Dernier ambassadeur du Zaïre auprès du royaume de Belgique (1989-1997), Jean-Pierre Kimbulu Moyanso wa Lokwa, 64 ans, réside toujours dans son ancien pays d’accueil. Il faut dire que les « libérateurs » qui claironnaient « l’Etat de droit » avaient « décapité » tous les postes diplomatiques sans toutefois rapatrier les anciens chefs de mission. Il en est de même des diplomates affublés de l’étiquette « mobutiste ».
Dix-sept ans après la prise du pouvoir à Kinshasa par l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo), « Kim », comme l’appellent ses proches, n’a pas encore mis les pieds au « Congo libéré ». De loin, il suit l’actualité du pays. Dans l’entretien accordé à Congo Indépendant, il commente quelques sujets d’actualité.
Comment allez-vous?
Je me porte bien grâce à Dieu.
Pourquoi ce long silence?
Quelquefois, le silence est d’or. Il ne faut pas le confondre avec l' »autre silence »… (Rires)
A quoi faites-vous allusion?
Vous le savez bien. L’autre silence dont je parle est plus grave parce qu’il se situe au niveau de l’Etat. Mon silence à moi ne concerne que moi. J’observe! Il y a quelques années, je vous avais dit que je suis un observateur attentif de la situation de mon pays. Je vous avais dit également que je ne dirai rien jusqu’au à ce que je juge le moment opportun.
Un observateur n’est jamais un acteur…
Il faut parfois laisser aux autres la chance d’être des acteurs. Un observateur peut toujours redevenir un acteur.
On a appris le dimanche 14 décembre le décès de l’ancien gouverneur du Shaba (Katanga) Louis-Alphonse Koyagialo. Que vous inspire la personnalité du défunt?
Lorsque j’entends parler du gouverneur Louis Koyagialo, je remémore aussitôt l’affaire dite du « massacre » des étudiants de l’université de Lubumbashi dans la nuit du 11 au 12 mai 1990. Il était gouverneur de la province du Shaba (Katanga) à cette époque.
Vous étiez à cette époque, ambassadeur du Zaïre à Bruxelles…
Effectivement! Cette histoire me concerne au plus haut point. Le gouverneur a fait face à une grave épreuve qui n’a pas manqué d’entrainer des répercussions au niveau de sa santé.
Selon vous, il y a donc une relation de cause à effet…
Sans aucun doute, à long terme. Koyagialo a été emprisonné à Makala. Durant sa détention, l’ex-gouverneur a perdu deux êtres chers en l’occurrence sa mère et sa première épouse. Sans vouloir dramatiser, l’homme qui vient de nous quitter a fait l’objet d’une injustice flagrante. Il en a souffert dans sa chair.
Ne devrait-on pas dire qu’il a été victime d’une injustice judiciaire de la part des magistrats inféodés au pouvoir à l’époque du président Mobutu?
On peut le dire. Apparemment, il fallait que « quelqu’un » paie. Même si la vérité était ailleurs, il fallait une victime. Koyagialo a été cette victime.
Quelle est, selon vous, cette « vérité »?
Cette vérité reste la même vingt-quatre années après. A savoir qu’il n’y a jamais eu de massacre d’étudiants à l’université de Lubumbashi. Vous le savez autant que moi. Lorsque j’entends, vingt-quatre ans après, des gens comme Lambert Mende avouer que ce massacre n’a jamais lieu, je suis atterré. Je me demande si cet homme est conscient de la gravité de son propos.
Devrait-on parler de « contrition » tardive?
Absolument pas! Mende ne peut en aucun cas se repentir. Ancien opposant au régime de Mobutu Sese Seko, il feint de découvrir la vérité aujourd’hui. En fait, il connaissait la vérité au moment où il accusait le pouvoir d’alors d’avoir commis des « tueries massives » à Lubumbashi. Au moment où il dénonçait ce prétendu massacre, il était conscient des conséquences pour le régime Mobutu. Confronté au rapport publié récemment par l’Ong Human Right Watch – faisant état des crimes imputés aux policiers dans le cadre d’une opération contre la criminalité dans la capitale-, Mende sent le même danger planer sur le régime de Joseph Kabila.
Lambert Mende a fait sa déclaration lors d’un point de presse tenu le 24 novembre à Kinshasa. Comment expliquez-vous l’absence de réactions de la part des acteurs de l’époque autant que les parents des victimes?
C’est justement une des raisons qui m’ont poussé à rompre le silence. Qu’on ne se leurre pas. Il est bien connu que c’est l’ancien opposant Mende qui alimentait les journalistes belges en « informations » dont Colette Braeckman. Notre pays subit aujourd’hui encore les conséquences de cette cabale. J’ai un ami qui était pilote de DC10. Il a été cité devant la sous-commission des assassinats de la Conférence nationale souveraine.
Le commandant Simon Diasolua…
Effectivement! Il a été accusé d’avoir transporté les membres d’un « commando » qui serait venu « d’ailleurs » pour « massacrer » des étudiants. Selon l’accusation, il aurait par la suite emporté des corps dans l’avion avant de les larguer au-dessus d’un Parc. Au cours d’une conversation avec le ministre belge des Affaires étrangères d’alors, Mark Eyskens, je lui ai dit: « Monsieur le ministre, sur quel fait matériel vous fondez-vous pour affirmer qu’il y a eu tueries massives à Lubumbashi? Il est bien connu que plus le mensonge est gros plus les gens y croient. L’Occident l’a testé à Timisoara, en Roumanie ». J’ai ajouté: « A Lubumbashi, il n’y a pas eu de massacre. A Timisoara, non plus ».
Quelle était sa réponse?
Il me dira avec un petit sourire: « J’ai mes sources ». Les sources en question étaient constituées notamment de Jean Nguz a Karl I Bond (paix à son âme). C’est Mme Nguz qui avait amené une lettre destinée au ministre Eyskens faisant état de l’existence d’un « charnier » au Katanga.
Depuis 1990, vous avez toujours soutenu la thèse d’un seul mort. C’est au demeurant la thèse officielle. Quelles étaient vos sources?
Je dois reconnaître que j’ai bénéficié à l’époque de l’expertise de mon ami André-Alain Atundu Liongo. Officier de renseignements de formation, il était à l’époque l’adjoint du PDG de la Gécamines exploitation à Lubumbashi. Après des investigations à travers la capitale du cuivre, il m’a dit de manière formelle: « Il n’y a eu qu’un seul mort l’étudiant Ilombe wa Ilombe ».
Que faire, selon vous, après les « aveux » de Lambert Mende?
Par ses aveux, Mende a reconnu avoir participé à une opération criminelle. Une opération qui avait pour but de déstabiliser son pays. Il a donc conspiré avec des puissances étrangères contre sa patrie. J’espère que les parents des victimes de cette manipulation politico-médiatique feront en sorte que leurs proches ne soient pas morts pour rien. Les victimes ont payé de leurs vies à cause des gens de l’acabit de Mende. Les familles ont le devoir de réhabiliter l’honorabilité des disparus. Ils doivent intenter un procès, même au civil, contre l’Etat congolais. Je suis prêt à apporter une « aide documentaire » aux personnes qui prendront des initiatives dans ce sens.
La composition du gouvernement dit de « cohésion nationale » annoncé, le 23 octobre 2013, par « Joseph Kabila », est connue depuis le dimanche 7 décembre. Votre commentaire?
Je suis tenté de dire: tout ça pour ça?
C’est-à-dire?
A-t-on paralysé ce pays durant quatorze mois juste pour intégrer le genre d’individus qu’on voit dans ce gouvernement? Je constate par ailleurs que le nouveau gouvernement est composé de plusieurs chefs de parti. Ce beau monde est-il venu pour réformer la société congolaise ou simplement pour se refaire une santé financière avant d’affronter les prochaines échéances électorales?
Que pensez-vous de la présence des cadres du MLC dans l’équipe Matata II? Il semble que les intéressés ont été exclus de ce parti…
Le Mouvement de libération du Congo a-t-il oui ou non envoyé des délégués aux travaux des « Concertations nationales »? Le MLC est-il oui ou non comptable des recommandations de ces Concertations?
Personne au MLC ne conteste cette participation. Selon Eve Bazaïba, la nouvelle secrétaire générale, il n’a jamais été, en revanche, question de prendre part au « partage équitable et équilibré du pouvoir »…
On ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. Je suppose que la présence des cadres du MLC dans ce gouvernement procède d’un « accord ».
Que répondez-vous à ceux qui redoutent que le MLC se vide de tous ses cadres?
Il y a lieu effectivement de craindre que le parti créé par Jean-Pierre Bemba se mue en une coquille vide…
Si Jean-Pierre Bemba se trouvait en face, que pourriez-vous lui dire?
Je ne tiens pas ici à accabler Jean-Pierre Bemba qui se trouve sous les griffes injustes de la Cour pénale internationale. J’estime néanmoins qu’il devrait, dans la situation où il se trouve, déléguer ses pouvoirs à un président intérimaire. Je conçois mal qu’on dirige une formation politique à partir d’une prison. Bemba doit rester au-dessus de la mêlée en tant qu’autorité morale de sa formation politique.
Qu’avez-vous retenu en particulier du discours sur l’état de la nation prononcé lundi 15 décembre par « Joseph Kabila »?
Je ne voudrais pas m’étendre sur ce qu’il a dit. Je tiens simplement à relever un fait. En tant que chef de l’Etat, Kabila n’a pas le droit de falsifier l’Histoire. Il doit, au contraire, réconcilier le peuple congolais avec tous les aspects de son passé. Qu’il nous parle des personnes qui ont vécu au 16ème siècle, c’est très bien. Là où le bat blesse c’est lorsqu’il tente maladroitement de railler d’un trait de plume une personne qui a marqué l’histoire de notre pays depuis 1960. Je veux parler du maréchal Mobutu Sese Seko. Je l’ai entendu citer plusieurs personnalités qui ont marqué l’histoire de notre pays en omettant sciemment le nom de Mobutu.
Cette « lacune » vous choque…
Naturellement! Je suis choqué par cette volonté de falsifier l’Histoire. C’est indigne de la part d’un chef de l’Etat dont le rôle est de fédérer et non de diviser. Les Congolais doivent se réconcilier avec leur Histoire. On ne peut prétendre vouloir la cohésion nationale tout en pratiquant l’exclusion. La sagesse populaire dit: « Il ne faut pas faire aux autres ce que vous n’aimerez pas que l’on vous fasse ». La roue de l’Histoire tourne…
A quand votre retour au pays?
Chaque chose en son temps. Sauf que certains milieux belges ironisaient en vous qualifiant, au plus fort de l’affaire Lubumbashi, d' »ambassadeur personnel » du président Mobutu. Ce qui vous a valu une sorte de « mise en quarantaine »…
Qui veut noyer son chien, l’accuse de rage. Je ne vois aucun ambassadeur en poste à l’étranger qui ne soit pas le représentant du chef de l’Etat qui lui a remis ses lettres de créance…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi