La première audience du procès François Beya Kasonga a plongé les observateurs dans une profonde perplexité. Les charges retenues contre l’ancien conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité ont étonné par un certain côté « burlesque ». C’est le cas notamment des goûts culinaires autant que la forme des joues du premier magistrat du pays. Quel que soit le verdict, cette affaire risque de laisser des stigmates sur ce quinquennat du président Felix Tshisekedi. Des doigts accusateurs sont pointés vers l’actuel administrateur général de l’Agence nationale de renseignements. Les enquêtes menées par les officiers de police judiciaire (OPJ) que sont les agents de l’ANR sont qualifiées de « bidon » par des experts. Des juristes contactés par Congo Indépendant ne disent pas autre chose.
« Si j’étais conseiller juridique à la Présidence de la République, j’aurai suggéré au chef de l’Etat de faire l’économie d’un procès préjudiciable à son image et de limoger son conseiller spécial pour outrage et imputation dommageable ». L’homme qui parle est un éminent membre du barreau de Kinshasa-Gombe. Pour lui, les éléments constitutifs des infractions de « complot » et « d’agissements contre la sécurité nationale » sont loin d’être réunis. « L’outrage et l’imputation dommageable relèvent du droit commun et non de la justice militaire », ajoute-t-il.
Le procès François Beya Kasonga devant la Haute cour militaire a démarré le vendredi 3 juin à la prison centrale de Makala. Surprise: la première audience n’a pas été publique. Au grand dam de la presse. Les débats ont duré une quarantaine de minutes. A la demande des avocats de la défense, la prochaine audience est fixée à vendredi 10 juin.
Que peut-on retenir de cette première journée? Il y a d’abord les hésitations de la greffière lors de la lecture de l’acte d’accusation. On a entendu cette auxiliaire de la justice parler de « régime de prévenus » au lieu de « régime des parvenus » – phrase attribuée au secrétaire particulier Guy Vanda – provoquant des sourires ironiques. Il y a ensuite les charges articulées à l’encontre de l’ancien conseiller spécial et de ses co-accusés. A savoir notamment: complot contre la personne du chef de l’Etat, offense au chef de l’Etat, violation de consigne, incitation des militaires à commettre des actes contraires aux devoirs et la discipline.
L’ANR AU-DESSUS DES LOIS?
La partie défenderesse a aligné deux « bretteurs » du barreau de Kinshasa en l’occurrence l’avocat Jean-Marie Kabengela et le pénaliste Nyabirungu Mwenesonga. Le prochain débat promet d’être particulièrement vigoureux. Proche du « clan Kabila », le « prof' » Nyabirungu ne manquera pas de « déconstruire » l’enquête menée par les OPJ de l’Agence nationale de renseignement.
Interpellé le 5 février dernier à son domicile, François Beya a passé plus de 100 jours en « garde à vue » respectivement au siège de l’ANR et à la prison centrale de Makala. Et ce en méconnaissance total du troisième alinéa de l’article 18 de la Constitution: « La garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures ». Il semble que les « services » sont au-dessus des lois. Ils peuvent s’autoriser des « rallonges » de ce délai. Depuis la nuit des temps, la sûreté nationale zaïro-congolaise peut priver de liberté qui elle veut, quand elle veut. La remise en liberté intervient dans les mêmes conditions. Les vieilles habitudes reviennent au galop.
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Après la divulgation, par Jeune Afrique, de l’acte d’accusation, des critiques ont fusé à l’endroit de l’ANR et de son « patron » Jean-Hervé Mbelu Biosha. Celui-ci est accusé « d’excès de zèle » et de « manque de professionnalisme ». Les contempteurs du numéro Un de l’ANR sont allés plus loin en reprochant à Mbelu « d’avoir induit le chef de l’Etat en erreur en précipitant l’arrestation de l’ancien conseiller spécial ».
Des observateurs sont d’avis que la longue garde à vue du prévenu Beya ne pourrait s’expliquer que par le fait que l’ANR ne disposait pas, au préalable, des indices de culpabilité. « L’ANR ne pouvait, de ce fait, transmettre le P.V. d’enquête, dans les délais, au ministère public », commente un fonctionnaire joint à Kinshasa. « Quelle que soit l’issue du procès, l’ANR a besoin d’un administrateur-général pondéré, capable d’éclairer le pouvoir politique et non d’être un béni oui-oui ».
LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L’INFRACTION
Tharcisse Kasongo Mwema Yamba Y’Amba en a pris également pour son grade. Intervenant le 8 février sur les antennes de la RTNC (Radio-télévision nationale congolaise), le porte-parole à la Présidence de la République avait eu ces mots: « Il s’agit d’une affaire relevant de la sûreté de l’Etat, une matière de ce genre est de la compétence exclusive de l’ANR (…). (…), dans l’état actuel des choses, on peut affirmer que les enquêteurs disposent d’indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale ».
Un universitaire kinois croit dur comme fer que la Haute cour militaire aura du mal à démontrer non seulement la « matérialité » des infractions de « complot » et « d’atteinte à la sécurité nationale » mais aussi la « volonté criminelle ». Pour lui, une infraction n’est réalisée que lorsque les trois éléments constitutifs sont réunis: « l’élément légal, l’élément matériel et l’élément moral ». Se fondant sur les articles 212 et 213 du livre deuxième du Code pénal congolais, notre interlocuteur de lancer: « L’attentat existe dès qu’il y a tentative punissable. Il y a complot dès que la résolution d’agir a été arrêtée entre deux ou plusieurs personnes ».
Pour notre expert, « l’ancien conseiller spécial du chef de l’Etat et ses co-accusés pourraient, à la limite, être poursuivis pour outrage au chef de l’Etat et imputation dommageable ». Et de conclure: « Il reste à savoir si l’outrage et les injures ont été faites publiquement ». Rendez-vous est pris le vendredi 10 juin.
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Baudouin Amba Wetshi