Agé de 50 ans, Ruffin Bosenge Ngandja est un ancien officier de la DSP (Division spéciale présidentielle). Suspecté d' »intelligence » avec un pays d’Europe de l’Est en 1992, il prend le chemin de l’exil. Destination: Bruxelles. Au lendemain de la « libération » du 17 mai 1997, on le retrouve dans les Forces terrestres des FAC (Forces armées congolaises). En octobre 1997, Bosenge repart à nouveau en exil en Belgique. Il adhère au REFET (Rassemblement des militaires ex-Faz à l’étranger). En mars 2004, après une altercation avec Jean-Pierre Ondekane, alors ministre de la Défense, il met sur pied le « Mouvement pour la restauration de la paix au Congo » (MRPC). Objectif: mener une « guerre non conventionnelle » contre le gouvernement de transition pour permettre aux Congolais « de se réapproprier leur destin ». A l’instar d’autres ex-Faz, il est approché par le pasteur Ngoy Mulunda et le conseiller spécial d’alors, Guillaume Samba Kaputo. Bosenge décide de rejoindre le « camp kabiliste ». En 2006, il regagne le pays et sert en qualité de « consultant » au Conseil national de sécurité. Après l’annonce du décès d’Armand Tungulu Mudiandambu, Bosenge prend le premier avion à destination de Bruxelles. Pourquoi? C’est l’objet de l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder.
« Si Joseph Kabila osait mettre ses pieds à Bruxelles, il y a des gens qui sont prêts à faire « mieux » que Armand Tungulu Mudiandambu… »
Vous avez regagné la RD Congo en 2006. Qu’avez-vous eu comme occupation?
Nous étions dans un régime démocratique. Nous avons fait confiance à un inconnu nommé Joseph Kabila en rejetant un fils du pays en l’occurrence Jean-Pierre Bemba.
Voulez-vous dire que vous regrettez d’avoir rejoint Kabila?
Je le regrette.
Pourquoi?
Je ne savais pas qu’il incarnait une « bande d’amateurs et d’aventuriers ». A preuve, le territoire national ressemble aujourd’hui à un « chantier » en faveur de certains milieux affairistes occidentaux et moyen-orientaux. Les ressources nationales du sol et du sous-sol sont bradées. Cette situation sert d' »appui » à Kabila. Dans une note adressée à Marcel Cishambo, alors conseiller à la Présidence de la République, j’avais attiré son attention notamment sur le trafic de l’uranium. J’avais souligné à cette occasion que Joseph Kabila s’engageait sur une « pente glissante ». La RD Congo est dirigée par une bande d’opportunistes.
Vous avez rejoint le « clan kabiliste » en 2006, nous sommes en 2010. A partir de quel moment avez-vous pris conscience qu’il s’agissait d’une bande d' »aventuriers »?
Il m’a fallu du temps pour « décortiquer » le système en place. Aujourd’hui, je peux passer à la télévision ou devant un tribunal pour dénoncer des crimes économiques mais aussi des crimes de sang. Je veux parler des assassinats.
Pouvez-vous citer des cas?
Des assassinats? Je peux vous dire que Guillaume Samba Kaputo a été victime d’un assassinat. Il me l’a confié une quinzaine de jours avant son décès. Il a été empoisonné!
Depuis quand êtes-vous arrivé en Belgique?
Je suis arrivé à Bruxelles le lundi 4 octobre.
Quel est but de votre séjour bruxellois?
J’ai été quasiment témoin d’un assassinat. J’ai vu des voyous – je ne sais pas s’ils sont Congolais – qui m’ont fait venir pour identifier une personne qui était déjà décédée.
De qui s’agissait-il?
Il s’agit d’Armand Tungulu Mudiandambu que je connaissais depuis Bruxelles. J’ai dû faire un effort surhumain pour dissimuler mon émotion devant son corps sans vie.
Qui vous a contacté pour l’identifier?
J’ai été contacté le samedi 2 octobre 2010, aux alentours de 10 heures, par le lieutenant-colonel Ilunga Kapeta. Il se dit « Chargé de la sécurité du chef de l’Etat » à la Maison militaire.
Pourquoi a-t-il fait appel à vous?
C’est la volonté de Dieu qui a voulu que je me retrouve devant ce « gars »…
Vous vous rendez donc à son bureau…
Après mon arrivé à son bureau, il m’a expliqué la situation tout en me présentant des documents et des photos. J’ai aussitôt reconnu « Armand ». J’ai dit au colonel Ilunga que M. Tungulu fait partie des « combattants » hostiles au régime de Kabila. J’ajouterai: « Le président Joseph Kabila, devrait tirer avantage de cet incident ».
Etiez-vous déjà au courant que Tungulu était déjà mort?
Absolument pas! Ce n’est que lorsque le colonel Ilunga m’a lancé « croyez-vous que vous le verrez encore? », que j’ai compris la « situation ». Je tiens à ouvrir une parenthèse pour dire que j’avais déjà rencontré le colonel Ilunga au quartier Matonge à Kinshasa. Il était accompagné d’un officier à la mine patibulaire dont j’ignore le nom. Je ferme la parenthèse. Après mon entretien avec lui, il me dit d’aller au Camp Tshatshi pour rencontrer le « major Désiré » qui était en fait le geôlier de Tungulu.
Vous arrivez donc au Camp Tshatshi…
Arrivée sur lieu, j’ai eu cette fois la conviction qu’Armand n’était plus en vie. C’est sur ces entrefaites, que « Désiré » convoque madame Media, la sœur de Tungulu. Elle est arrivée avec un lieutenant. J’ai vu les effets personnels du Bruxellois dans une grande malle verte qui a été saisie chez sa sœur « Media ». Brusquement, le lieutenant qui était de garde ce jour là surgit avec deux personnes en tenue civile. « Major, major, le détenu vient de se suicider », criait-il. Il s’agissait d’une mise en scène cousue de fil blanc. Le major a aussitôt contacté le général Banze {Ndlr, le commandant de la garde présidentielle ou Garde républicaine} au téléphone. C’est dans cette espèce de tohu-bohu que le « major Désiré » me dira que le détenu était enfermé dans un petit local sans éclairage. Il était, semble-t-il, tout seul. Selon le major, on l’a trouvé en position à genou avec le pantalon d’un treillis autour du cou. « Je l’avais enfermé dans ce local avec des trois cadenas et suis rentré avec les clefs chez moi de peur qu’il nous échappe », me dit-il. Il ajoute: « Le chef de l’Etat nous avait dit: si ce gars s’évadait, vous aurez des problèmes avec moi ». J’étais ahuri! Et je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire quelques observations. « Etait-il important, pour vous, de garder Armand Tungulu au Camp Tshatshi? Ne fallait-il pas le confier à l’Agence nationale de renseignements? », ai-je demandé. Madame Media nous a finalement rejoints. Je lui ai posé quelques questions afin de savoir si elle avait pu voir Armand. Je la regardai avec beaucoup de tristesse sans le montrer. Je peux vous dire que je commençais à devenir inquiet pour ma propre sécurité. Nous nous trouvions à un endroit que nous appelions « 5-19 ». Ce sont les Amigos où l’on enfermait les politiciens sous la IIème République. Le colonel Ilunga nous a rejoints. Je l’entends tonner: « Nous allons les exterminer tous! » J’ai pu apprendre dans la foulée qu’une certaine « Daddy » était retenue à l’ANR.
Exterminer qui?
Exterminer les activistes politiques de la diaspora congolaise et autres « combattants » dont les « Bana Congo ». J’ai été surpris par ce radicalisme alors qu’on pouvait, dans le cadre de la démocratie naissante, amorcer un dialogue avec tous ces groupes de pression qui « dérangent » le pouvoir. En faisant appel à moi, le colonel Ilunga voulait s’assurer que Tungulu Mudiandambu résidait effectivement en Belgique.
Avez-vous vu le corps de Tungulu Mudiandambu?
J’ai profité d’un moment d’inattention de la part du major Désiré pour voir le corps sans l’ausculter. Les deux officiers ignoraient naturellement ce qui se tramait dans ma tête.
Et alors?
J’ai vu le corps. Grâce aux notions de médecine légale apprises à Liège, j’ai noté la présence des acariens sur certaines parties du corps. Cela présumait qu’Armand Tungulu était mort 36 heures ou 48 heures avant l’annonce officielle faite le samedi 2 octobre dans la soirée. Le défunt était habillé en tenue militaire. Ce qui veut dire qu’il était nu lorsqu’il a été enfermé. A mon avis, Armand est mort suite aux traitements inhumains et cruels qui lui ont été infligés. Il a été brutalisé avec cruauté. J’ai eu un haut le cœur. Heureusement que ces officiers n’avaient pas aperçu ce que je venais de voir. Dans le cas contraire, ils auraient pu me séquestrer afin de m’empêcher de faire des révélations…
Quelle heure était-il ce samedi 2 octobre?
Il était 12h30.
Qu’avez-vous fait par la suite?
Dès que j’ai regagné ma voiture, je me suis empressé de confié au chauffeur ainsi qu’aux personnes qui m’accompagnaient qu’on a tué Armand Tungulu. Nous avons mis le cap sur les bureaux de la compagnie aérienne SN Brussels. Je voulais prendre le vol du dimanche. J’ai été surpris d’entendre la préposée me « conseiller » de contacter l’agence « KPM » afin de procéder au changement de mon billet d’avion. Au motif que la compagnie avait reçu « l’injonction » de ne pas m’embarquer. J’ai insisté auprès de la préposée en lui faisant remarquer qu’il y a toujours de places libres dans l’avion en provenance de l’Angola. C’est ici qu’elle décide d’enregistrer ma réservation. Personne ne savait que je voyageais le dimanche 3 octobre. Après l’ex-Sabena, nous avons pris la direction de Lemba. En cours de route, nous avons croisé un corbillard de couleur noire qui se dirigeait vers l’aéroport de Ndjili. Il y a eu comme un « phénomène mystique » qui s’est déclenché en moi.
Que voulez-vous dire?
J’ai pris conscience du danger qui me guettait. La crise de confiance était plus qu’ouverte entre moi et le pouvoir kabiliste. J’ai réalisé le degré de « dangerosité » du régime en place. En tant qu’officier de renseignements, j’ai néanmoins pris quelques contacts notamment au niveau du Service du conseiller spécial du chef de l’Etat. C’est la nouvelle appellation du CNS (Conseil national de sécurité). Mon objectif était de vérifier si tout ce beau monde était au courant de l' »état de santé » d’Armand. Samedi soir, j’ai reçu un coup de fil du « major Désiré ». Je vous dirai en passant que cet officier est parenté à Raymond Shimba qui était en poste à Johannesburg. Je suis allé rendre visite à « Raymond ». Je lui ai demandé s’il savait qu’Armand Tungulu Mudiandambu avait été « zigouillé »? Je voulais voir sa réaction. Pour toute réponse, Shimba dit: « Les gens aiment prendre de gros risques, Kabila ne blague pas… ». J’espérais entendre une « réaction plus professionnelle ». Cette attitude m’a choqué.
Qu’entendez-vous par « réaction plus professionnelle »?
Il y a eu mort d’homme. J’espérais qu’il allait qualifier la mort de Tungulu de « bavure grave », d' »acte barbare ». Rien! J’ai entrepris le même « sondage » auprès de plusieurs autres personnalités du sérail. Vers18 heures, j’ai contacté l’administrateur général de l’ANR Daruwezi Mokobe qui semblait surpris. « Il a été tué?, réagit-il. Je vais vérifier. » J’ai joint au téléphone le journaliste Jean-Marie Kasamba au téléphone. Il se trouvait à Lubumbashi avec Joseph Kabila. Kasamba me dit: « Le gars a certainement craqué… »
Et après?
Dimanche 3 octobre, je reçois dans la matinée un appel téléphonique du lieutenant-colonel Ilunga Kapeta me demandant de venir le voir à la Maison militaire. J’ai aussitôt prévenu mes amis et parents au cas où « quelque chose » m’arrivait. Arrivé au bureau du colonel Ilunga, j’y trouve le général Mbala qui est le chef de la Maison militaire du chef de l’Etat. On a évoqué plusieurs sujets. J’ai pu apprendre que sur instruction de Joseph Kabila, les « services » étudiaient le modus operandi pour « éliminer » les activistes politiques et « combattants » qui font de l' »agitation » notamment à Bruxelles, Paris et Londres. Je me suis contenté d’écouter les deux officiers sans donner mon avis. C’était risqué!
Pourquoi avez-vous décidé faire toutes ces révélations?
Un homme a été tué. Son sang a coulé. Le sacrifice consenti par Armand Tungulu Mudiandambu dépasse l’entendement humain.
C’est-à-dire?
Armand Tungulu a consenti le sacrifice de sang en payant le prix le plus cher pour que le Congo et son peuple soient libérés de la captivité et surtout des imposteurs.
Le quotidien kinois « L’Avenir » parle de « complot » ourdi par des « politiciens » contre Joseph Kabila. Selon ce journal, ce sont des politiciens qui avaient chargé « Armand » de lapider le cortège présidentiel…
Celui qui a écrit cela est un parfait idiot.
Je reviens à ma question. Vous avez décidé de dénoncer ce que vous avez vu. Et après?
Laissez-moi d’abord vous dire que c’est la première fois que j’assiste à un fait aussi cruel. Ils ont tué froidement un être humain. Et cet être humain est un Congolais résidant en Belgique. J’espère que la justice belge va s’impliquer dans cette scandaleuse affaire criminelle. La mort de Tungulu Mudiandambu a fait naître en moi un sentiment de révolte. Ce qui m’a le plus écœuré ce sont les réactions minimalistes que j’ai pu enregistrer dans les milieux sécuritaires. Les gens qui entourent Kabila ont peur de lui. Ils ont surtout peur de son « empire financier ».
Quelle suite attendez-vous?
Je demande à tous les Congolais de se révolter. A mes camarades militaires, je leur demande de se mutiner afin de se libérer de la captivité. Nous devons vivre au Congo à l’mage des résistants de 40-45. Je sais qu’à un certain moment mes compatriotes me prenaient pour un « collabo ». Les tenants du pouvoir actuels ne savaient pas que nous avons infiltré le système en place. Je rappelle que LD Kabila avait noyauté le régime de Mobutu. Armand Tungulu nous sert désormais de modèle de courage et de patriotisme. Les Congolais doivent se départir de la peur et lancer un mouvement de résistance.
Je voudrais vous poser une question un peu « vache ». Si Kabila vous avait nommé à un poste important, auriez-vous réagi comme vous le faites face au sort réservé à Armand?
Je suis tout sauf un lâche! Si Kabila m’avait donné le poste auquel je pensais, je l’aurai déjà « zigouillé ». J’attendais impatiemment le jour où j’allais endosser la tenue militaire. Kabila est un imposteur! Il n’est pas Congolais et n’aime pas le Congo. La misère sociale que vit la population en témoigne. Les ex-Faz vivent dans un scandaleux dénuement. Exception faite bien-sûr de quelques « collabos » qui ont pu se faire une place au soleil.
Que répondez-vous à ceux qui ne verraient dans votre démarche que l’expression d’une « frustration personnelle »?
Si un civil en l’occurrence Armand Tungulu a pu poser un acte d’une extrême témérité, pourquoi nous qui avons une formation militaire ne pourrions pas faire de même? Qui tue par l’épée périra par l’épée. Nous allons créer un mouvement de résistance. Je lance un avertissement: « Gare aux sbires du régime Kabila qui oseront venir nous titiller en Belgique ». J’ai réuni assez d’informations sur les méfaits de ce régime.
Comment expliquez-vous que la famille n’a toujours pas accès à la dépouille une semaine après l’annonce officielle du décès?
Cet aspect ne me regarde pas. En ce qui me concerne, j’ai décidé de porter plainte pour ce que j’ai pu voir au camp Tshatshi. Si, dans les semaines ou mois à venir, Joseph Kabila osait mettre ses pieds à Bruxelles, il y a des gens qui sont prêts à faire « mieux » que ce qu’Armand Tungulu a fait.
Le mot de la fin?
Honte aux responsables de l’ANR et des « services spéciaux ».
Il semble que l’Agence nationale de renseignements n’a pas géré ce dossier…
Il ne reste pas moins que la garde présidentielle a empiété dans les attributions de l’ANR. Pire, samedi 2 octobre à 18 heures, le plus haut responsable de l’ANR – c’est à dire, le patron de la Sûreté nationale – n’était même pas au courant que Tungulu était décédé. Dans un Etat normal, des têtes allaient tomber après ce qui s’est passé au camp Tshatshi. Honte au « MSR », le parti créé par feu Samba Kaputo. Cette formation a trahi la mémoire du défunt en continuant à soutenir Kabila.
Le conseiller spécial Pierre Lumbi fait partie du MSR…
Pierre Lumbi est un idiot. Un corrompu. Un traître. Lumbi doit être interpellé par la Haute cour militaire.
Parlez-vous de cette Haute cour militaire truffée des « hommes du président »?
Cette juridiction militaire compte quelques hommes de grande valeur et d’honneur. Il s’agit des généraux Nyembo, Mukuntu et Ponde.
Depuis plusieurs mois, la Haute cour paraît embourbée dans l’enquête sur l’assassinat de Floribert Chebeya et la disparition de Fidèle Bazana…
Je peux vous affirmer que le général John Numbi n’est en rien impliqué dans la mort de Chebeya. Il est innocent!
Quels sont les éléments factuels qui vous permettent de faire une telle affirmation?
Ce sont des éléments de la « GR » (Ndlr, Garde républicaine ou garde présidentielle) qui ont exécuté Chebeya. C’est ainsi que son corps sans vie a été trouvé à plusieurs kilomètres de l’inspection générale de la police. Je peux vous assurer que le directeur exécutif de la Voix des Sans Voix n’a pas été tué au siège de la police nationale. C’est un investigateur qui vous parle: John Numbi n’aurait pas osé s’en prendre à un militant de droit humain. Les policiers arrêtés sont également des pauvres innocents. Je reviens aux menaces proférées par le colonel Ilunga Kapeta à l’endroit des Congolais de la diaspora de Belgique. Je lui dis simplement ceci: les tueurs du régime Kabila qui oseront venir opérer en Belgique n’auront pas à affronter uniquement les « Bana Congo ». Cette fois, ils trouveront des « militaires » sur leur chemin…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi