Mobutu, le meilleur de tous

Wina Lokondo

J’imagine les anti-mobutistes viscéraux bondir d’énervement à la lecture du titre. Il faut faire preuve de mauvaise foi ou ne pas connaître l’histoire du Congo/Zaïre pour ne pas partager mon avis. Il suffit pourtant à quiconque qui prend la peine de comparer objectivement – sans falsifier l’histoire, sans la lire politiquement – les trois Républiques que le pays a connues pour s’en convaincre. La comparaison peut porter sur le nombre de réalisations positives. Elle peut aussi l’être en termes de vision, de pensées prospectives développées par l’un et l’autre dirigeant que le Congo a eu à sa tête. Ou également en relevant les projets, quoique bien pensés, qui ont fait flop ou qui sont restés inachevés.

Joseph Kasa-Vubu, Joseph-Desiré Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila, Joseph Kabila et Félix Tshisekedi n’ont pas eu une égale durée au pouvoir, la palme de longévité revenant à Mobutu avec ses 32 ans ininterrompus. Ce qui ne rend évidemment pas les comparaisons aisées.

Je me lance ici dans une approche comparative de leurs quatre premières années respectives de gestion pour les mettre à égalité de temps, prenant le minimum de durée qui est celle de Laurent-Désiré Kabila qui a régenté le pays de 1997 à 2001. Je tiens à souligner, afin que nul n’en prenne prétexte de ses déficits de performances, que chacun de nos cinq présidents de la République a fait face à des mouvements de rébellion armée au cours de son ou ses mandat(s). Des séditions qui ont eu diverses causes.

Un des acteurs importants du paysage politique depuis 1960 qui a pu avoir, à partir de sa « tour de contrôle » de chef d’état-major général de l’armée nationale, une panoramique et précise situation politique et sécuritaire générale du pays qu’il jugea alarmante, ce dernier allant en vrille, le Lieutenant-général Joseph-Desiré Mobutu décide de prendre le pouvoir le 24 novembre 1965. Le coup d’état, sans aucun coup de feu tiré ni mort d’homme, est approuvé deux jours après par le Parlement – fait rare dans l’histoire des démocraties -, la classe politique s’étant lassée du désordre qui règne dans le pays. Moïse Tshombé, dont la plateforme politique vient de remporter les législatives nationales et que le président Kasa-Vubu refuse de renommer premier ministre, applaudit, lui aussi, le putsch.

Il n’y a pas eu brutalité physique contre le président déchu ni propos injurieux, irrévérencieux envers sa personne à travers les médias de la part des nouveaux dirigeants. Aucun de ses biens n’aura jamais été saisi. Il meurt en 1969 dans son village au Kongo-Central et pas en état d’indigence, le nécessaire pour une vie décente en rapport avec son ancien rang lui ayant été accordé jusqu’à ses derniers jours de vie. Mobutu donnera le nom de ce dernier à une commune et à une des longues avenues de Kinshasa. La République prendra longtemps soin de sa veuve et de ses enfants.

Le traitement de son prédécesseur par Mobutu est un premier élément de comparaison par rapport au sort qu’il lui aura été réservé – lui – depuis son départ du pouvoir en 1997 jusqu’à aujourd’hui : pillages de ses bureaux et de ses archives, destructions de toutes ses résidences à travers le pays, profanation des sépultures des membres de sa famille, systématiques dénigrements, tacites interdictions de parler positivement de lui, de lui reconnaître ses mérites dans les médias officiels et lors de toute manifestation institutionnelle. Pourtant, ses successeurs se sont tous également souillés par des crimes politiques et économiques et ne sont ainsi pas plus dignes, pas plus valeureux que lui. Depuis que le monde est monde, les vainqueurs ou les tenants du pouvoir du moment ont toujours écrit l’histoire à leur avantage.

Aussitôt aux manettes du pays, Mobutu tient à réaliser son projet prioritaire : unifier les Congolais et réunifier territorialement le pays. La composition de son premier gouvernement – dirigé par le premier ministre Léonard Mulamba – en donne le premier signe : toutes les provinces du pays y sont égalitairement représentées. Mobutu a veillé à l’équilibre régional dans l’attribution des charges publiques durant toute la période de sa présidence. Tel un potier, il estime malaxer davantage ses compatriotes en interdisant, dès 1966, à tout haut fonctionnaire de l’État de travailler dans sa province d’origine. Ce qui a donné aux nombreux Congolais l’occasion de quitter leurs cocons spacio-culturels d’origine et d’aller vivre chez les « autres », de les connaître, de découvrir leurs particularités. Pour exemple, le rédacteur de ces lignes, natif de Mbandaka et d’ethnie mongo, a passé deux années d’études primaires (1971-1973) à Lubumbashi où il a vécu sous affectueux soins et encadrement d’un de ses aînés qui y fut Inspecteur Provincial des Finances. Il y a goûté le bukari et bien d’autres spécialités culinaires de cette partie sud-est du pays. Le swahili devient une nouvelle langue du jeune Équatorien qui ira plus tard passer quatre autres années d’études secondaires au Bandundu, dans le territoire d’Idiofa, successivement dans les missions catholiques de Mwilambongo et d’Ipamu, sans aucun jour s’y être senti en terre étrangère pour n’avoir jamais subi d’hostilité, de rejet de la part des autochtones. Il y a mangé le mikungu et le kikongo s’est ajouté à ses langues de connaissance. Par ces apports culturels, il cessa d’être un Mongo pur.

Les Congolais se sont ainsi interpénétrés. La nation a fini par être solidement homogénéisée comme le magma devenir rocheux. Ici, au moins, les Congolais reconnaissent unanimement à Mobutu cette réussite politique. Aujourd’hui, l’unité nationale a volé en éclats, les discours ethnicistes, révélateurs de replis identitaires, résonnent tristement partout, ont cessé d’être infractionnels, des expressions d’antipatriotisme. Ils le furent durant la Deuxième République. L’affirmation des micro-nationalismes – accompagnée ici et là de violences entre communautés – a mis à mal la cohésion nationale que l’on cherche cahin-caha à reconstruire.

L’être humain n’a pas seulement besoin de pain pour sa survie. Le respect de sa personne – sa dignité – contribue également à son épanouissement psychologique. Dépersonnalisé à outrance par l’action coloniale, Mobutu estime dès son arrivée au pouvoir devoir « décoloniser les esprits », renouer le fil historique, re(lier) ses compatriotes à leur passé en y puisant le positif de leurs aïeux compatible à leur vie moderne – le « recours à l’authenticité » -, de leur redonner la fierté d’être Congolais. Il commence ainsi le processus de « congolisation » du pays en débarrassant ce dernier de certaines rémanences de la colonisation. Il décide notamment, cette année 1966, la débaptisation des villes et divers autres lieux : Léopoldville devint Kinshasa, Elisabethville Lubumbashi, Coquilhatville Mbandaka, Thysville s’appellera Mbanza-Ngungu, etc.

Fait politique non moins important, Mobutu élève, également en 1966, feu le premier ministre Patrice-Émery Lumumba à la haute dignité de Héros national. La plus longue artère de la capitale porte désormais son nom : Boulevard Lumumba.

Le lieutenant-général Mobutu lance la construction de la Cité de la N’sele qui sera non seulement un parc agro-pastoral, mais aussi un haut lieu d’activités politiques. Le « président-fondateur » y présente le 20 mai 1967 les statuts du parti qu’il crée, le MPR (Mouvement Populaire de la Révolution), entouré de ses co-fondateurs (Kithima, Kititwa, Tshisekedi, entre autres). Et c’est à ce même endroit qu’il annonce, le 24 avril 1990, la fin du monopole politique du MPR-Parti-État et l’ouverture du pays au multipartisme.

Également dès 1966, Mobutu ressuscite le vieux projet Inga laissé dans le tiroir par le colonisateur belge et fait démarrer les travaux de construction. Le premier barrage Inga 1 est inauguré en 1972. Inga 2 voit le jour deux ans après. Ces gigantesques infrastructures productrices d’énergie électrique constituent ses plus grandes réalisations par leur importance économique. Nul ouvrage de cette envergure n’a été réalisé par aucun de ses successeurs.

Encore en 1967, et sur le plan médiatique, Mobutu dote la ville de Kinshasa de sa première station de télévision. Sur le plan économique, cette même année est marquée par une décision historique : Mobutu nationalise l’ancienne Union Minière du Haut-Katanga, entreprise clé du secteur extractif, et crée la Gécomines qui deviendra plus tard Gécamines, donnant ainsi à l’État congolais le monopole de l’exploitation des ressources minières du Katanga, auparavant sous contrôle des capitaux étrangers.

Toujours en 1967, il dote le pays d’une monnaie nationale, le Zaïre, fort symbole de la souveraineté économique du Congo.

Mobutu impose également le Congo sur le plan panafricain. Il fait construire cette même année la Cité de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), ancêtre de l’Union Africaine, et réussit avec succès l’organisation de la quatrième réunion des chefs d’État de cette organisation africaine, plaçant de ce fait le Congo, de façon prestigieuse, au centre de la diplomatie du continent.

L’année 1967 est également marquée par l’inauguration du camp Mobutu aux coquettes maisons pour les gendarmes dans la commune de Lemba.

Conscient de l’importance des infrastructures de transport pour le développement du pays, Mobutu crée la compagnie aérienne nationale, Air Congo, dotée de plusieurs appareils à réaction modernes de l’époque, facilitant les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur du territoire national. Il crée également la Compagnie maritime du Congo pourvue de plusieurs gros bateaux.

Le Congo est doté par la Providence d’énormes ressources minières. Mobutu estime que ces dernières ne doivent plus continuer à être exportées à l’état brut. Il fait construire la sidérurgie de Maluku, grande industrie où l’on travaille le fer et l’acier, donnant ainsi de la valeur ajoutée à leurs différents produits dérivés.

Avec l’objectif de neutraliser la rébellion de Jean Schramme qui occupe le Sud-Kivu, Mobutu fait construire l’aéroport de Kavumu qui est inauguré en 1967. Celui-ci permet d’y faire atterrir l’armement des forces armées congolaises qui auparavant transitait par l’aéroport rwandais de Cyangungu Kamembe. L’aventure du Belge a fini par être matée, la rébellion de Pierre Mulele également.

Les ambitions de Mobutu ne se limitent pas aux seuls aspects économiques. Il se préoccupe également de la promotion, de « l’émancipation » des femmes congolaises. Toujours la même année 1967, il fait entrer la première femme congolaise au gouvernement national, Sophie Kanza, comme ministre en charge des Affaires sociales. Il nomme aussi Catherine Nzuzi, première femme bourgmestre à la commune de Kalina, actuelle Gombe. Cette dernière sera ensuite successivement gouverneur de la région du Bas-Zaire (actuel Kongo-Central) et de la ville de Kinshasa. Madame Ida Ngele est également nommée bourgmestre de la commune de Mbandaka. Bien d’autres femmes sont promues à différentes et hautes fonctions.

Mobutu se préoccupe aussi de la promotion du sport, particulièrement du football. Tenant à doter le Congo d’une équipe nationale compétitive, il s’investit personnellement à faciliter le retour à Kinshasa de quelques joueurs congolais évoluant en Europe. Ils vont constituer la nouvelle équipe qu’il baptise « Léopards » qui permet au Congo de remporter sa première Coupe d’Afrique des Nations en 1968. Exploit sportif qui suscite une immense fierté nationale.

Dans sa volonté de faire connaître le Congo à travers le monde, Mobutu met en œuvre une stratégie de communication événementielle audacieuse. Il invite notamment la légendaire équipe brésilienne Santos, avec en son sein, le « roi » Pelé, le meilleur joueur du monde de l’époque, pour un match amical contre les Léopards à Kinshasa, offrant une visibilité médiatique mondiale au pays. Il fait également venir au Congo, en 1969, les trois astronautes américains qui sont les premières personnes à marcher sur la lune. L’organisation à Kinshasa du combat de boxe historique qui opposera en 1974 Mohamed Ali à Georges Foreman s’inscrit dans cette obsession de Mobutu de faire parler de son pays, de lui donner une grandeur internationale, une visibilité économique, touristique.

Pour ancrer durablement la présence du Congo sur la scène internationale et promouvoir ses atouts tant auprès des Congolais que des étrangers, il initie la construction du grand complexe de la Foire de Kinshasa où alternent annuellement des éditions internationale et nationale. La première édition de la Foire internationale de Kinshasa (Fikin) se tient en juillet 1969. Ces différentes éditions offrent des espaces d’échanges économiques, des expositions variées et un parc d’attractions pour le grand plaisir des visiteurs, habitants de la capitale et personnes qui y sont en séjour temporaire. La cité de la Fikin, avec ses immeubles d’appartements, est également construite.

À juste quatre ans, comme l’indique ce tableau de réalisations, Mobutu a non seulement défini les orientations philosophiques, politiques et économiques de sa vision pour le Congo, mais il les a surtout concrétisées par des actions d’envergure. Leur liste n’est pas ici exhaustive.

De 1970 jusqu’à son éviction du pouvoir en 1997, son empreinte s’est étendue à toutes les provinces du pays à travers des centaines de réalisations que je ne peux toutes énumérer ici, m’étant imposé la limite d’analyse des quatre premières années de sa présidence, comme annoncé à l’introduction de ma présente rédaction.

Laurent-Désiré Kabila, Joseph Kabila et Félix Tshisekedi ont sans doute également posé des actes importants durant leurs quatre premières années de gestion du pays. Mais en termes de vision et d’ampleur des réalisations, Mobutu se situe, avouons-le, à un niveau supérieur. Il est, je le redis, le meilleur, la « pointure au-dessus« . Pour tout ce qu’il a fait pour notre pays, et au-delà des rancunes personnelles et autres petites considérations sentimentales, la nation se doit de lui témoigner de la reconnaissance.

Wina Lokondo
17.4.2025

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