Médecin-réanimateur à l’hôpital Bracops à Anderlecht (Réseau Iris), en Belgique, Médard Mamay Maseka est également professeur-visiteur à l’université officielle de Bukavu (UOB) ainsi qu’à l’université de Lubumbashi (Unilu). De retour de cette dernière ville où il a séjourné du 7 au 25 avril, docteur Mamay interpelle les pouvoirs publics congolais sur la situation sociale « catastrophique » tant à l’Unilu que dans les hôpitaux de la capitale du cuivre.
« L’Etat est inexistant au Congo-Kinshasa. Il faut aller à Lubumbashi pour prendre toute la mesure de la mauvaise répartition de la richesse nationale »
Vous revenez donc du Congo, particulièrement de la province du Katanga. Qu’avez-vous pu observer?
Je reviens de Lubumbashi où j’ai été dispensé quelques cours à la faculté de médecine de l’université de la place. Concrètement, j’enseigne la réanimation et les « urgences » aux étudiants de deuxième année de doctorat en médecine.
Comment se porte cette l’université de Lubumbashi?
L’université de Lubumbashi fait face à une situation que je ne peux m’empêcher de qualifier de « catastrophique ». Cet établissement est pour le moment le seul qui fonctionne « normalement » en observant le calendrier académique. C’est ainsi qu’on y assiste à un flux massif des étudiants venus des quatre coins du pays. A titre d’exemple, la faculté de médecine compte actuellement six mille étudiants.
Au lieu de…
Au lieu de deux mille. En Belgique, il est difficile de trouver plus de 100 étudiants dans l’auditoire du deuxième doctorat en médecine. A Kinshasa, à l’époque où je poursuivais mes études, il y avait au maximum 200 étudiants. A l’université de Lubumbashi, on en dénombre 1.250. La situation est pire en premier doctorat. Nous avons bien entendu approché le doyen à ce sujet. Réponse: « Nous sommes obligés d’accepter tous ces étudiants qui proviennent des villes qui ont érigé des universités locales lesquelles dépendent de celle de Lubumbashi. » Il s’agit notamment de Kolwezi, Likasi, Kamina et Mbuji-Mayi. Pour accomplir le deuxième cycle, les étudiants de ces villes sont obligés de venir à Lubumbashi. Là où le bât blesse c’est que les candidats devant entrer en première année de doctorat en médecine ne sont soumis à aucun test préalable. L’université, dit-on, ne dispose pas de moyens nécessaire pour ce faire. Mais en vérité, le recteur et le doyen sont obligés, pour des raisons politiques, à accepter les étudiants en provenance des centres universitaires créés ci et là.
Qu’entendez-vous par « raisons politiques »?
Il m’a été dit que le rectorat de l’Unilu reçoit des « lettres de recommandation » émanant de tel ou tel autre responsable politique qui plaide pour l’inscription d’un fils, un neveu ou cousin. L’université de Kinshasa étant non-opérationnelle pour l’instant, tout le monde essaie d’inscrire les siens à Lubumbashi.
Quel est le nombre total d’étudiants inscrits à l’Unilu?
Il y a plus ou moins 15.000 étudiants au lieu de 3.000. La seule faculté de médecine en compte 6.000.
Les infrastructures sont-elles adaptées pour accueillir autant de monde?
Je n’ai pas visité les chambres d’étudiants. Toutefois, les homes sont loin d’être fonctionnels pour le moment. Ne parlons pas des toilettes. En revanche, dans les auditoires où j’ai eu à donner cours, chaque étudiant avait une place assise. Il reste cependant deux problèmes majeurs. D’abord, le nombre élevé d’étudiants dans l’auditoire. C’est une situation qui ne favorise nullement la concentration. Bien au contraire. C’est le lieu de bavardage et de distraction. Ensuite, il est difficile d’organiser des travaux pratiques avec un nombre aussi excessif de participants. Même si, on mettait en place des groupes de 50 personnes, il sera difficile d’assurer un encadrement optimal pour tout ce monde.
Comment faites vous, à partir de Bruxelles, pour corriger les travaux des étudiants?
J’ai l’habitude d’envoyer les questionnaires par « e-mail ». Les réponses me sont renvoyées par des voies privées notamment par le canal du consulat général de Belgique à Lubumbashi ou d’associations caritatives. J’utilise les mêmes canaux pour faire acheminer les corrections.
Est-ce une pratique usuelle dans le monde universitaire?
Non! A défaut d’un service postal fonctionnant normalement, c’est l’unique solution qui reste.
Vous savez autant que moi que le gouvernement congolais a invité la Belgique à fermer ses consulats à Lubumbashi et Bukavu. Il ne vous restera plus que les associations caritatives?
Je n’ai pas le sentiment que les autorités congolaises ont suffisamment mûri cette décision. J’espère que la raison va triompher de l’affectif. Sans faire l’éloge du néocolonialisme, la réalité est là: le Congo est encore très dépendant de la Belgique. A Lubumbashi, j’ai rencontré plusieurs européens dont des professeurs à l’université. Les trois quart d’entre eux étaient de nationalité belge. Il ne serait que dommageable de « casser », sous l’effet de la colère, les liens de vieille amitié existant entre nos deux pays.
Une année après l’installation du gouvernement provincial du Katanga, quels sont les changements que vous avez pu noter à Lubumbashi?
J’ai été agréablement surpris de constater que les routes principales sont asphaltées et bien entretenues. C’est dommage qu’il n’en soit pas le cas pour les artères secondaires. Par ailleurs, la population est approvisionnée en eau potable et électricité.
Quelle est la situation au plan sanitaire?
J’ai visité les cliniques dites « universitaires » et l’hôpital Sendwe qui appartenait jadis à la Gécamines. Ce dernier établissement hospitalier se trouve dans un état lamentable. Et dire que cet hôpital avait jadis une capacité de 1.500 lits, laquelle le plaçait en deuxième position des centres hospitaliers du pays, après l’hôpital Mama Yemo. Il n’y a plus rien qui fonctionne à l’hôpital Sendwe. A titre d’illustration, la salle d’opération et le service de réanimation sont situés au quatrième étage. Il n’y a qu’un seul ascenseur qui tombe en panne tout le temps. Un patient, devant subir une intervention chirurgicale, ne peut pas être transporté directement via l’ascenseur. Il faut recourir aux escaliers. D’autre part, par manque de pression, l’eau courante n’arrive pas au niveau de la salle d’opération. On recourt, dès lors, à des méthodes « traditionnelles » pour se laver les mains. On se contente très souvent de l’eau de pluie…
Pensez-vous que les autorités provinciales sont au courant des problèmes que vous évoquez ici?
Selon le directeur de « Sendwe », les requêtes introduites auprès des autorités compétentes restent sans suite à ce jour. Au niveau des cliniques universitaires, j’ai, par contre, noté quelques actions des autorités provinciales. J’ai constaté la présence de lits de standard européen. Sauf que les patients ont du mal à maîtriser le maniement de ceux-ci. Ce sont de lits plutôt luxueux voire sophistiqués.
Comment expliquez-vous la disparité entre ces deux centres hospitaliers?
L’explication qui nous a été donnée est la suivante: les cliniques universitaires sont reconnues en tant que telles par le ministère de la Santé et de l’Enseignement supérieur. L’hôpital Sendwe, rétrocédé récemment à l’université de Lubumbashi, n’a pas encore obtenu la « reconnaissance ». Conséquence: les salaires du personnel soignant n’ont pas encore été mécanisés. Il importe de signaler que « Sendwe » reçoit généralement des malades domiciliés dans la commune populaire de Kenya. Une entité municipale plutôt défavorisée. Les cliniques universitaires, elles, sont fréquentées par la « classe moyenne ».
Quel message comptez-vous transmettre aux autorités congolaises?
J’ai remis mon rapport de mission à l’organisme qui m’avait envoyé à Lubumbashi en l’occurrence le programme MIDA Grands Lacs. J’ai été choqué de voir que la majorité de la population à Lubumbashi ne reçoit pas des soins de santé dignes du Katanga, une province pourtant réputée pour ses potentialités minières. La pauvreté ambiante tranche avec l’opulence ostentatoire perceptible dans les rues de la capitale du cuivre où l’on croise les véhicules « 4×4 » les plus rutilants dont les fameux « Hummer ». Un contraste déroutant. Il; faut aller à Lubumbashi pour avoir la preuve grandeur nature que la richesse nationale est mal redistribuée. Dans mes conclusions, j’ai mis en exergue la modicité de moyens mis à la disposition de ces hôpitaux. J’ai suggéré que les autorités tant nationales que provinciales se penchent, sans délai, sur les problèmes de ces établissements. Fort heureusement, à côté de ces centres hospitaliers défaillants du secteur public, il y a un hôpital catholique qui fonctionne de manière plutôt optimale. J’ai pu constater la présence notamment d’équipements pour la dialyse et des soins intensifs. Il faut préciser que cet établissement est géré par l’Ong Caritas laquelle bénéficierait d’une aide en provenance de la ville de Gand, en Belgique. Dans mon rapport, je n’ai pas manqué de souligner à l’attention de MIDA qu’il faut déployer d’immenses moyens de peur le travail que nous faisons se mue en une simple « promenade tourisme ». Il est difficile de transmettre des connaissances à un personnel médical mal payé. Démotivé. Un personnel qui arrive en retard au travail pour toutes ces raisons.
Voulez-vous insinuer qu’il faut privatiser la gestion de ces hôpitaux publics?
Il me semble que c’est une des pistes de solution.
Existe-t-il un embryon d’organisme d’assurance-maladie au Katanga?
Pas du tout! Comme un peu partout au Congo, c’est la solidarité familiale ou clanique qui joue ce rôle. A titre d’exemple, le médecin devant pratiquer une intervention chirurgicale sur un patient commence par établir une prescription des produits dont il a besoin. Les membres de la famille du malade font le reste. C’est ainsi que je lance un appel à la générosité ainsi qu’au patriotisme des Congolais qui ont « un peu plus de moyens » de subvenir aux besoins des nôtres qui sont incapables de se soigner. Faute de moyens.
Voulez-vous dire que chaque citoyen nanti doit promouvoir l’intérêt général en lieu et place des pouvoirs publics?
En effet. La raison simple: l’Etat est pour le moment inexistant au Congo-Kinshasa.
Ne faudrait-il pas plutôt interpeller les gouvernants en les mettant face à leurs responsabilités?
Je persiste et signe: il n’y a pas d’Etat.
Que faire?
Il faut que la population rompe avec la résignation. Elle doit manifester bruyamment son mécontentement.
A vous entendre parler, le social reste plus que jamais le parent pauvre des priorités des autorités congolaises au niveau aussi bien national que provincial…
Sans verser dans la caricature, je dirai même plus: le social n’a même pas de « parent ». Pour l’anecdote, j’ai vu à Lubumbashi des « églises de réveil » logées dans de très beaux bâtiments, les pasteurs tirés à quatre épingles et roulant carrosse. Mais à côté, il y a la misère sociale. Les activités de ces églises se limitent à la prédication de la parole biblique et à la prière. Rien, alors rien, n’est fait au plan social. La plupart d’entre nous, avons étudié dans les écoles créées par l’église catholique ou protestante. Je souhaiterais vivement que les églises dites de réveil s’inspirent de ce modèle pour jouer un rôle social par la mise sur pied des écoles et des hôpitaux. Ainsi, combler, autant que faire se peut, les lacunes de l’Etat.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi