« … Changeons la Constitution »: Un piège tendu par « Kabila »

La polémique actuelle sur la « double nationalité » risque – si les forces politiques et sociales acquises à l’alternance ne prenaient garde – d’offrir à « Joseph Kabila » l’alibi, voire le faux motif, qui lui manquait pour faire réviser quelques articles qui « verrouillent » la Constitution en ce qui concerne le nombre et la durée du mandat présidentiel. Depuis 2013, le « raïs » et ses affidés tentent en vain de faire adhérer les Congolais à l’idée selon laquelle « toute constitution est révisable ». Quid du bien-fondé d’une telle révision?

« J’ai le devoir de défendre la Constitution ». « J’ai le devoir de défendre la Constitution ou bien changeons la Constitution ». Voilà deux phrases anodines en apparence mais lourdes en sous-entendus. Qui est le locuteur? Il s’agit de « Joseph Kabila ». L’homme s’adressait lundi 16 avril aux députés nationaux de sa mouvance.

Cette sortie politico-médiatique surprend de la part d’un dirigeant dont le rôle est censé se limiter à l’expédition des affaires courantes. Il vrai que la « compétence temporelle » court de l’investiture à la « désinvestiture ». Autrement dit, du 20 décembre 2011 au 19 décembre 2016.

Chef de l’Etat hors mandat depuis le 19 décembre 2016, « Kabila » et ses « services d’études stratégiques » doivent se frotter les mains. Ils viennent de « dénicher » – du moins le pensent-ils – le prétexte qui leur manquait pour initier une révision constitutionnelle. Celle-ci devrait avoir pour but apparent de régler l’épineux dossier de la double nationalité.

Luhonge Kabinda Ngoy

Le successeur de Mzee sait que cette question intéresse non seulement les politiciens mais aussi des Congolais lambda. C’est le cas de ceux qui vivent à l’étranger. Et qui, pour diverses raisons, ont opté pour des nationalités étrangères.

Ces citoyens congolais sont loin d’être dupes. Ils savent qu’une telle réforme serait mal venue dans la confusion politique actuelle. Les concernés savent également que le but non-avoué de l’oligarchie en place est de « retoucher » non seulement l’article 10 de la Constitution mais aussi de faire sauter quelques « verrous » qui empêchent le « raïs » de briguer un nouveau mandat.

« FAUX EN ECRITURE »

Le 26 janvier 2001, « Joseph Kabila » était investi à la tête de l’Etat congolais alors qu’il ne satisfaisait guère à la condition essentielle de « posséder la nationalité congolaise d’origine ». Un faux en écriture fut commis sciemment par deux hauts magistrats pour contourner cette exigence. L’histoire pourrait se résumer en ces quelques mots: « Laurent-Désiré Kabila, le Mulubakat est mort. Le pouvoir d’Etat doit rester aux mains des Balubakat ».

Dans le réquisitoire lu par le procureur général de la République d’alors, Luhonge Kabinda Ngoy, il est écrit notamment: « Attendu que l’examen, par l’organe de la loi du dossier personnel de Monsieur Joseph Kabila, général major, que ce dernier est Congolais d’origine, de père et de mère ». « Attendu en outre, que Monsieur Joseph Kabila, auquel les institutions judiciaires de la République ne reconnaissent aucun antécédent judiciaire, (…), qu’il suit de ce qui précède, qu’aucune cause d’empêchement à accéder et à exercer les hautes charges et fonctions de chef de l’Etat congolais n’a été décelée dans son chef ».

Luba du Katanga, le PGR Luhonge [actuellement, 1er vice-président de l’Assemblée nationale], n’avait nullement pris connaissance du « dossier personnel » de « Joseph Kabila ». En réalité, ce dernier n’avait même pas un CV. Sinon, le magistrat aurait appris que le successeur désigné de Mzee présentait une « cause d’empêchement » pour avoir fait le service militaire dans l’armée tanzanienne. L’intéressé devait être au moins titulaire de la nationalité tanzanienne. Pour la petite histoire, Luhonge avait un acolyte en la personne d’un des présidents de la Cour suprême de justice de l’époque. Il s’agit du Lubakat Benoît Lwamba Bindu [actuellement président de la Cour constitutionnelle].

« CHEF D’ŒUVRE DE LA MYSTIFICATION »

Benoît Lwamba Bindu

En lançant lundi 16 avril « …changeons la Constitution », « Kabila » a tendu un piège aux 80 millions des Congolais en général et au personnel politique en particulier. Si la proposition semble alléchante, la motivation de ce « changement constitutionnel » est purement politicienne. L’intérêt général n’y trouve aucun compte. Après avoir transformé l’ex-Zaïre en un champ de ruines, cet homme n’a qu’une seule ambition: pérenniser son pouvoir.

Le premier alinéa de l’article 10 de la Constitution stipule: « La nationalité est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre ».

La loi électorale n°06/006 du 9 mars 2006, telle que modifiée à ce jour, édicte en son article 5 notamment que ne peut être « électeur » que le titulaire de la nationalité congolaise. De même, nul ne peut être « éligible » s’il n’est de nationalité congolaise (article 9).

Question: « Joseph Kabila » peut-il défendre la Constitution congolaise? Qui oserait répondre par l’affirmative au regard de révisions intempestives opérées depuis le 18 février 2006? « Kabila » ne doit-il pas sa propre accession à la tête du pays à un « chef d’œuvre » de la mystification?

Qui oubliera que cinq mois avant l’élection présidentielle organisée le 28 novembre 2011, le président-candidat a fait modifier en catimini huit articles de la Charte fondamentale sous le fallacieux prétexte que « certaines dispositions se sont révélées handicapantes et inadaptées aux réalités politiques et socio-économiques » du pays?

En quoi l’élection du président de la République à la majorité absolue des suffrages exprimés était-elle « handicapante » et « inadaptée »? Le Congo-Kinshasa se porte-t-il mieux avec un Président élu à la « majorité simple » des suffrages exprimés?

On ne le dira jamais assez que « Kabila » doit se frotter les mains. Il est prêt à initier la révision de l’article 10 de la Constitution. En « contrepartie », il espère obtenir des politiciens concernés par la question « l’autorisation » de « déverrouiller » l’article 220 qui limite à deux le nombre et la durée du mandat présidentiel respectivement à deux et cinq ans.

Toute révision constitutionnelle sera l’occasion pour cet homme du passé de remettre le compteur à zéro. On espère que les leaders de l’opposition – la vraie – ne vont pas mordre à l’hameçon. On espère surtout que Luhonge et Lwamba ne vont pas récidiver…

 

Baudouin Amba Wetshi

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