Agé de 46 ans, surnommé « l’enfant terrible de l’opposition radicale » au cours de la première moitié des années 90, Joseph Olenghankoy Mukundji n’a plus fait parler de lui depuis son éviction du gouvernement en 2005. L’homme assure avoir mis à profit ce temps « pour se réorganiser ». Cette interview a été enregistrée à la fin du mois de mai. Suite à des problèmes techniques, elle n’a pas été publiée plutôt. Dans l’entretien avec Congo Indépendant, le président des Fonus analyse la situation politique et sociale en RD Congo et les perspectives d’avenir. Notons que dans des interviews accordées à plusieurs médias, Olenghankoy a accusé les autorités congolaises d’avoir une « large part de responsabilité » dans la mort de Floribert Chebeya.
« Si Kabila rempilait pour un nouveau bail de cinq ans, on va assister à la disparition totale de l’Etat congolais »
Que faites-vous à Bruxelles?
Je reviens d’un voyage aux Etats-Unis. Je me suis arrêté à Bruxelles pour prendre quelques contacts.
Quel était le but de votre voyage aux Etats-Unis d’Amérique?
(Rires). Je suis un homme politique. A ce titre, je dois de manière permanente « réchauffer » mes relations avec des partenaires politiques.
Pourquoi avez-vous gardé un si long silence depuis votre départ du gouvernement en 2005?
La raison est simple. J’ai réalisé que nous avons mené un combat politique durant une vingtaine d’années sans atteindre nos objectifs. Nous avons passé le temps « à crier ». A tempêter. Sans résultat concret. J’ai mis à profit ce « long silence » pour procéder à une remise en question personnelle en me posant une question: Pourquoi mes « coups de gueule » et ceux de mes amis politiques ne nous ont-ils pas permis d’atteindre nos buts? Je me suis rendu compte que la population ne prend nullement plaisir quand nous passons le temps à crier. Ce qui intéresse la population c’est le résultat.
Vous avez pourtant atteint votre objectif dans la mesure où il y a eu changement de régime avec la chute du président Mobutu Sese Seko…
Je suis davantage vexé quand vous dites cela. Notre pays continue à vivre tous les aspects négatifs du « mobutisme sans Mobutu ». Sauf que sous Mobutu, il y avait un Etat et une identité citoyenne. C’est dans le domaine économique et des droits humains que Mobutu a failli.
Dans une interview accordée à la RTNC au lendemain de la prise du pouvoir par l’AFDL en mai 1997, vous avez déclaré que l’opposition intérieure avait fait le « gros du travail » en affaiblissant le pouvoir comme pour dire que les « libérateurs » n’ont fait que cueillir un fruit qui était déjà mûr. Vouliez-vous dire que l’AFDL a « volé » la vedette à l’ex-opposition radicale?
Je ne vois plus les choses sous cet angle. J’estime que toutes ces considérations doivent faire l’objet d’un inventaire qu’il importe de dresser. Il s’agit de trouver la réponse à notre incapacité à atteindre nos objectifs en dépit du soutien qui nous a été accordé par des millions d’hommes et des femmes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Voulez-vous dire que des erreurs ont été commises?
Enormément!
Quelles sont ces erreurs?
Je peux vous dire en ce qui me concerne que je me suis livré à une sorte d’introspection. Et je me suis rendu compte que nous avons emprunté le chemin opposé à celui de la conquête du pouvoir. Nous avons cru à tort que le populisme était la voie indiquée. En réalité, nous n’avions pas des structures de conquête du pouvoir.
L’UDPS et les Fonus n’étaient-elles pas des structures adéquates?
Je ne suis pas habilité à parler de l’UDPS. Je ne peux parler que des Fonus. Je persiste à vous dire que les structures de prise du pouvoir est une chose. Crier en est une autre. Nous n’avions pas des structures appropriées pour conquérir le pouvoir. Certes, nous avons gagné un combat. Car aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, nous sommes les architectes de l’établissement de « l’acte de décès » de la Deuxième République. Pour nous le changement ne se limite pas au remplacement d’un homme par un autre homme. Ce qui importe ce sont les efforts conjugués qui ont permis à notre pays de se doter d’une nouvelle Constitution.
Comment expliquez-vous que la Constitution à laquelle vous faites allusion n’ait pas empêché le chef de l’Etat à prendre le contrôle des trois Pouvoirs face à une opposition inexistante?
L’opposition n’est nullement inexistante! Je me suis replié justement pour procéder à l’inventaire de nos lacunes. En fait, nous étions trop loin des réalités pour répondre aux attentes de la population. La remise en question m’a été fort utile. Nous ne sommes plus dans un combat de libération contre la dictature. Aujourd’hui nous avons une Constitution qui a été approuvée par voie référendaire. Œuvre humaine, cette Loi fondamentale reste perfectible. Notre combat d’aujourd’hui doit avoir pour but la prise du pouvoir. Il faut mobiliser les « têtes pensantes » congolaises au plan national et international pour réfléchir sur des actions à mener pour améliorer la qualité de vie de la population. Et ce sur le plan économique, social, agricole etc. Il s’agit de présenter à notre peuple notre vision sociétale de demain. C’est fini l’époque où on ne proposait à notre peuple qu’à faire du chahut. Depuis quelques mois le PPRD de M. Kabila se livre à une politique-fiction appelée les « Cinq chantiers ». M. Kabila a donné un rêve de paradis à la population. Nous attendons la date d’entrée au paradis. Quand vous visitez aujourd’hui toutes les grandes villes congolaises, ce qui frappe ce sont ces grands posters placardés à certains carrefours. On y voit les projets à réaliser assorti de la photo de Kabila. Il n’y a rien du tout.
Les « kabilistes » clament pourtant que les « Cinq chantiers » sont en marche…
En fait, les « Cinq chantiers » se limitent à l’élargissement du boulevard du 30 juin. Les travaux devaient durer sept mois. Cela fait déjà plus de quinze mois. On dénombre 314 accidents de circulation dont 286 mortels. Les familles des victimes n’ont jamais été indemnisées. Comment peut-on parler de l’Etat dans un tel environnement? En dehors du boulevard du 30 juin, on assiste à la construction d’une prolongation de la clôture du palais du peuple. C’est cela qu’on appelle les Cinq chantiers. Voilà les conséquences de cette politique démagogique menée par Kabila et son groupe. Un exemple. La Constitution à laquelle Kabila a prêté serment prescrit que l’école primaire est obligatoire et gratuite. Quatre ans après, rien n’a été fait pour matérialiser cette volonté du législateur. Cette même Constitution parle du découpage territorial. Au moment où nous parlons, ce « Monsieur » paraît incapable d’opérer ce découpage. L’eau et l’électricité sont inclues dans les Cinq chantiers. Dans ma jeunesse, je n’ai jamais vu les habitants de la commune de la Gombe quitter leurs domiciles pour aller puiser l’eau ailleurs. Notre pays a fait un grand retour vers le Moyen Age. Même à l’époque de Mobutu, on n’a pas vu cela. On parle de coupures d’électricité en plein réunion du Conseil des ministres. Comment voulez-vous que les investisseurs créent des entreprises dont les machines ne peuvent fonctionner faute d’électricité? La ville de Kinshasa est complètement paralysée. Pendant que l’Etat va mal, les gouvernants prospèrent. Avant l’entrée en fonction de chaque ministre, les textes en vigueur exigent qu’il présente la liste des biens formant son patrimoine. Les documents que nous détenons en commençant par lui-même Kabila, c’est incroyable.
Que voulez-vous dire par « incroyable »?
Je veux parler des fortunes personnelles détenues par ceux qui nous gouvernent. Les gouvernants en place ont acheté des biens immobiliers un peu partout au Congo et aux quatre coins du monde. Un exemple banal. Tout voyageur en partance pour l’étranger doit acquitter une taxe dite « go pass » d’un montant de cinquante dollars. Les voyageurs du réseau « domestique » sont tenus de payer la somme de 10 dollars. Cela fait deux ans que cette taxe est perçue. Personne n’a jamais publié la comptabilité de cette imposition. Où va l’argent perçu? Réponse: « c’est pour construire le salon d’honneur pour le président de la République ». Une situation inimaginable dans un pays où la situation sociale est devenue grave. Et que le taux de divorce est de plus en plus élevé à cause de la pauvreté. Les parents ont perdu l’autorité sur les enfants à cause de la misère ambiante. Comment peut-on exiger le paiement d’une telle taxe uniquement pour embellir le salon destiné à un homme ainsi qu’aux membres de sa famille?
Etes-vous entrain de démontrer que Kabila à échouer?
Echouer, je ne dirai pas. Quand on parle d’échec dans un processus, cela suppose qu’on a fait la balance entre les objectifs initiaux et les résultats obtenus. Ici, il n’y a même pas de comptabilité. L’exemple le plus frappant est le non-respect de l’exécution du budget de l’Etat voté pourtant par le Parlement. En attendant, on nous rabat les oreilles avec les fameux « Cinq chantiers » qui sont devenus un fourre-tout où sont inclues même les infrastructures remises en état grâce aux financements de l’Union européenne. C’est le cas des travaux effectués dans plusieurs communes de la capitale. C’est de la politique-fiction! J’ai constaté que toutes les personnalités politiques du pays sont devenues des hommes d’affaires. On assiste ainsi à la fin de la République laquelle est censée protéger les intérêts des citoyens et ceux des opérateurs économiques. Comment peut-on expliquer qu’un membre du gouvernement construise un immeuble à plusieurs étages en l’espace de six mois? Je voudrais épingler ici un autre élément important. Le peuple congolais est un peuple sans « identité ». Cela fait bientôt dix ans que Joseph Kabila est à la tête de l’Etat sans compter les trois années de pouvoir de Laurent-Désiré Kabila. Durant dix ans, ce pouvoir s’est montré incapable de doter les citoyens d’une carte d’identité.
A quoi cela est-il dû, selon vous?
Plusieurs Congolais expulsés dans certains pays ne peuvent même pas prouver leur « identité citoyenne ». Aujourd’hui, on parle d’un nouveau passeport. Je suis désolé de vous dire que ce nouveau document n’a été conçu que dans l’objectif de récolter de l’argent. Il en est de même de la nouvelle plaque d’immatriculation. C’est finalement du rançonnement!
Certains « kabilistes » pourraient objecter que vous n’auriez pas tenu un tel discours si vous étiez encore au gouvernement…
Ceux qui me connaissent savent mon attachement à la vérité. Je ne crois pas qu’un « kabiliste » qui se réclame de Laurent-Désiré Kabila aurait pu faire cette réflexion. On peut l’aimer ou ne pas l’aimer, Laurent-Désiré Kabila a essayé de mettre ce pays sur le rail. La manière dont la RD Congo est dirigée aujourd’hui n’a aucun rapport avec le « kabilisme » de Kabila père. On assiste au délitement de l’Etat congolais. Le « kabilisme A » de LD Kabila n’a aucune similitude avec le « kabilisme B » du pouvoir actuel.
Joseph Kabila paraît malgré tout décidé à rempiler. Qu’en pensez-vous?
C’est bien cette réalité qui me fait dire que le Congo ne souffre pas que d’une crise économique. Ce pays souffre d’une crise morale. Une crise d’hommes. Les hommes politiques congolais ne cherchent pas le pouvoir, cette force au service d’une idée. Ils cherchent l’argent. Bref, c’est la « politique du ventre ». Qui va dès lors s’occuper de l’intérêt général? Un politicien est à mon sens un homme de convictions. Je ne dirai même plus: un politique doit être un « esclave » de ses convictions. Un politicien ne doit pas servir un individu. Il est au servir d’un idéal.
A propos d’idéal, quelles sont les valeurs qui guident votre action politique?
J’aime défendre des valeurs républicaines. Je considère que l’avènement d’institutions fortes en lieu et place d’hommes forts demeure la condition fondamentale pour faire triompher ces valeurs. La « République » a cessé d’exister dans notre pays depuis que personne ne respecte l’architecture de l’Etat. Le Congo a fait un grand bon en arrière.
Que faire?
Depuis mon départ du gouvernement, j’ai observé. J’observe depuis quatre ans. Je ne crois plus que Joseph Kabila dispose des ressources pour relever la République démocratique du Congo. Je ne dis pas qu’il n’a pas la volonté de le faire. En fait, il n’est pas l’homme qu’il faut pour assumer cette lourde charge.
Qu’est ce qui lui manque, selon vous?
C’est une question très pertinente. Sauf qu’il n’y a que le Bon Dieu qui pourrait sonder son cœur pour connaître les raisons qui l’empêchent à redresser ce pays. J’ai du mal comprendre que le Congo soit dans l’état misérable dans lequel il se trouve avec tous les atouts dont il recèle. Joseph Kabila a assumé concomitamment la présidence de deux organisations régionales africaines. A savoir: la SADC et la CEEAC. Quel en a été l’impact pour le Congo?
C’était pourtant des occasions privilégiées pour permettre à notre pays de faire entendre sa voix. J’estime en définitive que la gestion d’un Etat est une charge bien trop lourde pour l’actuel président de la République. Il devrait en son âme et conscience reconnaître son échec et se mettre à l’écart et laisser les citoyens se choisir un nouveau chef de l’Etat. Si Kabila rempilait pour un nouveau bail de cinq ans, ce sera la disparition totale de l’Etat congolais.
Que proposez-vous?
Les Congolais doivent prendre conscience de cette situation. Force est de constater malheureusement que les Congolais sont les premiers à ne pas prendre leur destin au sérieux. Ils attendent que d’autres peuples le fassent en leur lieu et place. Lorsque vous échangez avec des concitoyens, il n’est pas rare d’entendre des questions du genre: « Que pensent les Américains de la situation au Congo? »; « Qu’en est-il des Belges? »; « Et les Français… » etc. Comme vous pouvez le constater, notre peuple a encore un long chemin à parcourir pour s’approprier son avenir. C’est une opportunité que votre journal me donne pour congratuler la diaspora congolaise pour le travail abattu jusqu’ici. Je ne peux qu’encourager cette diaspora de se mobiliser pour les consultations politiques de 2011 et de bannir toute considération sentimentale. L’heure est venue pour sauver notre patrie. La diaspora congolaise joue un rôle social non négligeable à travers les transferts d’argent que ses membres font quotidiennement en faveur des parents restés au pays. Je tiens à vous dire que le silence observé par l’opposition au lendemain des élections de 2006 ne doit pas être interprété comme un signe de mollesse. Pas du tout. Démocrate, l’opposition s’est inclinée pour laisser travailler les nouveaux élus.
Quels sont vos projets d’avenir?
Mes projets d’avenir tournent autour de ma vision sur la gestion de notre pays. Je vous fournirai des plus amples détails au moment opportun. En attendant, je dois vous dire que je ne partage pas les priorités du programme de Kabila dans le cadre des « Cinq chantiers ». J’estime pour ma part, l’être humain doit boire et manger. Ce sont là deux choses vitales pour l’homme en général et la population congolaise en particulier. Ce sont les hommes qui doivent utiliser les infrastructures. Raison de plus pour donner priorité à la satisfaction des besoins existentiels. Toute ma philosophie politique est basée sur le social. Si j’étais aux affaires, mon ambition serait de développer l’agriculture pour réduire la dépendance de notre pays. Vous le savez autant que moi que plus de 90% de produits consommés au Congo viennent d’ailleurs. Nous avons besoin des routes. Je donnerai priorité aux routes de desserte agricole. Autrement dit, le social et l’agriculture constituent les deux axes de ma vision politique.
Si je vous comprends bien, vous serez candidat à la prochaine élection présidentielle…
Sans aucun doute. J’ai consacré plusieurs années de ma jeunesse au combat politique. Je n’entends en aucun cas baisser les bras. Je suis un « candidat permanent » et je m’organise en conséquence.
Avez-vous des contacts avec M. Etienne Tshisekedi?
J’ai des contacts avec M. Etienne Tshisekedi. Comme vous le savez, j’ai beaucoup de respect pour cette personnalité. Etant donné qu’il est en convalescence, j’évite de l’aborder sur la situation du pays. Il est très sensible sur ce qui se passe au Congo. Tout le monde l’a vu fondre en larmes lors de l’office religieux organisé à l’occasion du 18ème anniversaire de la marche des chrétiens du 16 février 1992.
Un dernier mot?
Je voudrais inviter les Congolais à se mobiliser. A l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
En faisant quoi précisément?
Les Congolais doivent se mobiliser pour se réapproprier leur destin. Joseph Kabila ne dirige pas des animaux. Il dirige des hommes. Il gère un pays. Il a reçu un mandat de cinq ans. A partir du moment où nous constatons qu’il n’y a pas de résultats à la hauteur des attentes au bout de ce mandat de cinq ans, la population doit faire abstraction de toute considération sentimentale. La population doit être objective dans son jugement. Nous devons prendre notre pays en mains.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi