Dimanche 13 février 2022. Arrêté le samedi 5 février, François Beya Kasonga, a totalisé huit jours de « garde à vue » dans un salon de l’Agence nationale de renseignements (ANR). L’alinéa 4 de l’article 18 de la Constitution congolaise limite la détention préventive à 48 heures. Huit jours après l’interpellation du conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de Sécurité, le « dossier » tarde à entrer dans la « phase judiciaire ». L’ANR s’est-elle précipité à interpeler ce « flic » sans avoir réuni, au préalable, les preuves matérielles de l’action ou omission reprochée à ce dernier? En dépit de la communication – tardive? – faite par le porte-parole de la Présidence de la République, il y a plus des questions que des réponses. Les spéculateurs ont du grain à moudre. Le suspens entretenu par l’Agence nationale de renseignements a fini par rendre risible l’idée d’existence d’une conspiration. A tort?
Depuis l’arrestation de François Beya, aucun officiel congolais n’a articulé les mots « coup d’Etat » ou « tentative de coup d’Etat ». Sur les réseaux sociaux, en revanche, on n’entend que ça: « Coup d’Etat raté! » « Vrai-faux coup d’Etat! » « Coup d’Etat manqué! » « Coup d’Etat déjoué! » « Putsch manqué! ». Là où le bât blesse est que des opérateurs politiques se sont engouffrés dans cette brèche. Pire, certains médias n’hésitent pas à relayer des rumeurs.
Mercredi 9 février 2022, le média kinois « Non à la Balkanisation » de Jean-Pierre Kayembe Tatu affichait un titre racoleur: « Le président de la Cour constitutionnelle aux arrêts! » Plus surprenant, le bruxellois Jeannot Kabuya du média AK 243, est tombé dans le même « piège à sensation » en annonçant, le même mercredi: « Arrestation en cascade dans le dossier Beya ». Des noms? Silence radio. « Jeannot » a tenté maladroitement de dénoncer les fake news en parlant de « psychose ».
C’est quoi donc un coup d’Etat? « Prise illégale et brutale du pouvoir par l’armée ou par une autorité politique bénéficiaire de son soutien », peut-on lire dans le lexique de Science politique, publié par Dalloz. Dans le lexique de droit constitutionnel (PUF), il est écrit que « le coup d’Etat se distingue de la révolution qui désigne un soulèvement populaire ».
De quoi s’agit-il au Congo-Kinshasa? Bien malin est celui qui trouvera la réponse. Depuis l’interpellation de François Beya, le samedi 5 février 2022, aucun officiel n’a parlé, expressis verbis, de « complot » ou « coup d’Etat ». Après plus de 72 heures de mutisme, la Présidence de la République a rompu son silence le mardi 8 février. « Il s’agit d’une affaire relevant de la sûreté de l’Etat, une matière de ce genre est de la compétence exclusive de l’agence nationale de renseignements (…). (…), dans l’état actuel des choses, on peut affirmer que les enquêteurs disposent d’indices sérieux attestant d’agissements contre la sécurité nationale », a déclaré Tharcisse Kasongo Mwema Yamba Y’Amba, le porte-parole. Aucune allusion au « Coup d’Etat ». Il a ajouté que « les enquêtes se poursuivent (…) à différents niveaux ».
L’ANR A-T-ELLE CONFONDU VITESSE ET PRÉCIPITATION?
Certains experts contactés par l’auteur de ces lignes sont formels. Pour eux, « par excès de zèle, l’ANR a confondu vitesse et précipitation ». En faisant quoi? D’après eux, la prolongation du délai légal de garde à vue incline à conclure que l’Agence « n’avait pas réuni les indices irréfutables de culpabilité au moment de l’arrestation » de François Beya.
Un des experts d’expliquer que l’ANR est un service de sûreté nationale. « A ce titre, elle a une mission de surveillance sur les menaces qui planent sur la sécurité nationale. Elle recueille chaque jour des informations sur ces menaces. Des informations qui deviendront des renseignements après analyses et recoupements ». Pour cet expert, l’ANR devait réunir les indices de culpabilité à charge de Beya avant et non après l’arrestation. « Le dossier Beya a un arrière-goût de précipitation », martèle-t-il. Traduction en français facile: les hommes de l’administrateur général Jean-Hervé Mbelu Biosha « ont commencé là où ils devaient terminer ». Procès d’intention?
Il n’est pas sans intérêt d’ouvrir une parenthèse ici. Dans son ouvrage intitulé « Je ne renie rien. Je raconte… », paru en 2006, aux éditions L’Harmattan, Me José Nimy Mayidika Ngimbi évoque notamment ses souvenirs de conseiller spécial du président Mobutu Sese Seko en matière de Sécurité. C’était au lendemain du discours présidentiel du 24 avril 1990 annonçant la restauration du pluralisme politique.
LES SOUVENIRS DE ME NIMY
A la page 467, l’auteur écrit: « Je me dis aujourd’hui qu’en acceptant cette fonction de conseiller spécial, j’avais commis une erreur politique grave ». Il poursuit: « A la fin de chaque semaine, mes analystes me remettaient à l’intention du chef de l’Etat ce que nous appelions ‘l’état de l’opinion’: un compendium saisissant de ce que pensaient les Zaïrois sur l’évolution de leur pays et la qualité de leurs dirigeants ».
A la page 472, on lit: « J’avais désigné le professeur Ilunga Kabongo pour exercer à mes côtés les fonctions de chef de cabinet. (…). J’avais été un jour surpris d’entendre le président Mobutu me dire: ‘Nimy, on m’a signalé que tu as pris un chef de cabinet (Ilunga Kabongo) qui est un membre de l’UDPS’. Un autre jour, le Maréchal dit avoir reçu des informations selon lesquelles Nimy serait le conseiller juridique d’Iléo Songo Amba (vice-président du PDSC), ancien mobustiste passé à l’opposition ». Fermons la parenthèse.
Mardi 8 février 2022, le directeur de cabinet du président Felix Tshisekedi, Guylain Nyembo, a désigné Jean-Claude Bukasa pour assurer, à titre intérimaire, les fonctions de conseiller spécial en matière de sécurité. L’homme faisait partie des « assistants principaux » de Beya. La page « Fantomas » est sans doute tournée à cette fonction. L’affaire, elle, continue à susciter des questions. Des questions qui restent sans réponses.
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Baudouin Amba Wetshi