Depuis quelques semaines, le franc congolais connaît une dépréciation face au dollar américain. Cela fait pourtant plusieurs années que le franc est resté stable. Le dollar américain s’échangeait contre 2.000,00 francs sur le marché parallèle, qui est l’indicateur de référence. Subitement, le dollar est passé dans une fourchette allant de 2.150 à 2.500 francs. Il s’échange actuellement à 2.200 francs. Mais sur le marché officiel, le dollar se négocie, au 10 mars, contre 2.037,9 francs. Étant donné qu’il existe un lien mécanique entre le taux de change et l’inflation, les prix des produits de première nécessité ont pris l’ascenseur. Ce qui ravive les tensions sociales à cause de la baisse du pouvoir d’achat de la population. Ainsi cette hausse des prix vient s’ajouter à l’inflation importée; générée par la guerre en Ukraine à partir de février 2022. Généralement, le premier trimestre de l’année se traduit par des déficits budgétaires. Ce n’est qu’après que les recettes budgétaires commencent à augmenter suivant la courbe de Gauss. L’année 2023 n’y a pas échappé. Les émissions monétaires qui en résultent provoquent la dépréciation de la monnaie. La situation actuelle est aussi imputable à des phénomènes de spéculation et d’anticipation par suite de la politique de la Banque centrale du Congo visant à dédollariser l’économie. Certains paiements qui étaient jusques là effectués en dollars américains l’ont été en francs congolais. Les bénéficiaires de ces paiements en monnaie locale se sont rués sur les devises étrangères provoquant ainsi un déséquilibre sur le marché des changes. La loi de l’offre et de la demande jouant, le franc a connu une dépréciation face au dollar américain.
À la suite de la hausse des prix des carburants à la pompe et de la dépréciation du franc, le gouverneur de la Ville de Kinshasa, M. Gentiny Ngobila a publié vendredi 10 mars, une nouvelle grille tarifaire des transports urbains. Le tarif de certains trajets passe officiellement du simple au double. Mais de manière générale, cette augmentation est de 10%, bien en deçà des attentes des transporteurs. Ce qui ne manquera pas d’entraîner des répercussions sur l’inflation. Celle-ci est projetée à 9,7% en 2023 contre 13,2% en 2022. Au rythme actuel de la formation des prix, cet objectif d’inflation en 2023 pourrait être complètement dépassé. Les risques d’une inflation à deux chiffres planent donc sur le pays. Ces risques sont d’autant grands que l’année 2023 est proclamée celle des élections. L’argent en espèces va beaucoup circuler durant les campagnes électorales et accroître la demande de biens et subséquemment des devises. Pour des visées électoralistes, le gouvernement pourrait aussi ramollir face aux revendications salariales des fonctionnaires et agents de l’Etat. Suivant la BAD (Banque africaine de développement), les élections de 2023 devraient augmenter les dépenses publiques et creuser légèrement le déficit budgétaire. La valeur du franc congolais va diminuer comme la quantité des billets en circulation augmente. L’instabilité sécuritaire dans l’Est du pays pourrait amener les opérateurs économiques à faire de moins en moins confiance en l’avenir du pays et à ralentir leurs investissements. Si les conditions sécuritaires continuaient à se détériorer, ils vont davantage recourir à la spéculation et à des anticipations qui vont à leur tour alimenter la dépréciation monétaire et l’inflation.
Les conséquences de la dollarisation de l’économie congolaise
Le dollar américain est omniprésent dans toutes les transactions. Les prix sont affichés en dollars, les guichets automatiques des banques distribuent de préférence les dollars, les frais scolaires sont libellés en dollars. Il en est de même des loyers, des prix des maisons, des salaires, des frais d’hôtel et de restaurant etc. La dollarisation a été une réponse spontanée à l’hyperinflation et aux politiques budgétaire et monétaire chaotiques des années 1980-1990. C’est l’époque de la rareté des signes monétaires (billets de banque en monnaie locale), des pyramides financières appelées BINDO, de l’émission des vrais-faux billets de banque, des pillages des industries et des commerces et de la criminalisation de l’économie. Une forte dollarisation de l’économie comme celle que nous subissons recèle des inconvénients. Elle limite la portée des actions de la Banque centrale du Congo. La transmission du taux d’intérêt directeur est diluée comme la majeure partie de l’intermédiation se fait en dollars. Les dépôts bancaires en monnaie étrangère représentent plus de 80% du total des dépôts bancaires et plus de 60% de la masse monétaire. Ces chiffres ne prennent pas en compte les billets étrangers en circulation et hors circuit bancaire, ce qui conduit en fait à une sous-estimation de la dollarisation.
Les niveaux élevés de dollarisation signifient la perte de marges de manœuvre en termes de politique monétaire, la dépendance excessive à l’égard des réserves en devises étrangères pour maintenir la stabilité monétaire et bancaire ainsi que la perte des revenus de seigneuriage. En d’autres termes, du fait de la dollarisation excessive de l’économie, la politique monétaire de la Banque Centrale du Congo a une portée limitée. Elle s’exerce sur moins de 30% de la masse monétaire en circulation. La banque centrale ne peut pas non plus jouer son rôle de prêteur de dernier ressort comme les dépôts sont effectués principalement en devises étrangères. Battant la monnaie, elle ne bénéficie pas non plus des droits de seigneuriage importants, à savoir les revenus provenant de la différence entre la valeur de l’argent et son coût réel de fabrication. Enfin, la dollarisation rend les réserves en devises plus vulnérables aux fluctuations de certaines dépenses, soit par le canal de la conversion de la monnaie locale en devises, soit à travers les transferts de dépôts à l’étranger. Des actions doivent être entreprises pour inciter les résidents à détenir les actifs financiers en franc (dédollarisation financière). Il faut aussi prendre des décisions d’utiliser le franc comme unité de compte dans toutes les transactions officielles (dédollarisation réelle).
Vivement des réformes
A l’instar de la plupart des pays africains, le Congo doit privilégier l’utilisation de la monnaie nationale dans les transactions courantes au lieu du dollar américain. Il y a quelques années, le FMI recommandait de concentrer les efforts sur la réalisation des conditions préalables à la dédollarisation, à savoir: (i) maintenir la stabilité macroéconomique et relever la couverture des réserves internationales afin de renforcer la crédibilité de la monnaie; (ii) préciser que l’objectif principal dans le cadre de sa mission est le maintien de la stabilité des prix; (iii) recapitaliser la Banque centrale du Congo et en rétablir l’indépendance et la responsabilité opérationnelles; (iv) faire adopter la loi bancaire, afin de définir précisément le cadre légal et réglementaire du secteur; et (v) renforcer l’infrastructure financière actuelle, notamment le cadre de la supervision, les systèmes de paiements et les filets de sauvegarde.
Des mesures budgétaires et monétaires sont nécessaires pour renforcer la stabilité du taux de change. Les politiques classiques porteront sur l’intervention de la Banque centrale sur le marché des changes avec le risque d’amenuiser les réserves de change. Il y a aussi le relèvement du taux directeur ainsi que l’élargissement des fourchettes d’appels d’offre des bons BCC. La question est de savoir si ces instruments sont efficaces dans une économie fort dollarisée. Quant au gouvernement, il devra poursuivre les efforts de mobilisation des recettes budgétaires. Si la dépréciation de la monnaie continue, la population qui est déjà appauvrie, verra sa misère s’accroître. L’effet mécanique des déficits budgétaires et des émissions monétaires sur un marché financier aussi étroit est à redouter. Le degré d’ouverture de l’économie doit aussi diminuer. Le pays dépend des importations pour satisfaire la demande locale. Et pourtant, le développement économique durable du pays est impossible sans une industrie nationale. Le pays pourrait connaître un taux de croissance de 8,0% en 2023 contre une estimation de 8,5% en 2022 grâce essentiellement au secteur minier. Cette croissance aurait pu être plus forte si les autres secteurs étaient aussi dynamiques.
La production manufacturière locale doit être favorisée au détriment des Importations qui nécessitent des devises. Cela demande évidemment des réformes. Le pays doit se doter des infrastructures viables, un bon climat des affaires ainsi qu’une justice qui protège les citoyens et qui offre des garanties aux investisseurs. Il est déplorable de constater que le Congo qui était, en 1960, le pays le plus industrialisé d’Afrique après l’Egypte, est à la traîne aujourd’hui. Le pays se retrouve aujourd’hui, selon la BAD, à la 16ème place du classement des économies africaines les plus industrialisées en 2022. Avec un score de 0,84 sur 1, l’Afrique du Sud reste le pays africain le plus industrialisé, suivi par le Maroc (0,83) et l’Egypte (0,78), tandis que le top 3 des économies les moins industrialisées du continent est composé de la Gambie (0,3455), du Burundi (0,3483) et de la Guinée-Bissau (0,3663). La BAD appelle les pays à adopter « des politiques industrielles plus proactives pour favoriser la croissance dans les secteurs les plus prometteurs ».
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Gaston Mutamba Lukusa