L’enquête « Congo Hold-up » menée par une coalition des médias et des lanceurs d’alerte a mis à nu comment l’ex-président « Joseph Kabila » et son « clan » au sens large ont fait main basse sur les ressources du Congo-Kinshasa durant les dix-huit années. Après le lancement, le 19 novembre dernier, de la publication des conclusions de ces investigations, on a assisté à une vive agitation au sein de la « mouvance kabiliste« . Au fil des révélations, l’agitation s’est muée en « gros dos« . « Joseph Kabila n’est pas nommément cité« , disent certains affidés de l’ancien chef de l’Etat. D’autres crient à la « diabolisation » et au « harcèlement » afin de l’empêcher de revenir aux affaires. Et pourtant, les « bras financiers » de l’ex-raïs sont bien connus. Ils sont épinglés par les investigateurs. C’est le cas notamment d’Albert Yuma Mulimbi et d’Emmanuel Adrupiako. Il faut espérer que la justice internationale se saisira de ces révélations en ce qui concernent les cas avérés de blanchiment.
« Sur le dossier BGFI Bank, personne ne dispose de preuves que ces fonds [43.000.000 $US] sont arrivés entre les mains de Joseph Kabila« . L’homme qui parle n’est autre l’Inspecteur général des Finances Jules Alingete Key. C’était le 25 novembre dernier au cours d’une interview accordée à la télévision publique France24. « Nous ne voulons pas mettre le feu au Congo« , ajoutait-il. Questions: Alingete a-t-il reçu des menaces sur sa personne? L’IGF joue-t-elle le « fort » avec les « faibles« , et le « faible » avec les « forts« ?
Avant cet entretien avec le journaliste Alain Foka, on a assisté à quelques réactions des membres du « clan kabiliste« . Le journaliste Pius Romain Roland Ngoy Kiloka a déclaré notamment sur « Télé 50 » que le président Félix Tshisekedi aurait « soudoyé » l’équipe des investigateurs avec une somme de 800.000 €. Comme à son accoutumée, l’homme qui se dit « journaliste » n’a avancé le moindre début de preuve à l’appui. Le journal El Mundo serait sa source. Une « fouille » en règle du site www.elmundo.es fini par révéler que ce n’était que de « l’infox« . Les Américains auraient dit: « fake news« . Bien au contraire, ce média espagnol a publié, dans son édition du 20 novembre, un article détaille sur la fortune engrangée par « Kabila » et ses proches.
Sur Twitter, on pouvait lire cette réaction pour le moins risible reprise par un média kinois: « Les révélations dites ‘Congo hold-up’ ont pour objectif de décourager l’alliance Kabila-Fayulu en gestation et de casser l’élan du ‘Bloc patriotique’. Le plus important pour les Congolais aujourd’hui c’est l’amélioration du social et le départ de Kadima« . C’est une dame qui parle. Son nom: Arlette Odia Nkashama. Avocate de profession, ancienne présidente de la Ligue des femmes du parti « Dynamique Congo Uni » de Vidiye Tshimanga. La juriste n’administre pas non plus le moindre indice à l’appui de ses assertions.
Les téléspectateurs des médias diffusés sur YouTube ont été gavés par des journalistes pro-Kabila habitués à faire feu de tout bois pour défendre leur « bienfaiteur« . Ici, deux « explications » ubuesques sortent du lot: « Le plus grand péché de Joseph Kabila est d’avoir signé les contrats minerai-contre infrastructures avec la Chine« ; « Les Occidentaux ne lui [Kabila] pardonnent pas d’avoir fait réviser le Code minier« ; « Les conclusions de cette enquête constituent un chiffon à jeter dans la poubelle« . Vous avez entendu!
Pire, on a entendu, par ailleurs, « journalistes » soutenir que les informations publiées dans le cadre de « Congo Hold-up » n’étaient que des conjectures. « Les faits sont rapportés au conditionnel« , a soutenu notamment le très kabiliste Claude Molisho. Il n’était pas le seul. Une erreur grossière de croire que l’usage du conditionnel en journalisme signifierait que l’auteur de l’article était incapable de prouver ses assertions. Et pourtant, le recours au conditionnel renvoie à un souci d’objectivité. Le journaliste voudrait simplement dire qu’il n’a pas été le témoin direct des faits rapportés. C’est un débat.
La cellule de communication de l’ex-président « Kabila » a préféré la facilité en criant à la « diabolisation » et à « l’acharnement » en vue d’empêcher le « come-back » d’un « Kabila » qui serait, semble-t-il, « réclamé » par la population.
Ancien conseiller diplomatique de l’ex-raïs, Barnabé Kikaya bin Karubi dit percevoir à l’origine de la publication de cette enquête une « raison électoraliste« . Traduction: il y aurait une « conspiration » ourdie contre le successeur de Mzee. Conspiration? Allons donc!
LE CAS « EGAL »
Attardons-nous sur le cas impliquant la Banque centrale du Congo, la BGFI Bank et la société « Egal« .
N’en déplaise à l’Inspecteur général des Finances, la Banque centrale du Congo (BCC), sous la direction de Déogratia Mutombo Mwana Nyembo, avait bel et bien transféré la somme de 43.000.000 $US à la Banque BGFI en mentionnant « Provision investissement ». Cette information a été révélée pour la première fois par Jean-Jacques Lumumba (voir le quotidien bruxellois « Le Soir » du 26.10.2019). Cadre dans cet établissement financier, Lumumba était de plus en plus « troublé » par les méthodes peu orthodoxes qui se passaient sous ses yeux. Quelle est l’autorité qui avait instruit le gouverneur Mutombo de réaliser ce transfert? Est-ce le Premier ministre Augustin Matata Ponyo? Est-ce l’ancien président « Kabila« ? La BCC prête-t-elle de l’argent à des entreprise privées? Pourquoi la société « Egal » a bénéficié d’une exception?
« Jean-Jacques » est formel: la somme querellée a servi de capital de départ pour la société « Egal« . Celle-ci a été fondée le 29 novembre 2013. Curieusement, fera remarquer Lumumba, « Egal » n’a jamais mentionné l’argent mis à sa disposition par la BCC. Pour le banquier, il s’agit ni plus ni moins que d’un détournement de l’argent public.
Pour la petite histoire, la société « Orgaman« , appartenant au Belge William Damseaux, détenait le monopole de l’importation de vivres frais en provenance notamment de la Namibie. Suite à diverses « tracasseries » administratives ainsi qu’à la concurrence « féroce » de la société libanaise « Congo Futur » – proche Marie Olive Lembe di Sita, épouse « Kabila » – Orgaman a fini par cesser ses activités. Celles-ci furent reprises par…Egal dont le Président du conseil d’administration n’est autre que l’incontournable Albert Yuma Mulimbi. L’homme portait à l’époque tant d’autres casquettes. A savoir: directeur général de fait et président du conseil d’administration de la Gécamines et administrateur à la BCC.
LA FORTUNE DE LA FRATRIE « KABILA »
C’est à partir du mois de mars 1997 que les Zaïrois d’alors ont entendu, pour la première fois, parler d’un certain « Joseph Kabila » qui serait le fils de Laurent-Désiré Kabila. C’était lors de la prise de la ville de Kisangani par les « soldats » de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre). Les Boyomais, eux, ont gardé le souvenir d’un jeune « officier » appelé « commandant Hippo« , comme Hippolyte. C’est le point de départ de la controverse sur l’identité réelle du successeur de Mzee. Mtwale? Kanambe?
De son vivant, LD Kabila n’a jamais présenté les membres de sa famille. « Ce sont des pratiques propres aux Blancs« , ricanait-il en réponse à un journaliste qui l’interrogeait sur la « première dame« . Le 16 janvier 2001, LD Kabila est tué dans des conditions non-élucidées à ce jour. C’est lors des obsèques que le grand public va découvrir une dame éplorée qui prétendait être la « veuve ». Nom: Sifa Mahanya. A l’époque, la « famille présidentielle » était loin de rouler sur l’or.
En mars 2016, un groupe de journalistes occidentaux crée l’événement en publiant l’enquête dite « Panama Papers« . On apprend que six mois après le décès de « leur père », Jaynet « Kabila » est allée ouvrir un compte dans les paradis fiscaux. Rien d’illégal. Quid de l’origine de cet argent? Selon certaines sources proches de la garde rapprochée de Mzee, « Joseph Kabila » et Eddy Kapend auraient eu une vive altercation au sujet de l’argent et autres pierres précieuses – qui se trouvaient dans les bureaux du défunt président à Kinshasa et à Lubumbashi. On apprendra par la suite l’arrestation du colonel Kapend dès février 2001. Ceci explique-t-il cela?
Une certitude: la disparition de LD Kabila a profité essentiellement à Joseph, Jaynet et Zoé. Cette fratrie, sortie du néant, détiendrait 40% des parts sociales de la BGFI Bank RD Congo. En juin 2014, le journaliste d’investigation Richard Miniter créa l’événement en révélant dans le magazine américain « Forbes » que « Joseph Kabila » était à la tête d’une fortune qui oscillerait entre 15 et 20 milliards de dollars américains.
Après Forbes, c’est le tour de l’Agence américaine Bloomberg d’enfoncer le clou en créditant la fratrie « Kabila » de 70 entreprises. A savoir notamment: Ferme Espoir, Kwanza Capital, Sud Oil, La Beviour Hôtel, BGFI Bank RD Congo, société des Grands Elevages du Bas-Congo, Monex Bureau de change etc.
En cette année 2021 finissant, « Joseph Kabila » a accumulé plusieurs biens immobiliers acquis dans des conditions discutables. Outre la ferme de Kingakati (banlieue de Kinshasa), on peut citer: Kashamata et Kundelungu (Haut Katanga), Kabasha (Nord Kivu), Ile de Mateba (Kongo Central). L’ancien chef de l’Etat s’est approprié la résidence officielle du Président de l’Assemblée nationale et de la résidence dite « Gécamines » où logeait le Premier ministre.
BRADAGE DU PATRIMOINE IMMOBILIER DE LA GECAMINES
D’aucuns estiment qu’il faut être un « parfait naïf » pour soutenir que l’enquête « Congo Hold-up » ne met nullement en cause l’individu « Joseph Kabila« . « Joseph Kabila est un kleptomane aux mains propres« , commente un politologue kinois joint au téléphone. Selon notre interlocuteur, « l’ancien chef de l’Etat a l’habitude de se dissimuler derrière des prête-noms« . Deux noms hantent les esprits: Albert Yuma Mulimbi et Emmanuel Adrupiako. Ce dernier assumait les fonctions de directeur financier à la Présidence sous « Kabila« .
Au mois d’octobre 2017, le quotidien Québécois « Le Journal de Montréal » rapportait qu’en octobre 2017 sieur Adrupiako a acquis un « parc immobilier » composé de plusieurs appartements de luxe. Coût: 3 millions de dollars US. Outre le bradage du patrimoine minier de la Gécamines, Albert Yuma Mulimbi, lui, a tenté de « liquider » les biens immobiliers de cette entreprise d’Etat. Ces biens sont situés en France, en Belgique et en Tanzanie. Ci-après, la liste:
- Immeuble de bureaux sis 56, rue de Bassard, 75008 (Paris)
- Immeuble de bureaux sis 5, rue Vernet, 75008 (Paris)
- Villa sise Vossenstraat, 14 à 3078 Everberg (Kortenberg – Belgique)
- Appartement sis rue Belle Vue – 1000 Bruxelles
- Appartement sis avenue Général De Gaule, 42 à 1050 Bruxelles
- Villa sise avenue de Foestraets, 6 à 1180 (Uccle – Belgique)
- Immeuble sis Boulevard du Souverain 30-32, 1170 Bruxelles
- 2 villas situées à Dar-es Salaam (Tanzanie) dont l’une est enregistrée sous le nom de l’ambassade du Congo-Kinshasa.
On peut difficilement croire que Messieurs Adrupiako et Yuma ont agi pour leurs propres comptes. « Kabila » reste plus que jamais le Kleptomane aux « mains propres ».
Baudouin Amba Wetshi