, du Gouvernement, du Parlement ou de la coalition au pouvoir ». Son tort est de s’imaginer qu’il s’agit d’une question d’audace. Au cours de notre carrière de « Bula Matari sans frontières », nous avons une fois servi de point focal de notre institution dans la facilitation de l’élaboration constitutionnelle dans un pays en crise. Notre rôle consistait entre autres à veiller au recrutement des consultants constitutionalistes nationaux et internationaux, tous professeurs d’université, aux voyages d’études à l’étranger de quelques membres de la commission chargée de rédiger le projet constitutionnel, à l’audition de certaines personnalités de notre institution ou des institutions sœurs par ladite commission, et au suivi régulier des travaux. Pour la petite histoire, l’un des constitutionnalistes internationaux est bien connu du professeur Mbata. Il avait été invité au colloque sur le bilan des dix années de notre Constitution organisé à Kinshasa par l’Institut pour la Démocratie, la Gouvernance, la Paix et le Développement en Afrique (IDGPDA). En voyant revenir notre nom dans les multiples échanges de correspondance sur son recrutement et déploiement alors qu’il ne nous connaissait pas encore, il avait tenu à ramener de son pays un article d’un de ses homologues camerounais jetant entre autres un regard sur notre vision de la démocratie. Comment cet autre pays avait-il fait preuve du même aveuglement que la quasi-totalité des Etats d’Afrique sub-saharienne dans la construction de l’indépendance de la Cour constitutionnelle?

Notons d’abord que la question du genre était mieux traitée qu’au Congo-Kinshasa: « Les juges constitutionnels sont désignés parmi les personnalités intègres et ayant au moins dix ans d’expérience professionnelle comme suit: deux magistrats dont une femme, élus par leurs pairs; deux avocats dont une femme, élus par leurs pairs; deux enseignants-chercheurs de Droit dont une femme, élus par leurs pairs ». Mais alors que diverses personnalités et institutions consultées recommandaient qu’aucun juge ne soit désigné par un seul individu, la commission préféra marcher sur les sentiers battus en décidant que les trois autres membres soient respectivement désignés par le Président de la République, le Premier Ministre et le Président de l’Assemblée Nationale. Voilà comment les Africains phagocytent eux-mêmes l’indépendance de cette institution si essentielle à l’émergence de l’Etat de droit.

Quand, depuis le 24 avril 1990, nous nous époumonons à faire comprendre à nos compatriotes que la voie démocratique que nous avons choisie et les institutions qui en découlent mènent à tout sauf à l’Etat de droit, nous entendons mettre le doigt sur des aspects de notre vivre ensemble qui ne peuvent contribuer à notre épanouissement en tant que nation. Pour toute vie en société, il y a des règles. Partout où existent des règles, il faut bien qu’il y ait un arbitre pour les faire respecter ou sanctionner ceux qui les violeraient. En annonçant la mise en place de notre Cour constitutionnelle huit années après les élections de 2006, BAW avait insisté sur sa lourde responsabilité en notant qu’elle « est chargée du contrôle de la constitutionnalité des lois et des actes ayant force de loi. Elle a également la compétence de juger le contentieux des élections présidentielles et législatives ainsi que le référendum. Elle est le juge naturel du Président de la République et du Premier ministre. Il s’agit d’une institution à la fois scientifique et politique ». Sur le plan scientifique, le professeur Mbata le reconnait lui-même d’une certaine manière, la Constitution a laissé la porte grandement ouverte pour que « n’importe quel magistrat, n’importe quel avocat, n’importe quel juriste et n’importe quel professeur de droit » puisse y siéger. Quant à la séparation des pouvoirs, rien de substantiel n’a été entrepris pour construire l’indépendance de cette institution au regard du pouvoir tel que vécu chez nous de l’indépendance jusqu’à la rédaction de cette énième Constitution. Et on s’étonne que les choses ne marchent pas!

 

Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo

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