Licencié en sciences politiques et administratives et détenteur d’un diplôme post-universitaire en Management des pouvoirs locaux, Athanase Mapessa est un homme qu’on ne présente plus dans la diaspora congolaise de Belgique. Ancien chef de division commerciale et du service de gestion du parc containeurs à l’ex-Compagnie maritime zaïroise à Anvers, « Athanase » se lance, dès fin 1998, dans le militantisme politique. La dérive dictatoriale du régime AFDL lui a servi d’élément déclencheur. En 2005, il adhère dans l’Apareco créée par Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba, l’ancien conseiller spécial du maréchal Mobutu en matière de Sécurité. En 2015, il rejoint l’ECIDé avant de porter, en 2022, la casquette de coordonnateur interfédéral du Mouvement citoyen « Appel patriotique Belgique ». Qu’est ce qui fait courir Athanasse Mapessa? INTERVIEW.
Vous avez été un agent de la Compagnie maritime zaïroise (ex-CMZ) à Anvers. Comment avez-vous vécu le changement de régime intervenu le 17 mai 1997?
Je n’ai jamais envisagé de me lancer un jour dans le militantisme politique. Au mois de novembre 1998, le président Laurent-Désiré Kabila, au pouvoir depuis le 17 mai 1997, effectue sa toute première « visite de travail » en Belgique. Avant l’arrivée du chef de l’Etat, le ministre des Transports et communications de l’époque, l’autorité de tutelle, enjoint au directeur Zegbe – qui était le représentant de la CMZ en Belgique – de céder son poste à un agent contractuel que la représentation avait embauché avant de le former sur le tas. L’agent dont question était natif du Katanga. La passation de pouvoir devait avoir impérativement lieu avant l’arrivée du président LD Kabila.
Comment avez-vous vécu cette situation?
Très mal! C’était un très mauvais signal. Quelques années après, la société est tombée en faillite. Le « nouveau directeur » nous a remis nos lettres de licenciement. Un licenciement pour le moins abusif dans la mesure où nous avons été engagés à Kinshasa. L’employeur devait nous rapatrier. En 2003, je me suis rendu à Kinshasa sans pouvoir rencontrer une autorité capable de résoudre le problème. A mon retour en Belgique, je me suis dit que la situation de mon pays était assimilable à celle d’une « personne en danger ». Ne pas agir équivaudrait à une « non-assistance à personne en danger ».
Votre licenciement abusif a manifestement servi d’élément déclencheur de votre entrée descente dans l’arène politique…
Absolument!
En 2005, vous adhérez à l’Apareco (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo), de l’ancien conseiller spécial Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba. Quelles sont les valeurs qui avaient motivé votre choix?
La « refondation »!
Comment définissez-vous ce concept?
C’est un profond changement de paradigme de gouvernance.
Cette définition paraît aisée pour les intellectuels. Que devrait retenir le citoyen lambda?
Il s’agit de changement du système de gestion des affaires publiques.
Un exemple?
L’électricité est un bien primordial. J’estime que la fourniture de ce bien doit revenir à ce qu’on appelle en Belgique les « Intercommunales ». Il en est de même de la distribution l’eau. [En droit administratif, l’intercommunalité est une mutualisation des services publics entre plusieurs communes, Ndlr]. A titre d’exemple, le représentant de chaque commune kinoise devrait siéger dans le conseil d’administration de la SNEL (Société nationale d’électricité). Ces autorités locales sont mieux placées que quiconque pour connaitre les besoins de leurs administrés. Il faudrait les impliquer dans les services publics ayant pour mission la satisfaction des besoins sociaux de base. Il en est de même des infrastructures routières. Ces mêmes autorités sont mieux placées pour connaitre les véritables attentes de leur population en termes notamment de route. L’objectif ici est d’instaurer un véritable pouvoir de proximité.
En 2013, vous claquez la porte de l’Apareco. Pourquoi?
Une divergence au niveau de valeurs. Il y a eu, au total, trois incidents. Premier incident. J’assumais les charges de secrétaire national chargé de l’Economie et des finances. [Paul] Kagame séjournait en France. Il devait être reçu par le patronat français. Au nom de l’Apareco, je fus chargé de rédiger une lettre demandant au staff dirigeant du Medef de boycotter le dirigeant rwandais. Une telle correspondance ne pouvait naturellement pas être expédiée sans la décision finale du Président national. Je recevrai, en retour, un texte qui n’avait rien avoir avec le projet initial. A ma grande surprise, le projet de lettre est devenu un banal article à publier sur le site Internet de l’Apareco. Et ce sous la signature de la chargée de la Communication.
Faites-vous allusion à la dame Candide Okeke?
Effectivement! J’étais choqué. Je me suis interrogé sur l’objectif poursuivi. Deuxième incident. Le « Vieux » [Honoré Ngbanda Nzambo ko Atumba, Ndlr] aza na sé ya mayi. Traduction non-officielle: « il reste dans l’ombre ». Nous avons tenu une « réunion Skype » avec les autres secrétaires nationaux du parti. Il a été décidé d’élaborer un Memo destiné aux Nations unies. A l’époque, c’est Abraham Lwakabwanga qui représentait l’Apareco aux Etats-Unis. Le document final nous était revêtu de la signature du secrétaire général adjoint d’alors, Paul Akanga Gbula. Nous n’avons reçu aucune explication.
Etes-vous en train de dire que le débat était absent au sein de l’Apareco?
Je n’irai pas jusque-là. C’est un fait. Troisième incident. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il y avait un « dossier » en préparation. C’est le « Traité de Nice ». L’Apareco y fut représentée par son secrétaire général Faustin Shungu.
Faustin Shungu avait-il reçu mandat pour représenter l’Apareco dans ce « Traité »?
Oui! J’étais en possession de toutes les informations. Nous savions que des négociations étaient en cours.
Selon des informations parcellaires, les initiateurs du fameux « Traité de Nice » étaient disposés à soutenir financièrement la « Résistance congolaise » en vue de renverser le régime de « Joseph Kabila ». Et qu’en contrepartie, les « résistants » devaient concéder au « Traité » un bail emphytéotique sur l’île de Mateba au Kongo Central. Qu’en dites-vous?
C’était écrit noir sur blanc dans le « Traité ». François Mpuila représentait l’UDPS. Le secrétaire général Faustin Shungu représentait l’Apareco.
Il s’agissait apparemment d’une affaire de gros sous…
Les réunions se tenaient dans un hôtel de luxe à Nice. Tout un étage fut réservé pour les participants au « projet Traité de Nice ». Les délégations y étaient logées. Un jour, à ma grande surprise, je suis tombé sur un article du quotidien Nice-Matin qui révélait le pot aux roses. « L’avenir du Congo viendra de Nice », pouvait-on lire. On apprenait que le « Traité » avait été signé un certain 18 février… [2013, Ndlr]. Un jour, le secrétaire général Shungu convoque une réunion de l’exécutif de l’Apareco dans son bureau à Paris. Nous étions tous-là! Je lui ai posé la question sur l’article paru dans Nice-Matin. Contre toute attente, c’est le vice-président de l’Apareco [Ndala wa Ndala, Ndlr] qui me répond. Il représentait le Président national Honoré Ngbanda.
Et alors?
Le secrétaire général Shungu a, par la suite, brandi un exemplaire signé dudit Traité. « Effectivement, le Traité a été signé, il y a quelques jours seulement. Mais je ne peux pas vous le montrer. Je réserve la primeur au Président national », dira Shungu.
Qu’attendiez-vous personnellement de ce « Traité »?
Que recherchions-nous? Nous recherchions le Changement. Si réellement ce traité était signé et que l’Apareco devait s’impliquer, cela aurait été bénéfique pour le pays. Dans le procès-verbal de la réunion précitée, il est écrit que « le secrétaire général nous a montré le traité signé ». Une année après, j’apprendrai que les « services » de l’Apareco ont intercepté le Traité de Nice. Et que le secrétaire général Shungu y aurait apposé sa signature « à l’insu du Président national ». Cette nouvelle m’a révolté quand je pense aux sacrifices consentis par Faustin Shungu après son adhésion à l’Apareco. J’ai essayé d’obtenir une explication. En guise de réponse, je n’ai reçu que des menaces.
Qui vous a menacé?
Je ne sais pas… « On » m’a dit de faire attention et de ne plus insister…
En 2015, vous voilà au parti ECIDé. Quelles sont les valeurs qui vous ont poussé à rejoindre Martin Fayulu Madidi?
Il s’agissait non pas d’une affiliation mais plutôt d’un « partenariat ». L’Engagement Citoyen pour le Développement nous a attirés à cause des valeurs chrétiennes qu’il défendait.
« Frère » Honoré Ngbanda le faisait également…
Oui! Sauf que je vis ma foi chrétienne. Je ne suis pas en train de dire que suis devenu parfait. Je m’efforce de conformer mes actes à mes convictions.
Quelle a été la cause de votre rupture avec « Martin »?
Après l’investiture de Tshilombo…
Les Congolais savent que Felix Tshisekedi s’appelle également Tshilombo. En tant que républicain, ne serait-il pas bienséant de parler de « président Felix Tshisekedi Tshilombo »?
Ça passe mal!
Est-ce l’expression d’une « contestation »?
Effectivement! Je ne peux pas cautionner la tricherie. Je ne partage pas ce mode d’accession au pouvoir.
Revenons à votre départ de l’ECIDé…
Après l’investiture de Tshilombo, nous – les cadres de l’ECIDé de la diaspora – avons tenu une réunion afin de procéder à une évaluation objective autour de trois questions: 1- Nous avons perdu les l’élection présidentielle. 2- En tant que cadres du parti, étions-nous prêts à exercer le pouvoir d’Etat? 3- Que faire pour améliorer la situation du parti? Nous sommes arrivés à la conclusion que « les cadres du parti n’étaient pas préparés à exercer le pouvoir ». Nous avons pris la résolution de former les cadres issus de la diaspora congolaise de sorte que notre parti soit mieux préparer à exercer le pouvoir en 2023. Nous avons proposé au Président national quelques réformes au niveau du Règlement d’ordre intérieur de l’ECIDé pour permettre à la diaspora de résoudre des problèmes spécifiques.
Quelle a été la réaction de Martin Fayulu?
Il nous dit de lui laisser le temps de soumettre la question au bureau national. Depuis 2020, nous attendons toujours la réponse du bureau national. Le 13 avril 2022, je reçois un coup de fil d’une parisienne, membre de l’ECIDé/France. Elle m’envoie une affiche au nom de l’Afec (Association des femmes de l’ECIDé). C’est une des structures du parti. Je constate que le responsable de l’ECIDé/France n’était pas au courant de cette activité. J’ai conseillé à l’initiatrice de celle-ci d’entrer en contact avec le numéro un du parti en France. La dame s’est mise à m’insulter. Selon elle, elle dépend de la direction de l’ECIDé à Kinshasa. Trente minutes après, c’est au tour du président Fayulu de m’appeler. Il est furieux. Je vous passe les détails. « Si c’est comme ça, vous ne vous occuperez plus de l’ECIDé extérieur », conclut-il. Je lui ai demandé de me notifier sa décision. Il fulmine: « Je n’ai rien à notifier ». A Kisangani, le congrès de l’ECIDé a renvoyé à plus tard toute modification des Statuts soit lors du prochain congrès prévu en 2027. Le 15 août 2022, j’ai pris mes cliques et mes claques.
Que répondrez-vous à ceux qui pourraient dire que « vous êtes le problème… »?
C’est possible! Mais aussi longtemps que certaines valeurs – dont un minimum de considération à l’égard des membres du parti – ne seront pas observées, c’est non-négociable. Tout ce que nous avons construit pour permettre à l’ECIDé d’assumer, le moment venu, les responsabilités n’est plus que ruines. Les présidents de nos formations s’estiment suffisants. Ils n’ont besoin autour d’eux que de quelques zélateurs. Je n’ai pas quitté l’ECIDé de gaieté de cœur. Comment pouvez-vous prétendre être porteur du renouveau alors que vous n’êtes pas différent des autres acteurs politiques? Le changement doit intervenir maintenant pendant que nous sommes dans l’opposition. Et non lorsqu’on va gravir les marches du pouvoir. Non! A titre d’exemple, le Congrès tenu à Kisangani a annoncé la candidature de Martin Fayulu à l’élection présidentielle. Pas un mot sur les élections législatives et provinciales. Nous avions pourtant élaboré toute une liste des candidats de la diaspora pour ces scrutins.
Venons-en maintenant à votre « Appel du 1er novembre 2022″ invitant docteur Denis Mukwege à présenter sa candidature à l’élection présidentielle de 2023. Qui est l’initiateur de cette démarche?
L’initiative émane d’un groupe d’intellectuels congolais. Parmi les signataires, on trouve certains compatriotes avec lesquels nous avons milité pour une « Transition sans Kabila ». C’est le cas notamment d’Alphonse Maïndo.
Aviez-vous contacté (préalablement) l’intéressé?
Il est au courant de notre démarche. Il n’a jamais opposé son veto. Je me suis engagé parce que les valeurs qui y sont défendues tournent autour du changement de gouvernance. Des valeurs qui visent le bien-être de la population. Pour moi, notre classe politique a échoué. La classe politique ayant échoué, la solution est à rechercher dans la société civile. Qui, mieux que docteur Denis Mukwege, pourrait porter haut les valeurs de changement pour notre pays?
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Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi