La nouvelle de l’interpellation du journaliste Stanis Bujakera est tombée dans la soirée de vendredi 8 septembre. Que reproche-t-on au directeur de publication adjoint du très sérieux ACTUALITE.CD et correspondant du magazine Jeune Afrique et de l’Agence Reuters? Selon des informations parcellaires, il serait le concepteur du prétendu « rapport de l’ANR » accusant l’ex-Demiap d’avoir ôté la vie à l’ancien ministre et député national Cherubin Okende Senga.
Kinshasa. Hôtel Pullman. Vendredi 20 janvier 2023. Le journaliste Stanis Bujakera est à l’honneur. Il reçoit, des mains du professeur Jean-Chrétien Ekambo Duasenge, ancien recteur de l’IFASIC, le trophée « Muana Mboka » en reconnaissance de « son remarquable travail journaliste », écrit ACTUALITE.CD.
Kinshasa. Vendredi 8 septembre 2023. Aéroport de Ndjili. « Stanis » est arrêté dans la soirée au moment il s’apprêtait à prendre un vol à destination de Lubumbashi. Il a été interpellé par deux officiers de police judiciaire et conduit à l’inspection générale de la police, indique un communiqué du média précité qui « condamne fermement la pression indue exercée sur les professionnels des médias et demande sa libération immédiate ».
Le journaliste Bujakera est admiré pour son indéniable talent. Plus à raison qu’à tort, on entend dire que l’homme fréquente plutôt assidûment le « clan kabiliste ». Il s’affiche souvent dans des manifestations privées organisées par l’ex-couple présidentiel. Dans le camp du pouvoir fatshiste, on éprouve à son égard un sentiment d’admiration-répulsion. Admiration parce qu’il « sent et traque l’information », dixit ACTUALITE.CD. Répulsion, parce qu’il est suspecté de « partialité » voire de manipuler l’info tant au profit de l’ex-raïs que de certains bonzes de l’Opposition. Moïse Katumbi Chapwe, en tête.
L’IMPAYABLE « PAPA MOLIÈRE »
De quoi s’agit-il?
Le vendredi 4 août dernier le député national Léon Nembalemba est l’invité de Paulette Kimuntu dans son émission « Asololi ». Réputé fantasque et d’une légèreté frisant l’immaturité, « Papa Molière », comme l’appelle le Tout-Kinshasa, commence par « proclamer » ses « relations d’amitié » avec l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi. Sans que la journaliste le lui demande, il explique: « Moïse Katumbi m’avait envoyé 10.000$ quand j’étais hospitalisé ». Voulait-il s’acquitter d’une dette?
Abordant la question relative à la mort de Cherubin Okende, Nembalemba lance: « Ce sont les ‘services’ qui l’ont assassiné! ». Pas un mot sur le mobile. Il traduit en Lingala: « Ba-services babomi ye! ».
Convoqué le lendemain par les autorités judiciaires afin de fournir de plus amples explications, l’impayable « Papa Molière », rétorque: « Elles me convoquent pour m’ôter la vie comme elles ont fait à mon frère Cherubin… ».
Mardi 5 septembre, le magazine parisien Jeune Afrique entre dans la danse en reprenant les « révélations » de Léon Nembalemba. Cette fois-ci dans un style plus journalistique, plus sophistiqué.
On y apprend que cette publication panafricaine aurait eu (c’est nous qui usons du conditionnel) accès à une note confidentielle datée du 14 juillet que le département de la sécurité intérieure adressait à l’Administrateur général de l’ANR (Agence nationale de Renseignements). Pour l’essentiel, la note indique que « Cherubin » aurait été tué par « étouffement » par des agents de l’ex-Demiap.
L’ANR « ACCUSE » L’EX-DEMIAP
En français facile, l’ANR, dans une sorte de guerre des services, accuse les agents de l’ex-Demiap d’avoir assassiné Okende. Cette version est aussitôt relayée par RFI, TV5 Monde et France 24. En guise de mobile du crime, le fameux rapport fait allusion à un conflit immobilier qui aurait opposé l’ancien ministre à un membre du cabinet du chef de l’Etat. Qui? Silence radio.
Le problème est que Stanis Bujakera est notoirement connu comme étant le correspondant de Jeune Afrique au Congo-Kinshasa. Tous les regards se sont tournés vers lui. Il faut reconnaitre que ce n’est pas la première fois que ce journaliste est suspecté « d’arranger » parfois les faits et les opinions de manière tendancieuse.
Depuis vendredi 8 septembre, Bujakera est auditionné à l’inspection générale de la police. « Journaliste chevronné, Stanis Bujakera ne pouvait ignorer qu’on ne touche pas impunément à la probité des services de renseignements tant civils que militaires. Quiconque qui ose est assimilable à un subversif voire un espion », commente un officier de renseignements. Pour le moment, « Stanis » est poursuivi pour « propagation de fausses nouvelles ».
SERVIR L’INTERET PARTICULIER SANS DESSERVIR L’INTERET GENERAL
Sur les réseaux sociaux, les Twittos exigent en chœur « la libération immédiatement et sans condition » de Bujakera. Thomas Fessy de Human Right Watch (HRW) de rappeler que « le journalisme n’est pas un crime! ».
C’est le lieu de faire une petite autocritique. Les journalistes congolais aiment crier haut et fort qu’ils ont effectué cinq années d’études à l’IFASIC (Institut facultaire de science de l’information et de communication). Selon eux, ils n’ont plus rien à apprendre dans ce métier. Erreur. La grande majorité de « grandes plumes » congolaises, comme on les appelle dans l’ex-Zaïre, accuse un déficit en matière de déontologie et de l’Ethique.
Dans leur ouvrage « Principes du journalisme » publié aux éditions Gallimard, Bill Kovach et Tom Rosenstiel, notent à la page 43 ce qui suit: « La mission première du journaliste est toujours de vérifier l’information ». « La Charte d’Ethique mondiale des journalistes » d’enchainer à son point 3: « Publier seulement les informations dont l’origine est connue ». Dans son livre « Le guide de l’écriture journalistique », le professeur Jean-Luc Martin-Lagardette abonde dans le même sens: « La responsabilité éthique. L’information, si elle peut servir des intérêts particuliers, ne doit pas desservir l’intérêt général ».
Depuis une cinquantaine de jours, le corps sans vie de Cherubin Okende se trouve toujours à la Morgue de l’hôpital du Cinquantenaire. Qui a tué cet homme paisible qui ne dérangeait personne? A en croire la famille du défunt, celui-ci n’était plus en odeur de sainteté dans le parti « Ensemble ». Il semble bien qu’il était suspendu de ses fonctions de porte-parole. Quelqu’un a-t-il voulu faire taire ce brillant juriste avant qu’il ne divulgue ce qu’il savait?
Fatiguée d’attendre les réponses à toutes ces questions, la veuve Okende et ses enfants ne demandent qu’une chose: prendre possession de la dépouille pour procéder à l’inhumation.
B.A.W.