« Tokomi wapi »? Rarement, un média a si bien porté sa dénomination. Où en est-on avec l’information judiciaire ouverte contre le journaliste Eliezer Ntambwe au parquet général près la Cour d’appel de la Gombe? Cinq jours après, il n’y a toujours pas de confrontation entre « Muana Nkolo lopango » et le plaignant – apparent? – Ngoy Kasanji. Contre toute attente, « Eliezer » a été placé sous mandat d’arrêt provisoire et transféré « en catimini » à la prison centrale de Makala. Des juristes parlent de procédure expéditive digne de « procès stalinien ». L’objectif parait clair: faire payer à ce journaliste son « impertinence ».
Cinq jours après l’arrestation d’Eliezer Ntambwe, rédacteur en chef du magazine « Tokomi wapi? », spécialisé dans la dénonciation des abus et excès présumés des « puissants du moment », il n’y a toujours pas de confrontation entre l’accusé et le « plaignant visible » en l’occurrence Ngoy Kasanji. Le journaliste, lui, est embastillé depuis jeudi 5 avril à la Prison centrale de Makala.
On apprenait que le gouverneur du Kasaï Oriental n’a jamais déposé de plainte, de manière formelle, au parquet près le Tribunal de Grande Instance de la Gombe. « Les autorités judiciaires avaient dépêché une commission rogatoire à Mbuji-Mayi. Mission: recueillir les allégations du plaignant », dit-on.
Si ce fait était confirmé, on peut gager que ce journaliste fait face à une cabale politico-judiciaire montée par quelques oligarques qui ont pris le Congo-Kinshasa en otage.
Dans une mise au point datée du 2 avril 2018, Ngoy Kasanji allègue que Ntambwe « a fait pression » sur ses collaborateurs afin de le « convaincre » de payer pour « faire bloquer la diffusion de son émission ». Kasanji brandit à l’appui des « enregistrements sonores ».
Il a fait diffuser sur les réseaux sociaux les fameux « enregistrements sonores » qui restent à authentifier. Dans cet élément, on entend « Eliezer » parler de la facturation des reportages réalisés par son équipe technique. L’argent perçu lui permet de rémunérer ses collaborateurs.
A Kinshasa, les avocats chargés d’assurer la défense de Ntambwe ont dénoncé, jeudi 5 avril, le caractère expéditif de la procédure. Un mandat d’amener a été délivré à l’encontre du journaliste incriminé alors qu’il n’a jamais été invité à venir comparaître via au moins deux mandats de comparution. Ces juristes parlent d’un « usage procédural disproportionné ».
Pour cette équipe de défense, l’objectif poursuivi est de saper le moral de leur client, a estimé maître Hervé Diakese. On rappelle que l’animateur de « Tokomi wapi? » a passé trois jours dans un cachot miteux du palais de la justice avant d’être transféré au « Pavillon 2 » à Makala.
Selon deux sources bien informées, derrière le « plaignant visible » Ngoy Kasanji, il se dissimule plusieurs « super faucons » du premier cercle du pouvoir kabiliste. « Des plaignants invisibles qui sont décidés à faire taire les journalistes engagés », confient-elles quasiment en chœur. « Joseph Kabila et les durs de son régime – dont Kalev Mutond de l’ANR et Delphin Kahimbi de l’état-major de renseignements militaires – n’ont jamais digéré la diffusion, par Eliezer, des images sur la mort tant de la jeune Thérèse Kapangala que de Rossy Mukendi ». Autre grief: la proximité de « Ndeko Eliezer » par rapport au G7 Moïse Katumbi et l’UDPS Félix Tshilombo Tshisekedi.
« EVITER LE MÉLANGE DE GENRE »
Lors de la répression des marches pacifiques organisées par le « CLC » (Comité laïc de coordination) le 31 décembre 2017, le 21 janvier et 25 février 2018, le magazine « Tokomi wapi? » a été un des rares médias congolais à déployer des reporters sur le terrain. La terre entière a pu visionner des sbires de « Kabila », épaulés par des « miliciens » en tenue civile, tirer à balles réelles sur des manifestants. La terre entière a pu visionner également des individus habillés en tenue de policiers arracher de l’argent et divers objets personnels aux fidèles qui sortaient des églises. « Le raïs a la rancune tenace. Il attendait le moment propice pour agir. L’affaire Ngoy Kasanji est une aubaine pour lui », soupire une des sources.
Recevant, jeudi 5 avril, une délégation des journalistes kinois venue lui remettre un mémo sur « l’affaire Eliezer », Jean-Marie Kasamba, président de la section kinoise de l’UNPC (Union nationale de la presse congolaise) a exhorté ses confrères à « éviter le mélange de genre ». La recommandation du très kabiliste « JMK » pourrait être décryptée comme suit: « Abstenez-vous de toucher aux intouchables! ». Interprétation abusive? Assurément pas.
Président de l’UNPC au niveau national, Kasonga Tshilunde, lui, espère convaincre Ngoy Kasanji à retirer sa plainte. Il l’a dit sur les ondes de la Radio Okapi. Au lieu de s’arrêter là, il a ajouté une phrase qualifiée unanimement de « malencontreuse »: « Ce qu’il faut maintenant, c’est de demander au gouverneur de retirer sa plainte et de l’aiguiller à l’UNPC pour que la commission de discipline s’en charge et au besoin de sanctionner notre confrère pour avoir violé les règles éthiques et déontologiques ».
Questions: Eliezer Ntambwe a-t-il violé, dans le cas sous examen, une règle de déontologie? Laquelle? Est-ce le droit que le public a de connaitre la vérité? Est-ce le fait d’avoir diffusé une information dont la source est connue (la famille du creuseur Olomi)? Peut-on franchement parler de diffamation ou de calomnie en l’absence d’une confrontation entre les parties en conflit? Pourquoi Kasanji a saisi la justice alors qu’il avait entrepris une « démarche discipline » de l’UNPC?
Dans l’affaire Eliezer Ntambwe, les magistrats congolais montrent une fois de plus leur vassalité tant à l’égard du pouvoir politique qu’économique. Ces « hommes de loi » ont engagé le pari de poursuivre le patron de « Tokomi wapi? » du chef de « diffamation et tentative d’extorsion » tout en tentant de passer par pertes et profits l’épicentre du différend. A savoir, le décès dans des circonstances non-élucidées du « creuseur » Olomi Lohodi.
Olomi Lohodi avait découvert un diamant de 35 carats. La famille du défunt est allée chez « Eliezer » accusant Ngoy Kasanji d’avoir « saisi » cette pierre précieuse avant de brutaliser Olomi. « Joseph Kabila a décidé d’en finir avec tous ces journalistes proches de l’opposition », assurent les sources précitées. « Il est à craindre que d’autres ‘journalistes engagés’ rejoignent Ntambwe à Makala… »
Lors de la conférence de presse qu’il avait animée le 26 janvier dernier, « Kabila » n’avait pas manqué de d’évoquer le cas de ces journalistes « qui se réveillent le matin en épinglant les dirigeants à insulter ». A qui faisait-il allusion?
Question finale: Et si « Joseph Kabila » était le véritable « plaignant » dans l’affaire Eliezer Ntambwe versus Ngoy Kasanji?
Baudouin Amba Wetshi
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