Analyse
Sept mois après la proclamation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord Kivu par le président Felix Tshisekedi Tshilombo, les Forces armées de la RD Congo continuent à traquer un ennemi « invisible » nommé, à tort ou à raison, « ADF » (Forces démocratiques alliées). Un ennemi qui attaque le plus souvent là on ne l’attend pas. L’intervention de l’armée ougandaise dans les opérations engagées dans ces deux régions a mis à nu le caractère « rudimentaire » tant de l’équipement que de renseignements de l’armée congolaise. Notre armée est malade. Elle est malade de tous ces combattants à la loyauté flottante qui pullulent en son sein. Il faut espérer qu’après l’état de siège, plus rien ne devrait plus être comme avant. Il faudra réformer l’armée nationale sur ces quelques axes: recrutement (maîtrise des effectifs), formation, discipline, ravitaillement et équipement. L’objectif est de doter le pays des Forces de défense à la puissance de feu dissuasive.
« Pour que le Rwanda et l’Ouganda restent debout, le Congo-Kinshasa doit rester à genoux« . Cette phrase a été attribuée à un haut gradé de l’armée rwandaise (Rwandese defence forces). Les ex-Zaïrois ont encore frais en mémoire que l’un des premiers actes posés par le pouvoir AFDL à Kinshasa a été la nomination – par le président LD Kabila – d’un officier rwandais au poste de chef d’état-major général de l’armée congolaise. Aussitôt après, plusieurs dizaines de milliers des soldats des ex-Forces armées zaïroises furent internés à la Base de Kitona, au Kongo Central, transformée en un camp de concentration. C’est un autre débat.
A Kinshasa, le débat continue à faire rage dans les deux chambres du Parlement congolais. Au centre de la controverse, il y a la présence de l’armée ougandaise (UPDF) dans la province de l’Ituri. Objectif avoué: traquer les « rebelles ougandais » dits ADF en « mutualisation » des forces avec les Forces armées de la RDC.
Dans une intervention, jeudi 2 décembre, le président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo, a déclaré que c’est sur « recommandation » du Parlement (Commission défense et sécurité) que le Président de la République avait autorisé la conjugaison des forces entre les armées de deux pays. Président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso Nkodia Pwanga, a abondé dans le même sens. Inutile de dire que les observateurs restent sceptiques.
DES SOUVENIRS TRAUMATIQUES
Pour la grande majorité de la population congolaise, la présence des soldats de Yoweri Kaguta Museveni sur le sol de leur pays réveille des « souvenirs traumatiques« . Les Congolais ont encore frais en mémoire notamment les affrontements ayant opposé les soldats ougandais et rwandais dans la ville de Kisangani, chef-lieu de l’ex-province Orientale. Des plaies tant psychologiques que physiques sont loin d’être cicatrisées.
N’empêche. Depuis lundi 29 novembre, l’UPDF, l’armée de Museveni, est dans nos murs. Sous prétexte d’aider les Congolais, les Ougandais en profite, en réalité, pour exercer un « droit de poursuite » qui ne dit pas son nom. Le 16 novembre dernier, deux attentats ont secoué la capitale ougandaise, Kampala. Bilan 4 morts et 33 blessés. Ces attaques ont été attribuées… aux rebelles ougandais des « ADF », basés en RD Congo, particulièrement dans le Territoire de Beni.
Mardi 30 novembre, l’armée de Museveni a sorti le « grand jeu« . Avant de déployer ses troupes sur le sol congolais, les forces spéciales de l’UPDF a eu recours à l’artillerie lourde ainsi qu’à des hélicoptères d’attaque pour pilonner les « bases » des ADF. Le bilan n’est pas encore communiqué. Les FARDC sont en passe d’être réduites au rang de « figurant » dans ces « opérations conjointes« . Les habitants disent avoir aperçu des drones. Osons espérer que les soldats ougandais vont regagner leur pays sans « oublier » quelques hommes après cette démonstration de force.
ET SI LE M23 S’ÉTAIT MUE EN « ADF »?
Depuis la prétendue « guerre de libération » dite la « guerre des Banyamulenge » ayant porté Laurent-Désiré Kabila à la tête l’Etat congolais grâce à l’appui notamment des armées du Rwanda et de l’Ouganda, le Congo-Kinshasa n’a plus d’armée digne de ce nom. Incapable d’assurer la défense de ses frontières, le pays est à la merci des velléités expansionnistes de certains voisins.
Après la rupture entre Mzee Kabila et ses anciens parrains rwando-ougandais, fin juillet 1998, les provinces du Nord-Est sont secouées par des pseudo-rébellions et autres mutineries. Il y a eu le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda dont la mission claironnée était de « protéger » les membres de la communauté Tutsi, les Banyarwanda, rebaptisés « Banyamulenge« . Est-il infamant d’être appelé « munyarwanda« ?
Après la « disparition » de Nkunda et son CNDP, on a assisté à la naissance d’une nouvelle « rébellion » dénommée « Mouvement du 23 mars » ou « M23 ». Coïncidence ou pas, celui-ci est « piloté » par des Rwandophones. C’était en juillet 2012. Affaiblie, l’armée congolaise va subi le « brassage » et le « mixage« . Bonjour l’infiltration de l’armée par des « mutins » manipulés par certains pays voisins.
« Jamais au grand jamais, une armée ne prend un mutin pour en faire un nouveau soldat« . L’homme qui parle est le feu général Paul Mukobo Mundende. C’était au cours d’une interview avec Congo Indépendant. Pour lui, les combattants du CNDP et du M23 étaient des « faux mutins« . « C’était un arrangement entre Joseph Kabila et les initiateurs du M23 dans le but de déstabiliser et d’affaiblir le Congo-Kinshasa« . Ancien patron du Contre-espionnage du Rwanda, le colonel Patrick Karegeya a été le premier à déclarer que ces deux mouvements furent conçus à Kigali. « Le président Paul Kagame était aux manettes« , a-t-il souligné dans une interview accordée au quotidien du « Soir ». Une chose paraît sûre: le phénomène « ADF » – né en 1995 en Ouganda avant d’installer ses bases arrières dans l’ex-Zaïre – a pris de l’ampleur en octobre 2014 soit une année après la « défaite » du M23. Et si le M23 s’était mué en « ADF« ? Pourquoi plus personne ne parle des Hutus rwandais des FDLR? Que sont-ils devenus?
REMETTRE LE « GRAND CONGO » DEBOUT
Tout au long de ses dix-huit années passées à la tête de l’Etat congolais, l’ancien président « Joseph Kabila » semblait avoir peur d’une « armée républicaine« . Une armée sur laquelle il n’aurait aucune prise. Pour lui, sa garde personnelle, les fameux « GR » (Garde républicaine) suffisaient amplement. L’homme restera, jusqu’au bout, réfractaire à toute réforme de la force publique (armée, police, services de renseignements), telle que consignée dans l’Accord-cadre d’Addis Abeba du 24 février 2013. Il n’a rien fait pour « consolider » l’autorité de l’Etat à l’Est.
Ancêtre de l’armée nationale congolaise, la « Force publique » a été créée en 1886. C’était à l’époque du Congo léopoldien. En tant de paix, l’armée comptait 25.000 hommes. Quarante mille, sur pied de guerre.
Paul Mukobo avait une certaine idée pour réformer l’armée et la police. Il l’a dit à l’auteur de ces lignes en dehors de l’entretien. Pour lui, il faut doter le pays de 100.000 policiers et de 40 à 60.000 fantassins. Des hommes et des femmes bien entrainés et bien équipés. Selon lui, la formation individuelle et en groupe devrait se dérouler durant douze mois.
Pour lui, les décideurs devraient mettre l’accent plus sur la puissance de feu (artillerie, chars, hélicoptères d’attaque, missiles sol-sol et sol-air, Orgue de Staline) que sur les effectifs. Selon Mukobo, le Congo-Kin doit baser en permanence deux à trois bataillons aux frontières qui nous séparent avec le Burundi, l’Ouganda et le Rwanda. Il ne faudrait pas qu’après l’état de siège soit égal à avant l’état de siège.
A propos, le président Yoweri Kaguta Museveni tient en piètre estime tous ces pays africains incapables de garantir la sécurité de leur territoire. Il l’a dit avec, un sourire malicieux, au cours d’une interview accordée à France24, début septembre dernier: « Un pays qui ne peut pas assurer la sécurité de son territoire ressemble à une personne physique souffrant du Sida« .
Le « Grand Congo » doit, pour retrouver sa respectabilité, réformer ses forces de défense et de sécurité. C’est le prix à payer pour que ce « Géant » de l’Afrique centrale se remettre debout. N’en déplaise aux pays voisins bien connus…
Baudouin Amba Wetshi