Le 24 avril 1990, le président Mobutu Sese Seko prononçait son discours annonçant la fin du parti unique et le retour au multipartisme. C’est le lancement du processus démocratique. Qu’est ce qui a changé dans l’ex-Zaïre, rebaptisé République démocratique du Congo vingt et une années après? Dernier ambassadeur du Zaïre auprès du royaume de Belgique, Jean-Pierre Kimbulu Moyanso wa Lokwa, peut être présenté comme un des « confidents » du chef de l’Etat zaïrois. Dans un entretien à bâtons rompus, il a bien voulu « revisiter » ces deux décennies de l’Histoire du Congo-Zaïre.
Quelle est la signification de la date du 24 avril 1990 pour vous?
La date du 24 avril 1990 marque un véritable tournant dans l’Histoire politique de notre pays.
Vingt et une années après le lancement du processus démocratique, d’aucuns continuent à soutenir que le maréchal Mobutu ne l’a pas fait de gaieté de cœur. Il aurait été « contraint » de libéraliser la vie politique…
Contraint par qui? Je suis plutôt d’avis qu’il a voulu devancer les mutations qui s’opéraient à cette époque à travers le monde.
En tous cas lors de l’échange de vœux avec les corps constitués au cours de la première semaine du mois de janvier 1990, il a déclaré que « le vent de démocratisation » qui soufflait en Europe de l’Est – conséquence de la politique de détente entre les deux Blocs – ne concernait pas le Zaïre. Contre toute attente, il a lancé, au cours du même mois, les « consultations populaires » pour « sonder » l’opinion de la population sur le fonctionnement des institutions du pays. N’est-ce pas un revirement?
Je crois pouvoir dire que je suis un peu à la base de la décision du président Mobutu d’organiser ces consultations populaires.
En faisant quoi exactement?
Je me suis rendu à Kinshasa organiser les obsèques d’une de mes sœurs. Le Président m’a reçu sur le bateau à Nsele. Je me souviens que nous avons évoqué les événements qui se déroulaient en Europe de l’Est suite à la politique de « Perestroïka » et de « Glasnost » menée par Mikhaïl Gorbatchev, alors secrétaire général du parti communiste de l’Union soviétique. Cette politique de détente a fini par fragiliser les régimes communistes de l’Europe centrale issus de la Guerre froide. Vous le savez autant que moi que le continent africain a été également le théâtre de l’affrontement entre les deux superpuissances d’alors, à savoir les Etats-Unis et l’URSS.
Revenons à votre entretien…
J’ai dit au chef ce qui suit: « Je suis venu procéder à l’enterrement de ma sœur. Sur l’avenue des ‘Trois Z’ où elle habitait, un mur est érigé en plein milieu de la rue au niveau du Service national d’intelligence et de protection (SNIP) ». Le président de me répondre: « Comment ça! Voulez-vous dire que l’avenue des ‘Trois Z’ est coupée en deux? Qui l’a fait? » Ici, je me suis contenté de lui dire que le mur est érigé au niveau du bâtiment du SNIP, dirigé alors par Honoré Ngbanda. J’ajouterai ceci: « Citoyen président, mon bureau à l’ambassade à Bruxelles se trouve à 300 mètres du Square de Meus où se trouve le siège de la Sûreté nationale belge. Je n’ai jamais entendu parler de l’existence de cachots en ce lieu ou encore des cas de gens amener là-bas pour interrogatoire. Est-il impératif pour le patron de ce ‘service’ de faire arrêter des gens et de les détenir dans des cachots? » Après mon exposé, j’ai entendu le président Mobutu me dire: « Tu me donnes une idée à insérer dans mon message à la nation à l’occasion du message de vœux de nouvel an ». Dans son allocution, le chef de l’Etat sera clair en invitant les ‘services’ à ne plus procéder à des arrestations. Je me rappelle que tous les détenus qui se trouvaient au SNIP ont été relâchés avant la fin de l’année. C’est pour vous dire que le président Mobutu avait pris conscience qu’il fallait changer les choses.
Pourquoi avait-il annoncé un multipartisme limité à trois partis?
Le président Mobutu se fondait sur l’expérience des années 60 où le multipartisme était en réalité du « multi-tribalisme ». Il a été mal compris. « Avoir raison trop tôt est un tort », disait Edgar Faure. Que voit-on aujourd’hui, notre pays ne compte pas moins de 400 partis politiques…
Les Espagnols ont vécu une situation analogue au lendemain de la disparition du général Franco…
C’est pour cette raison que le Président avait préféré limiter le nombre de parti à trois. Pour lui, il s’agissait de trois grands courants idéologiques.
Dans son allocution du 24 avril 1990, Mobutu Sese Seko annonce la fin du Parti-Etat. Le lendemain, Etienne Tshisekedi wa Mulumba lui demande de démissionner parce qu’il n’avait plus de légitimité. Que répondez-vous à ceux qui allèguent que c’est bien ce « combat des chefs » qui a « troublé » le déroulement du processus démocratique?
Je peux vous dire qu’il y a eu pas mal d’actions menées par l’UDPS qui ont perturbé le processus démocratique. C’était de bonne guerre. Dire que le président Mobutu n’avait plus la légitimité parce que le MPR cessait d’être un parti-Etat, c’était aller trop vite en besogne. Je vous rappelle que le Président avait annoncé plusieurs réformes dont la révision de la Constitution.
Le 3 mai 1990, le Président a prononcé une nouvelle allocution devant les parlementaires dans laquelle il a annoncé que les partis politiques n’avaient pas encore d’existence légale et qu’aucune manifestation sur la voie ne sera tolérée par l’autorité. Ce discours dit de « clarification » est-il nécessaire?
Absolument! Ce discours était nécessaire pour clarifier les « grandes lignes » tracées par l’allocution du 24 avril. Un malentendu a fait que les partis politiques commençaient déjà à se former et à fonctionner. Il fallait, par conséquent, des « précisions ». C’est dommage que ce deuxième speech ait été mal compris…
Effectivement, cette allocution a été accueillie par l’opinion comme une volonté de reprise en mains d’une situation qui semblait échapper au pouvoir…
Que nenni! Que nenni! Il n’avait nullement l’intention de reprendre ce qu’il avait donné.
Après ce discours, des parlementaires ont été molestés par des étudiants de l’université de Kinshasa. Les meneurs de cette action ont été radiés. Cette décision a provoqué une agitation estudiantine aux quatre coins du pays. Le 18 mai 1990, le quotidien bruxellois annonçait que « plusieurs étudiants ont été massacrés, dans la nuit du 11 au 12 mai 1990, à l’université de Lubumbashi » par les « troupes d’élite » de l’armée zaïroise. Plus de vingt ans après, que pouvez-vous dire au sujet de cette « affaire Lubumbashi »?
La vérité est têtue! A cette époque, j’assumais les fonctions d’ambassadeur du Zaïre à Bruxelles. Je n’ai jamais cessé de dire qu’il n’y a jamais eu de massacre à Lubumbashi. Le seul cas de décès à déplorer est celui de l’étudiant Ilombe wa Ilombe. Jusqu’ici personne n’a démontré le contraire. N’est-il pas étrange qu’aucune famille ne se manifeste treize années après la disparition du président Mobutu pour réclamer le corps d’un fils ou d’une fille? L’ancien Premier ministre Jean Nguz a Karl i Bond – paix à son âme – avait fait état de l’existence d’un « charnier ». Il n’y a jamais eu de charniers. Les autorités belges ont été abusées par ce genre de « révélations ».
Etes-vous entrain de dire que le « massacre de Lubumbashi » n’était qu’une manipulation politico-médiatique?
J’ai toujours dit que l’affaire dite du « massacre des étudiants de l’université de Lubumbashi » n’a jamais été qu’une pure invention de la journaliste Colette Braeckman.
Dans quel but?
Cette journaliste n’a jamais porté le maréchal Mobutu ni son régime dans son cœur.
Quelle serait, selon vous, la cause de cette « animosité »?
(Rires). C’est à elle qu’il faut poser cette question. Le président Mobutu n’avait rien contre elle. C’est elle qui était contre Mobutu.
A la page 23 de son ouvrage « Le dinosaure – Le Zaïre de Mobutu », Colette Braeckman, citant un membre de la garde civile non autrement identifié, fait état de « 347 corps » d’étudiants…
C’est de l’affabulation! Elle n’a jamais pu apporter le moindre début de preuve de ses allégations. Trouvez-vous normal que les parents des « victimes » de ce massacre – que je qualifie d’ailleurs d’imaginaire – restent toujours introuvables, vingt et une années après l’annonce de ces « tueries » et quatorze années après la disparition du président Mobutu? En réalité, cette affaire n’a été qu’un « remake » du fameux « massacre de Timisoara » qui a servi de justification au renversement ainsi qu’à l’exécution de Nicolae et Elena Ceausescu fin décembre 1989. Madame Braeckman se trouvait à Timisoara au moment où les télévisions du monde entier diffusaient en boucle les images de ces cadavres mutilés présentés comme étant les « charniers de Timisoara ». On apprendra que ces corps appartenaient à des personnes décédées de mort naturelle. Ils ont été extraits de la morgue de cette ville roumaine. A Timisoara, on a parlé de 4.630 corps découverts. La journaliste Colette Braeckman s’y trouvait au moment des faits. A son retour à Bruxelles, elle a écrit, fin janvier 1990, un article intitulé « Je n’ai rien vu à Timisoara ». Et pourtant, elle y était. Elle n’a vu aucun charnier pendant qu’à Bucarest et à Bruxelles tout le monde en parlait. Elle, qui a été à Timisoara, a préféré se taire. C’est un aveu de duplicité. Un journaliste français – Michel Castex pour ne pas le citer – a écrit ces mots sur les événements de Timisoara: « Toute intox est mauvaise pour un journaliste, car elle en fait une dupe qui dupe elle-même l’opinion. » La journaliste Colette Braeckman a dupé l’opinion internationale. Je considère, pour ma part, que « Lubumbashi » a été l’acte premier de la déstabilisation de notre pays. Accusée faussement d’avoir massacré des étudiants, c’est-à-dire l’espoir de toute une nation, l’armée a été honnie, rejetée par la nation toute entière. Nous continuons à en payer le prix jusqu’à ce jour…
Du mois de mai 1990 à avril 1997, une dizaine de premiers ministres s’est succédé à la tête du gouvernement. Quelle était, selon vous, la motivation de ces changements aux allures de « coup d’Etat permanent »?
Il faudrait poser cette question notamment à Monsieur Etienne Tshisekedi qui a, à trois reprises, refusé le poste de Premier ministre. Il fallait bien recourir à d’autres personnalités pour exercer cette fonction…
Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que ces changements à la tête du gouvernement étaient motivés par le souci de trouver « l’oiseau rare » capable de « ramener » la « coopération belge » au Zaïre?
Il est vrai que chaque chef du gouvernement semblait faire du rétablissement de la coopération avec la Belgique une sorte de « priorité des priorités ». En ma qualité d’ambassadeur à l’époque, je m’évertuai à faire remarquer aux autorités politiques de mon pays que la Belgique ne pouvait plus revenir à la coopération bilatérale. L’Etat belge n’en avait plus les moyens. D’ailleurs, à plusieurs reprises, les autorités diplomatiques belges ont clamé que « la Belgique, seule, ne pouvait pas résoudre les problèmes du Zaïre ». Il fallait donc que le pays scrute d’autres horizons. Reste que du fait des liens tissés par l’histoire commune, la Belgique dispose d’une certaine expertise sur notre pays.
Devrait-on conclure que le président Mobutu a été finalement « victime » d’une diplomatie fondée sur la dépendance?
Le président Mobutu avait l’habitude de poser cette question: « Qui a donné mandat aux Occidentaux pour s’ingérer dans nos affaires? » Il me posait cette même question en ce qui concerne la Belgique. Chaque fois, je lui répondais: « C’est vous, citoyen président! ». A quoi, il rétorquait: « Qu’est ce qui vous fait dire que c’est moi? ». Ma réponse était invariable: « Vous avez donné implicitement ce mandat chaque fois que vous demandez à la Belgique de plaider en faveur du « dossier Zaïre » auprès du Fonds monétaire international ou de l’Europe. » La sagesse populaire ne dit pas autre chose: « La main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit… »
La « communauté internationale » reprochait au président zaïrois de violer les droits humains et de constituer un « obstacle » à la démocratisation de son pays. Quatorze années après la chute et la disparition du président Mobutu, quel est votre sentiment au regard de ces griefs?
Un philosophe français – Jean-François Revel, je crois – a dit: « Il n’y a pas de démocratie. Il n’y a que des preuves de démocratie ». La liberté et la tolérance constituent à mon humble avis les meilleures preuves de la démocratie. Je mentirai si je vous disais qu’il y a eu des avancées sur le plan du pluralisme politique et du respect des droits humains. Les cas Floribert Chebeya, Fidèle Bazana et Armand Tungulu sont là en guise de preuves du recul. Inutile de dire que « l’Etat de droit » promis lors de la « guerre » dite de « libération » est resté une coquille vide. Les conséquences sont désastreuses. Il suffit de voir la violence faite aux femmes et aux enfants tant dans les deux provinces du Kivu que dans la Province Orientale. Que dire des assassinats camouflés en meurtres crapuleux? Souvenez-vous du phénomène « Kata Kata » en 2006. La situation risque de s’aggraver au moment où le pays va rentrer de plain-pied dans la période électorale. Va-t-on assister à une réédition de l’attaque de la résidence du challenger du président sortant comme c’est le cas de Jean-Pierre Bemba en août 2006 alors que celui-ci conférait avec des diplomates? Je constate qu’à l’époque, la « communauté internationale » cachait mal son embarras de constater que son « chouchou » était tout sauf un démocrate. Je constate également, l’épithète « démocratique » se limite à la dénomination officielle de notre pays.
Etes-vous pour ou contre l’organisation des élections prévues au mois de novembre prochain?
C’est un secret de Polichinelle de relever ici que toutes les structures mises en place autant que les actions menées sur le terrain n’ont pour but que d’assurer la « victoire » du président sortant. Vous le savez et la communauté internationale le sait. C’est pour cette raison que nombreux sont les Congolais qui s’opposent à l’organisation de ces élections.
Voulez-vous insinuer que le « vainqueur » est connu d’avance
Absolument! La Constitution a été modifiée à quelques mois des consultations politiques. On peut gager que la loi électorale sera taillée « sur mesure ». Fort heureusement, nous avons aujourd’hui un homme qui tient tête au système en place. Et chacun est libre de l’aimer ou de ne pas l’aimer. Je pense qu’il faut le soutenir.
De qui s’agit-il?
Il s’agit d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba.
Que va-t-il se passer, selon vous, dans le cas où les élections n’auraient pas lieu dans le délai constitutionnel? D’aucuns soutiennent que le président de la République en fonction serait réputé « illégitime » si les consultations politiques n’avaient pas lieu avant le 6 décembre prochain. Qu’en dites-vous?
A ceux qui soutiennent cette thèse, je leur dit qu’ils ont en partie raison. En dehors des cas d' »empêchement » prévus par l’article 75 de la Constitution, je ne perçois le mécanisme qu’ils entendent actionner pour rendre effective cette « illégitimité ».
Comment voyez-vous l’avenir du pays?
L’avenir est incertain. Et ce, aussi longtemps que les Congolais n’auront pas vidé leurs problèmes internes.
Voulez-vous dire qu’il faudrait organiser une nouvelle « conférence nationale » ou un « dialogue inter-congolais »?
Nullement! En revanche, j’ai la conviction qu’à l’instar du peuple sud africain, les Congolais devraient mettre sur pied une « Commission vérité et réconciliation ». C’est, à mon avis, l’unique voie pouvant conduire les Congolais sur le chemin d’une véritable réconciliation.
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi