Le 9 janvier dernier, nous avons lu avec attention tous les commentaires à notre article « Retour sur l’interview de Ngbanda ». « A l’instar de certains Congolais parfois aveuglés par l’amertume, l’aigreur et la frustration », écrit Mutu-ya-kivu RDC, « [notre analyse] s’apparente horriblement à un jugement sentimental ». Combattant Résistant de l’Ombre lui répond en écho en soutenant que nous faisons « un procès d’intention contre un de nos aînés politiciens qui s’est sacrifié, qui combat depuis plus de vingt ans contre [nos] ennemis intérieurs et extérieurs ». Fumuki, lui, croit sans doute nous impressionner en nous répondant en anglais, nous qui sommes titulaire d’une Licence en Langue et Littérature Anglaises, qui avons donné de 2002 à 2004 des conférences en anglais dans le cadre des Cycles d’Information Générale de la Coopération Technique Belge à Bruxelles et qui, de 2004 à ce jour utilisons l’anglais au quotidien comme langue de travail en notre qualité de « Bula Matadi sans frontières ». A en croire Fumuki, notre texte ne constitue qu’une distraction pour notre peuple. Alors que nous ne nous sommes jamais autoproclamé leader de quoi que ce soit, Jean nous lance cette flèche: « C’est triste de voir que ceux qui se disent être des leaders congolais écrivent des telles choses maintenant que plus que jamais, nous avons besoin d’unité pour faire face à la dictature de Joseph Kabila. C’est dire que ce n’est pas le moment opportun de nous lancer dans des débats dont personne n’a besoin ». Paysan congolais abonde dans le même sens en nous reprochant de faire un « énième procès superficiel du mobutisme », avant de conclure: « Il faut d’abord se débarrasser de Kabila. On fera l’inventaire plus tard ». Bois fait sienne cette prise de position quand il note: « Débat stérile et attention à tous les pourfendeurs de Ngbanda. Comprenez-vous que le pays est en danger? ». On entend presque le même son de cloche du côté de Nono qui « pense qu’un procès plus juste de Ngbanda devrait balayer non seulement son passé mobutiste mais aussi ce qu’il a fait par la suite ». Quant à Clément Kongolo Muntuhimana, il se demande s’il était opportun de revenir sur l’interview ci-dessus. Pour lui, « s’attaquer à Ngbanda, c’est aujourd’hui s’attaquer à l’option congolaise qui veut libérer son avenir ».
Notre article ne fait pas le procès de Ngbanda. Il ne dresse pas non plus le bilan du régime Mobutu. Il serait même fou de le prétendre dans un texte d’un peu plus de trois pages. Dans son interview à Ngbanda, CIC lui pose la question suivante: « Sous la Deuxième République, [vous étiez] étiqueté comme un des faucons du régime. Que répondez-vous à ceux qui allèguent que vous avez une part de responsabilité dans l’arrivée au pouvoir de l’AFDL? ». Réponse de Ngbanda: « Ceux qui soutiennent ce genre de réflexion sont simplement des ignorants. Ils ne savent pas lire l’Histoire ».
Notre réflexion n’est rien d’autre qu’une réaction à cette réponse que nous jugeons inexacte. Et nous avançons des arguments précis à cet égard. Car, on est effectivement en face d’un des faucons du régime Mobutu qui a amplement justifié la naissance de l’AFDL et dont les effets néfastes sur notre destin collectif n’ont pas été enterrés avec le dictateur à la toque de léopard quelque part au Maroc, comme certains voudraient nous le faire le croire. La légèreté, l’insouciance et l’irresponsabilité des politiciens congolais est bien un legs des années Mobutu. Leur obséquiosité vis-à-vis du chef et le culte de la personnalité qui semblent avoir atteint leur paroxysme sous l’administration de Joseph Kabila, nous le devons aux années Mobutu. Même la facilité avec laquelle les infiltrés rwandais du « Tutsi power » se font passer pour des Congolais en empruntant des identités aux couleurs d’autres ethnies congolaises, comme le décrit si bien Ngbanda dans ses recherches importantes pour le pays, elle trouve son explication dans les longues années Mobutu qui n’ont pas su doter le pays d’un fichier d’état civil.
Par ailleurs, nous avons reconnu, comme certains l’ont si bien fait remarquer, que Ngbanda est l’unique opposant qui renseigne l’opinion publique nationale sur le « Tutsi power ». Avec toute la fortune qu’il a amassée sur le dos du peuple tout au long du « Ngbandi power », il est même surprenant qu’il se limite depuis des années à la dénonciation dans de petits cercles et à travers ses publications qui ne peuvent atteindre grand monde. A sa place, nous aurions acheté des drones pour jeter au-dessus de toutes nos grandes villes des tracts renseignant la population sur toutes les identités et visages qui s’accaparent les postes stratégiques dans ce nouveau national-tribalisme aux dimensions d’international-tribalisme; ce qui contribuerait à coup sûr à faire bouger les lignes dans la lutte contre l’oligarchie en place.
Dans le cadre de cet article-ci, nous avons également tenu à revisiter deux thèmes qui reviennent souvent dans les milieux congolais, confrontés au désenchantement démocratique, et qu’on a pu redécouvrir dans l’un ou l’autre des commentaires sur notre réaction à la réponse de Ngbanda: le besoin d’unité nationale pour combattre la dictature sanguinaire de Joseph Kabila et l’inopportunité des réflexions et débats politiques quand la nation est en péril. Sous la tyrannie comme sous la colonisation ou l’occupation, la mobilisation est certes importante pour en venir à bout. Mais il n’existe aucun pays au monde qui, une fois confronté à ces travers de l’Histoire, aurait besoin de l’unité de tout son peuple pour y faire face. Aucune guerre d’indépendance ou de libération, aucune résistance et aucun soulèvement populaire n’a eu à mobiliser ne fut-ce que 10% d’une population nationale. En France, par exemple, les chiffres avancés pour le nombre de résistants pendant l’occupation nazie varient de 300.000 à 500.000; ce qui représente environ 2% de la population française de l’époque. Au Congo-Kinshasa, l’AFDL a réussi à déboulonner la longue dictature de Mobutu. Pourtant, ce conglomérat d’aventuriers, comme le reconnaitra plus tard son chef visible, l’idiot de service Laurent-Désiré Kabila, n’était même pas constitué de 1% de la population congolaise. Il en sera de même de la chute du régime tyrannique de Joseph Kabila si jamais elle avait lieu à la suite d’un coup de force. Ceci signifie que s’opposer à ce qu’on s’oppose aux écrits ou déclarations de tel ou tel autre compatriote parce que cela nuirait à l’unité nationale qui serait indispensable dans la lutte contre la tyrannie, cela relève tout simplement de l’ineptie. D’ailleurs, face à toute tyrannie, l’unité nationale est impossible à atteindre. Car, les tyrans ont toujours eu des sympathisants. A-t-on vu un seul leader ou militant du PPRD ou de la majorité présidentielle condamner les tueries des laïcs chrétiens? Esclaves consentants ou qui s’ignorent de l’international tribalisme en vigueur, les Congolais de cette mouvance ne s’amusent-ils pas à déplacer les responsabilités dans un lynchage médiatique sans précédent contre l’Archevêque de Kinshasa?
Il en est de même du deuxième thème. Quand on parcourt les réactions à nos articles, on tombe souvent sur cette idée qui voudrait que notre pays étant en danger, nos réflexions et débats politiques sont sans intérêt. Partout au monde, quand un peuple ploie sous le joug de la colonisation, de l’occupation ou de la tyrannie, cela n’a jamais suspendu la vie. Toutes les activités humaines se poursuivent y compris celles qui procurent de la jouissance. La population continue de se divertir. Elle continue de prendre de bons repas à domicile ou au restaurant. Elle continue de se nourrir intellectuellement. Elle n’arrête pas non plus de faire l’amour. Et cetera. Pour preuve, alors qu’ils affirment que le pays est en danger et qu’ils estiment que tout le monde devrait être mobilisé à le sauver, ceux qui soutiennent ce genre de réflexion se rendent quotidiennement à l’espace « Opinion & Débat » de CIC au lieu de se retrouver au front de la résistance contre la tyrannie. Ainsi, ils se conduisent comme les « Combattants » qui mettent toute leur énergie à combattre les concerts de nos musiciens en Europe sous prétexte que leur musique abrutit le peuple qui devrait lutter contre la dictature alors qu’eux-mêmes consomment quotidiennement cette même musique, dans leurs voitures, à domicile et lors des fêtes. Pire, nombre d’entre eux sont des adeptes des églises de réveil ou, mieux, du sommeil, celles-là mêmes qui prennent ouvertement fait et cause pour notre troisième despote non éclairé qui s’accroche au pouvoir telle une sangsue. Peut-on être plus inconséquent?
La réflexion et le débat politiques sont cruciaux dans toute société et aucune catastrophe humaine ou naturelle n’est en mesure de les suspendre. C’est justement parce que nous n’avons jamais réfléchi à la démocratie que le deuxième processus de démocratisation de notre pays, comme hier le premier, a abouti à la désillusion amère que nous déplorons aujourd’hui. Opposant, le sénateur Florentin Mokonda Bonza, ancien directeur de cabinet de Mobutu, nous le rappelle quand il pose son diagnostic de notre classe politique, qui n’en est vraiment pas une, dans l’interview de Jeune Afrique publié par CIC: « Beaucoup d’entre nous se contentent de clamer ‘Kabila doit partir!’. Comme ce fut déjà le cas à l’époque de Mobutu. Oui, il faut que Kabila parte, mais qu’est-ce que vous faites après? Trop peu poussent la réflexion ou la stratégie jusqu’à ce niveau ». Invités du JT de TV5-Monde Afrique le 5 janvier pour commenter l’échec de l’opposition congolaise mis en évidence par la grande mobilisation des laïcs chrétiens, Hervé Kiteba du Think Tank Elikia et Flory Mukendi de la Lucha ont souligné la nécessité pour notre nation de trouver une alternative au schéma politique actuel et d’éduquer nos politiciens à la compréhension de la notion de démocratie. Notons que nous martelons ces deux messages depuis le 24 avril 1990. Pour ce faire, on ne doit pas attendre la chute du régime actuel. On imagine d’ailleurs mal des Congolais terrassant le dictateur Joseph Kabila pour aussitôt « relancer la bataille politique en vue de l’instauration d’une véritable démocratie », comme le recommandent Ngbanda et bien d’autres compatriotes. Le leader des tels Congolais s’empresserait plutôt à s’écrier: Ote toi de là que je m’y mette! Comme le chef de file des tombeurs visibles du dictateur Mobutu Sese Seko. La réflexion politique doit être permanente. Car, c’est elle qui doit orienter toute action politique si l’on veut éviter les erreurs du passé. Quant à nos débats, si nous voulons qu’ils servent à quelque chose, ils doivent tourner autour des arguments avancés par les uns et les autres, comme le voudrait l’art, et non sur des considérations qui leur sont étrangères.
Par Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo
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