Près de 190 jours après son interpellation – un certain 5 février 2022 – par l’Agence nationale de renseignement, l’ancien conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de Sécurité, François Beya Kasonga, 67 ans, a retrouvé sa liberté d’aller et de venir. A titre provisoire. En dépit du fait que cette mesure – prise par la Haute Cour militaire – est motivée par des « considérations humanitaires », certains analystes y voient un « début de désaveu » pour l’actuel Administrateur général de l’ANR, Jean-Hervé Mbelu Biosha. A tort ou à raison, il est reproché à ce dernier d’avoir précipité l’arrestation de « Fantomas » alors que l’Agence était loin de réunir les preuves matérielles susceptibles de soutenir l’accusation de « complot contre la sureté de l’Etat et la personne du chef de l’Etat ».
« Nos meilleurs vœux de bon retour à la santé accompagnent notre frère et ami François Beya ». C’est un tweet qui porte la signature du Prof’ Raphaël Nyabirungu Mwene Songa, membre de l’équipe de défense de l’accusé François Beya. L’avocat a manifestement réprimé un « petit ouf! » de soulagement.
Le Congolais lambda a tendance à confondre la liberté provisoire et la liberté conditionnelle. Quelle est la différence entre ces deux notions?
De manière schématique, la « liberté provisoire » est une remise en liberté d’une personne inculpée et placée en détention dans l’attente du jugement. La « liberté conditionnelle », en revanche, est une mesure de libération anticipée accordée à un condamné purgeant sa peine et qui a manifesté des efforts sérieux de réadaptation sociale.
La liberté provisoire accordée à Beya est assortie de trois conditions: ne pas se livrer à des déclarations politiques; ne pas quitter le territoire national et se présenter aux audiences.
Quelques questions méritent d’être posées. Que reste-t-il des faits gravissimes mis à charge de l’ancien conseiller spécial? Que reste-t-il du « complot contre la sécurité nationale »? Quid de la « tentative d’attentat » contre la personne du Président de la République en exercice? Comment peut-on expliquer que l’annonce de l’existence d’une conspiration et n’ait pas entrainé un bouleversement du dispositif sécuritaire autour du chef de l’Etat? Pourquoi l’ANR s’est-elle révélée incapable de démontrer la matérialité de ces infractions durant les 60 jours de « garde à vue » de Beya dans ses locaux?
Le 5 février dernier, la nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre: « François Beya a été arrêté pour complot contre la personne du chef de l’Etat » Sur les réseaux sociaux, certains « journalistes » n’ont pas hésité de parler de « Tentative de coup d’Etat ». Un avis balayé du revers de main par un pénaliste: « La tentative de coup d’Etat n’est pas assimilable à un vol à l’étalage. On doit réunir des éléments probants pour démontrer que les comploteurs avaient mis en route un début d’exécution ». Un autre de parler en usant de métaphore: « Vous alertez le chef de l’Etat qu’il y a un serpent qui s’est introduit dans sa maison. Et curieusement, vous laissez les habitants continuer à y vivre en toute quiétude. Ce n’est pas sérieux! »
QUEL GÂCHIS!
Trois jours après l’arrestation de Beya soit le mardi 8 février, le porte-parole du Président de la République, Tharcisse Kasongo Mwema Yamba Y’Amba, a dit ces mots à la RTNC, le média d’Etat: « Il s’agit d’une affaire relevant de la sûreté de l’Etat. Une matière de ce genre relève de la compétence exclusive de l’ANR. (…), dans l’état actuel des choses, on peut affirmer que les enquêteurs disposent d’indices sérieux attestant des agissements contre la sécurité nationale ».
Interrogé le 28 mars dernier par TV5 Monde, Patrick Muyaya Katembwe, ministre de la Communication et des médias et porte-parole du gouvernement d’estimer qu’ « il y a des investigations qui sont en cours . Ajoutant qu’il ne préfère pas s’étendre sur des questions « classées confidentielles« .
Au moment de son interpellation, Beya Kasonga n’avait pas que des amis. Bien au contraire. Etrangement, certains de ses « meilleurs ennemis » n’ont pas hésité à prendre sa défense lors des conversations privées. Il n’est pas rare d’entendre des réflexions du genre: « Fantômas n’a pas le profil d’un comploteur pour attenter à la personne du chef de l’Etat ». Le frère cadet de l’ex-DG de la DGM, Freddy Kanku Kasonga, d’enfoncer le clou: « François Beya qui a servi sous les présidents Mobutu Sese Seko, Laurent-Désiré Kabila et ‘Joseph Kabila’ n’a jamais été un traitre ».
Qui dit vrai? Qui affabule?
Une certaine opinion congolaise a été surprise de voir la Haute Cour militaire adopter la qualification des faits décidée par des Officiers de police judiciaire (OPJ) que sont les agents de l’ANR. D’aucuns se disent « déçus » par l’alignement de l’auditeur général des FARDC Lucien Likulia Bakumi à l’instruction laborieuse menée à l’Agence. Et ce durant les 60 jours de « garde à vue » au lieu de 48 heures gravées dans le « marbre constitutionnel ».
Un officier de renseignement joint tard mardi soir à Kinshasa n’a pas trouvé des mots assez durs pour fustiger « l’amateurisme » de Jean-Hervé Mbelu Biosha. Pour ce « flic », « la libération provisoire accordée à l’ancien conseiller spécial Beya est un semi-désaveu à l’endroit de l’Administrateur général de l’ANR ». D’après lui, Mbelu Biosha « a inutilement alarmé le chef de l’Etat sans pouvoir étayer ses allégations ». L’auteur de ces lignes ne cessera de poser la question ci-après: Et si l’ANR avait induit le premier magistrat du pays en erreur? Quel gâchis!
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Baudouin Amba Wetshi