Dans sa lettre du 11 mars 2022 adressée au Président de l’Assemblée nationale, le professeur docteur, président Noël Tshiani Muadiamvita demande que les élus du peuple discutent, au cours de la session parlementaire qui a ouvert ses portes le 15 mars 2022, aux fins d’adoption d’une proposition de la loi dite « Loi Tshiani », déposée au bureau de cette institution, le 8 juillet 2021, par le député Nsingi Pululu.
D’après Noël Tshiani, Président national du parti politique Force du Changement (FDC) qui fut candidat à l’élection présidentielle de 2018, la proposition de loi qui porte son nom, faciliterait le « verrouillage de l’accès aux fonctions de souveraineté nationale ». Elle viserait à empêcher à « la classe de Congolais de loyauté partagée » d’accéder aux « fonctions de souveraineté », au sommet de l’Etat, fonctions qui seraient réservées à « la classe de Congolais de loyauté à 100% ».
Ci-dessous, trois arguments pouvant éclairer les députés nationaux et l’opinion publique sur l’inadmissibilité d’une telle proposition, relativement aux coutumes congolaises, aux lois et la Constitution, ainsi qu’aux instruments juridiques internationaux dûment ratifiés par la République Démocratique du Congo (RDC).
Points importants de la proposition de la « Loi Tshiani »
La proposition de la « Loi Tshiani » ne discute pas de l’acquisition de la nationalité. Elle parle des Congolais dont la nationalité d’origine est déjà reconnue, en s’articulant sur les deux points suivants:
- La proposition de loi consacre deux classes de nationalité congolaise d’origine. Elle distingue, d’une part, des Congolais nés de père et de mère, appelés congolais à « loyauté sure / 100% ». D’autre part, des congolais nés d’une union dont l’un des parents est d’origine étrangère, dits congolais à « loyauté partagée ».
- La proposition de loi se veut être un mécanisme légal de « protection des fonctions de souveraineté » contre la classe de Congolais à « loyauté partagée ». Parmi ces fonctions, l’on cite notamment, celles du Président de la République, du Chef du Gouvernement, du Président du Senat et de l’Assemblée Nationale, du Président de la Cour Constitutionnelle et du Premier Président de la Cour de Cassation, du Chef d’Etat-major des FARDC, du Chef de la Police et des services des renseignements, du Gouverneur de la Banque Centrale.
Motif d’inadmissibilité fondé sur des coutumes
Les coutumes ont une double importance avérée. Primo, elles s’appliquent telles qu’elles sont. Conformément à l’article 153 de la Constitution, « les Cours et Tribunaux, civils et militaires, appliquent […] la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ». Secundo, elles constituent une large source des lois. La combinaison des articles premier et dixième de la Constitution en vigueur, renseigne que ce qui est devenu la RDC, dans ses frontières du 30 juin 1960, à son indépendance, était constitué des personnes et d’un territoire, conformément aux coutumes des groupes ethniques qui y habitaient. Les coutumes définissent l’autorité traditionnelle des groupes ethniques et la Constitution lui réserve un rôle actif dans l’administration de « l’Etat moderne ». Le chef coutumier représente le pouvoir public au niveau local, participe à sa gestion aux niveaux provincial et national. Par la cooptation prévue à l’article 197 de la Constitution, certains membres des Assemblées provinciales sont choisis parmi des autorités traditionnelles et l’article 207 rend constitutionnel leur pouvoir, en lui reconnaissant son mode de dévolution.
« L’autorité coutumière est reconnue. Elle est dévolue conformément à la coutume locale, pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à la Constitution, à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs ».
Bien plus, le Code de la Famille, en ses articles 340, 363 et 369, accorde à chaque groupe ethnique, conformément à ses coutumes, des prérogatives de déterminer la forme des fiançailles, la dot et la célébration du mariage. Et, son article 117 donne au père ou à la mère, la possibilité de déclarer la naissance de l’enfant à l’état civil, conséquemment, l’appartenance à la famille et au groupe ethnique. A la suite de sa déclaration par ses parents, l’enfant est reconnu « Congolais d’origine », car, suivant l’esprit de l’article dixième de la Constitution, il appartient au groupe ethnique dont les personnes et le territoire font partie de ce qui est devenu la RDC, à son indépendance. La « Loi Tshiani » ne remet pas en cause la procédure coutumière d’établissement de la filiation, comme l’un des fondements de l’octroi de la nationalité congolaise d’origine. Par contre, elle tente de classifier des congolais, selon leur loyauté, en violation de la « Loi n° 04/024 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise » qui, à son article 4, réaffirme que: « Tous les groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance, doivent bénéficier de l’égalité des droits et de la protection aux termes de la Loi en tant que citoyens ». La conclusion sur ce premier argument d’inadmissibilité de la « Loi Tshiani » coule de soi, dans l’article 593 du Code la Famille qui rappelle que: « […] Toute discrimination entre Congolais basée sur les circonstances dans lesquelles leur filiation a été établie, est interdite ».
Motif d’inadmissibilité fondé sur la Constitution
Partant de la reconnaissance de la nationalité d’origine d’un enfant appartenant au groupe ethnique et territoire de la RDC, l’article 12 de la Constitution tranche: « Tous les Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois ». Afin de boucher toute possibilité d’insertion de la loi Tshiani, l’article 13 de la Constitution explicite que: « Aucun Congolais ne peut, en matière […] d’accès aux fonctions publiques […], faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique ». De ce qui précède, il s’en suit que même une loi ne peut engendrer une quelconque discrimination contre des congolais, à cause de leur origine familiale. Aux tenants de l’argument selon lequel la « Loi Tshiani » protégerait la souveraineté de l’Etat contre des personnes à loyauté partagée, l’article 5 de la Constitution répond que: « la souveraineté nationale appartient au peuple. […] Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ». En somme, au regard des contradictions ci-dessus avec la Constitution en vigueur en RDC, la « Loi Tshiani » ne pourra être promulguée. Car, l’article 139 de la Constitution clarifie que: « La loi ne peut être promulguée que si elle a été déclarée conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle […]«
Si jamais, les défenseurs de la « Loi Tshiani » pense réviser toutes ces dispositions constitutionnelles, afin d’arriver à une conformité factice, l’article 220 de la Constitution les rend forclos: « Est formellement interdite, toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne, […]«
Motif d’inadmissibilité fondé sur le droit international des droits humains
Pour rappel, l’article 215 de la Constitution stipule que « les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, […]« .
En matière des droits fondamentaux, la RDC a ratifié un très grand nombre d’instruments juridiques internationaux dont la Déclaration universelle des droits humains (DUDH) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Ces instruments sont publiés au Journal Officiel et leurs substances sont incluses dans la Constitution du pays qui, à son préambule, y réaffirme l’adhésion et l’attachement. Fort de l’attachement à la DUDH par la RDC, l’opinion retiendra qu’à son article 21, cet instrument protège les droits de toute personne, dans des conditions d’égalité, à prendre part à la direction des affaires publiques ou accéder aux fonctions publiques de son pays. Le troisième argument qui démontre l’inadmissibilité de la « Loi Tshiani », résume sa contrariété au principe de l’égalité en droits pour tous, sans distinction aucune, qui prévaut à l’article premier de la DUDH. Et rappelle que « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales consacrés dans la Constitution s’impose aux pouvoirs publics et à toute personne ». (Article 60 de la Constitution de la RDC).
CONCLUSION
Premièrement, la « Loi Tshiani « est inadmissible au parlement, car, elle est une loi de classification, catégorisation ou séparation des congolais, en fonction d’une présomption de loyauté sure à 100% et d’une loyauté partagée ou douteuse. Ainsi, elle est injuste, discriminatoire et anticonstitutionnelle.
Deuxièmement, la « Loi Tshiani » est inadmissible, car son auteur, un individu ou groupe d’individus, se présumant de loyauté sure à 100%, tente de s’en servir, afin de s’arroger ou s’octroyer l’exclusivité des prérogatives de l’exercice de la souveraineté de l’Etat, au détriment d’un autre individu ou groupe d’individus, présentés comme étant à loyauté partagée. Les trois motifs d’inadmissibilité se résume comme suit:
- La « Loi Tshiani » est contraire aux instruments juridiques internationaux qui interdisent toute forme d’apartheid qui consacrerait la discrimination entre citoyens, en fonction de l’origine de leurs parents.
- La « Loi Tshiani » est contraire à la Constitution, à la loi sur la nationalité, au Code de la famille et au Code électoral qui prônent le principe d’égale protection des lois de la République, dans l’exercice et la jouissance des droits des citoyens.
- La « Loi Tshiani » est contraire aux coutumes des groupes ethniques de la RDC, socles sine qua non à l’octroi de la nationalité congolaise d’origine, selon lesquelles, il n’y a pas d’enfants loyaux à 100% ni d’enfants à loyauté partielle. Ils sont tous protégés de la même façon, dans leurs familles.
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Hubert Tshiswaka Masoka, avocat et défenseur des droits humains.